Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

« Par des terres qui te sont inconnues »

Venir aujourd’hui à Beyrouth pour assurer plusieurs conférences sur le thème des relations entre science et religion aurait pu paraître déplacé au regard de la situation sociale et économique que doivent affronter les Libanais ; moi-même, j’ai été traversé par le doute, la veille de mon départ de Paris. Fort heureusement, l’engagement que j’avais pris, l’enthousiasme de mes interlocuteurs lors de la préparation de mon séjour et l’amitié de Mona Nehme, la présidente des Échanges internationaux au Liban et l’instigatrice de cette invitation, ont fait disparaître toute hésitation de ma part. Ainsi ai-je pu rencontrer des chefs d’établissement et des professeurs de l’enseignement catholique, plusieurs classes de leurs élèves, des étudiants et des chercheurs de l’Université Saint-Joseph, des membres du personnel soignant de l’hôpital Rizk. Tous m’ont écouté avec une incroyable attention, ont partagé leurs propres questions sur les sujets que j’abordais, mais aussi leurs inquiétudes, leurs doutes et leurs espoirs vis-à-vis des catastrophes (un mot qui revient malheureusement si souvent) qui frappent leur pays.

Plusieurs fois l’émotion m’a envahi, au moment de prendre la parole : qui suis-je pour m’adresser à eux ? N’était-ce pas d’abord à moi de les écouter afin de compatir à une souffrance parfois « criante » ?

Au fil des conférences, de nos échanges, une conviction s’est forgée. Au-delà du caractère « secondaire » de mon propos et grâce à nos échanges, il m’est apparu que la longue et chaotique histoire des relations entre la recherche scientifique et les traditions religieuses, ponctuée d’événements parfois douloureux mais aussi d’émerveillements partagés, habituée de figures exceptionnelles, cette histoire donc pouvait nous offrir quelques enseignements susceptibles de nous aider à aller de l’avant. Et je pense là à une personnalité hors du commun qui a marqué mon propre parcours : Pierre Teilhard de Chardin, savant, jésuite et grand homme de Dieu.

Qu’il s’agisse du front de la Grande Guerre ou du désert de Gobi, des chantiers de la théologie du XXe siècle ou de la quête mystique, cet homme n’a jamais hésité à explorer des terres qui lui étaient d’abord inconnues. Il a montré toutes les qualités de l’aventurier : la curiosité, la capacité à prendre et à gérer les risques, la revendication d’une pensée libre et même un certain anticonformisme. Bien plus, lui qui a consacré sa carrière scientifique à l’étude du passé de notre planète et de notre espèce n’a jamais cessé de se tourner vers le futur. « En avant ! » répétait-il, conscient que si une part de demain appartient à l’avenir, autrement dit ce qui nous advient sans que nous puissions l’influencer, une autre part relève du futur, c’est-à-dire de ce que nous pouvons décider, construire par nous-même. Dès lors, martelait-il, nous ne devons pas avoir peur du réel : même s’il a parfois les allures et la consistance de la boue, nous avons la capacité de le purifier, de le transformer en or. Tel était, à ses yeux, le pouvoir de la foi.

Pierre Teilhard de Chardin avait confiance dans les sciences, dans les techniques et, avant tout, dans les humains. Une confiance certes parfois un peu exagérée, mais il n’était pas dupe des aspects les plus sombres de notre nature : il les avait vus à l’œuvre au cours de deux conflits mondiaux. Sa foi regardait plus loin, en avant. Il était convaincu de l’émergence, lente et même douloureuse, d’une conscience humaine globale, qu’il avait baptisée « noosphère ».

N’est-ce pas de semblables qualités dont nous avons aujourd’hui besoin ? Demain constitue à plus d’un égard une terre en grande partie inconnue. Demain est en partie notre avenir, mais aussi, autant que nous le voudrons, notre futur. Les jeunes que j’ai rencontrés à Beyrouth me donnent confiance sur leur futur, sur notre futur… même si, je le sais, les conditions dans lesquelles ils vivent aujourd’hui leur jeunesse ne sont guère simples. Mais ils ne sont pas seuls : leurs enseignants sont aussi des éducateurs, des tuteurs soucieux de les aider dans leur développement personnel, autant que d’accompagner leur croissance humaine. En leur accordant la confiance et la liberté dont ils ont besoin.

Et Dieu dans tout cela ? Lorsqu’il s’adressait à ceux qui, parmi ses contemporains, étaient croyants, Pierre Teilhard de Chardin en parlait comme du point oméga : celui qui nous attire à lui, en nous laissant le temps et les moyens de notre propre évolution. Il était convaincu que Dieu nous confie notre futur.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, «L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Venir aujourd’hui à Beyrouth pour assurer plusieurs conférences sur le thème des relations entre science et religion aurait pu paraître déplacé au regard de la situation sociale et économique que doivent affronter les Libanais ; moi-même, j’ai été traversé par le doute, la veille de mon départ de Paris. Fort heureusement, l’engagement que j’avais pris, l’enthousiasme de mes...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut