Critiques littéraires Bande dessinée

Belle nature pour gueule cassée

Belle nature pour gueule cassée

La Dernière Reine de Jean-Marc Rochette, Casterman, 2022, 240 p.

Au cœur des années 80, Jean-Marc Rochette avait mené dans la revue À Suivre..., aux côtés du scénariste Jacques Lob, le long récit du Transperceneige. Une fresque post-apocalyptique mettant en scène une lutte sociale et dont l’action se déroulait intégralement dans les wagons d’un train. Une épopée qu’il poursuivra dans les années 90 puis 2010, et qui connaîtra des adaptations remarquées au cinéma puis en série télévisée.

Il avait ensuite quitté la France pour s’adonner, à Berlin, à la peinture, représentant la nature dans des compositions très instinctives, aux frontières de l’abstraction.

De retour dans l’Hexagone, Jean-Marc Rochette vit aujourd’hui en montagnes, dans les hauteurs souvent enneigées de l’Isère. C’est de là-bas qu’il a sorti depuis cinq années, aux éditions Casterman, une trilogie montagnarde qui s’achève aujourd’hui, après Ailefroide : Altitude 3954 (2019) et Le Loup (2020), par La Dernière Reine.

Le récit de La Dernière Reine se déroule dans la première moitié du XXe siècle. Edouard Roux est le dernier enfant d’une famille qui, d’aussi loin que la mémoire s’en souvienne, noue un lien très étroit avec les ours vivant sur les hauteurs du plateau du Vercors. Un lien qui leur vaudra, à toutes époques, les brimades, le rejet, les accusations de sorcellerie et la persécution qui en suit. La première partie de l’ouvrage est à ce titre d’une grande intensité narrative, naviguant entre les siècles, de la Préhistoire au Moyen-Âge puis jusqu’au XXe siècle, pour ancrer dans les profondeurs de l’Histoire, le destin de cette famille et celui d’Édouard.

Lorsque la guerre de 14 éclate, Édouard est au front, et, dans les combats, il se retrouve totalement défiguré, gueule cassée parmi tant d’autres.

Jean-Marc Rochette nous raconte l’histoire d’amour qu’Édouard vit ensuite avec Jeanne Sauvage, jeune femme qui gagne son pain en confectionnant des masques pour les gueules cassées. Sculptrice, elle se bat pour se faire un nom dans la capitale. Mais, face à une société gangrénée par les vices de la vie urbaine, Édouard lui propose la découverte du contact direct avec la nature, fidèle à sa philosophie de l’isolement. Ce rapport aux éléments et à la faune du Vercors bouleversera le regard que porte Jeanne sur sa vie.

Le dessin de Jean-Marc Rochette est très particulier et semble entraîné par deux courants contraires : riche en texture, fait de coups de pinceau parfois très instinctifs, il dégage une force brute. Pourtant, tout au long des plus de deux cents pages de l’album, il semble obéir à une forme de système, une forme de détachement, une volonté permanente d’éviter de surjouer, comme si Rochette tenait une caméra en veillant à ne pas déranger les acteurs, à distance, faisant de son mieux pour éviter tout effet… Un système donc, certes, mais riche d’un trait qui n’est pas toujours sage.

L’album est une véritable ode au retour à la nature. Tragique, en tension permanente, le récit raconte cette impossible rencontre entre la société des villes et cet homme ancré dans un lien étroit avec la roche, la faune et la flore.


La Dernière Reine de Jean-Marc Rochette, Casterman, 2022, 240 p.Au cœur des années 80, Jean-Marc Rochette avait mené dans la revue À Suivre..., aux côtés du scénariste Jacques Lob, le long récit du Transperceneige. Une fresque post-apocalyptique mettant en scène une lutte sociale et dont l’action se déroulait intégralement dans les wagons d’un train. Une épopée...

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