
Le Premier ministre libanais Nagib Mikati et le ministre de l'Intérieur Bassam Maoulaoui au Grand Sérail, à Beyrouth, le 5 juillet 2022. Photo Dalati et Nohra
Le ministre sortant de l'Intérieur, Bassam Maoulaoui, a enjoint mercredi aux forces de sécurité de ne plus donner suite aux décisions provenant de la procureure générale près la cour de cassation du Mont Liban Ghada Aoun, qui a lancé des procédures judiciaires contre plusieurs banques libanaises. Cette injonction intervient après que M. Maoulaoui a reçu une lettre à ce sujet de la part du Premier ministre sortant Nagib Mikati, lui demandant de prendre des "mesures appropriées" aux circonstances concernant ces procédures.
La réponse de Mme Aoun à cette décision, ne s'est pas fait attendre puisqu'elle a accusé, sur Twitter, M. Mikati de "s'ingérer" dans le travail de la justice.
La juge, qui multiplie les procédures à l’encontre des établissements bancaires depuis au moins un an, a récemment engagé des poursuites contre la Société générale de banque au Liban (SGBL) et son PDG Antoun Sehnaoui, ainsi que contre la Bank Audi, pour "blanchiment d’argent", après le non-respect d'un délai qu’elle leur avait fixé vendredi dernier pour remettre des documents, requis dans le cadre de son enquête sur de nombreux établissements bancaires du pays. Mme Aoun avait, en effet, averti au préalable qu’elle poursuivrait toute banque qui refuserait de lui communiquer les relevés de compte de son président et des membres de son conseil d’administration, ainsi que ceux de ses auditeurs et commissions de surveillance. Mardi, la procureure a également fait apposer des scellés sur les locaux du centre de données de Bank of Beirut à Mansourié dans le Metn.
Dans son courrier estampillé "très urgent" adressé à la direction générale des Forces de sécurité intérieure et à celle de la Sûreté générale, Bassam Maoulaoui demande aux organes sécuritaires de "ne pas accompagner" la procureure Aoun et de ne pas "faire appliquer ses décisions". Le ministre sortant précise que cette demande se base sur la lettre envoyée par Nagib Mikati.
"Comportements déviants"
Dans cette dernière, le Premier ministre sortant souligne que la juge ne devrait plus être chargée des dossiers concernant les banques, faisant notamment valoir le fait qu’elle est visée par un recours déposé par des représentants des banques afin qu'elle soit dessaisie de ces affaires, et ce, malgré le fait qu’elle ait "refusé d'être notifiée" de cette procédure lancée à son encontre. Le fait que la procureure "continue de mettre la main sur l'enquête" visant les banques "viole la loi", insiste le Premier ministre sortant dans sa lettre.
Ce document souligne que, s'il est important de préserver les prérogatives et l'indépendance des juges "sans ingérence de la part de n'importe quelle autorité ou organe sécuritaire", cela est "conditionné par le fait que la pratique de la justice doit entrer dans le cadre de la loi et ne pas s'opposer aux règles du droit avec des comportements déviants". Nagib Mikati dénonce encore le fait que les procédures engagées par la juge s'en prennent à "l'une des composantes de l'économie nationale, à savoir les banques, qu'il est de la responsabilité de tous de préserver".
Le Premier ministre sortant cite également l'article 751 du code de procédure civile qui prévoit que si un juge fait lui-même l'objet d'une plainte, depuis le dépôt de cette plainte, il ne peut mener aucune action envers celui qui a porté plainte contre lui.
"Le bon fonctionnement de la justice"
Face à cette situation, M. Mikati réclame donc du ministre sortant de l'Intérieur que soient prises "des procédures et mesures appropriées, permises par les lois et les règlements concernés, pour faire appliquer les dispositions de la loi et en empêcher toute violation, et préserver le bon fonctionnement de la justice". De fait, en sa qualité de ministre de l'Intérieur, Bassam Maoulaoui a autorité sur les différents organismes de sécurité du pays, qui font appliquer les décisions de Mme Aoun.
La procureure générale a rapidement réagi au courrier envoyé par Nagib Mikati. Dans un tweet, elle lance un "appel urgent aux instances internationales et au Parlement européen" : selon elle, Nagib Mikati "s'ingère d’une manière flagrante dans la justice dans le but d'arrêter les investigations que je mène dans l'affaire des banques et du blanchiment d’argent, pour la défense de l'Etat de droit". Elle appelle ces instances "à l'aide".
"Afin de prévenir toute mauvaise interprétation de la lettre adressée par M. Mikati au ministre de l'Intérieur Bassam Maoulaoui, nous voulons assurer que le chef du gouvernement ne s'est jamais mêlé et ne se mêlera jamais du travail de la justice. Il s'appuie sur les données qui lui ont été fournies et qui comportent un exposé détaillé des infractions imputables à certains juges", a rétorqué dans un communiqué le bureau de presse du Premier ministre sortant, en fin d'après-midi.
Il a également rappelé que le travail des juges "doit rester lié à une pratique conforme à la loi et ne pas porter atteinte aux bases légales", affirmant qu'il relève "de la responsabilité de chacun de préserver le secteur bancaire sans que cela signifie pour autant que toute banque soit épargnée par les poursuites". Dans la soirée, le ministre sortant de la Justice Henri Khoury s'est déclaré "attaché à l'indépendance de la justice et au principe de séparation des pouvoirs, ainsi qu'à l'absence d'ingérence dans son travail", en réaction aux décisions de M. Mikati.
Le bras de fer opposant la juge Ghada Aoun d’un côté, les banques libanaises et la Banque du Liban de l’autre constitue l'un des principaux feuilletons politico-financiers qui ont accompagné la crise qui ravage le pays depuis 2019.
Le ministre sortant de l'Intérieur, Bassam Maoulaoui, a enjoint mercredi aux forces de sécurité de ne plus donner suite aux décisions provenant de la procureure générale près la cour de cassation du Mont Liban Ghada Aoun, qui a lancé des procédures judiciaires contre plusieurs banques libanaises. Cette injonction intervient après que M. Maoulaoui a reçu une lettre à ce sujet de la...
commentaires (17)
Bravo à Ghada Aoun qui a le courage de mener des enquêtes dans lesquelles des politiciens de tous bords ont les mains dans la confiture,
Sam
09 h 07, le 24 février 2023