Au Liban, les crises se succèdent et s’accumulent, sans la moindre perspective de solution. Mais au lieu de pousser à une réflexion nationale sur de possibles issues, le repli identitaire semble être le principal mécanisme de défense. Sous divers titres et différentes appellations, un courant de plus en plus important fait ainsi son apparition au sein de la communauté chrétienne prônant une sorte d’autonomie dans « ses » régions, par rapport aux autres. Cette tendance que l’on croyait disparue depuis l’adoption de l’accord de Taëf s’était développée pendant les années de la guerre civile avant de baisser d’un cran lors de « la guerre d’élimination » en 1990, entre les Forces libanaises et l’armée. Mais elle n’a jamais été effacée des esprits, revenant sous différentes formes dès que la peur des autres ressurgit dans l’esprit des chrétiens. C’est surtout le cas en période de crise. Faute de solution concrète à offrir aux Libanais, certaines parties y ont recours pour mobiliser la rue et consolider leurs positions. Récemment, le cheikh Ali Khatib, vice-président du Conseil supérieur chiite, déclarait à la presse que les Libanais sont divisés sur tout. Chaque sujet se transforme ainsi en conflit à connotation confessionnelle, qui radicalise les positions et pousse chaque communauté à réclamer une plus grande autonomie.
De fait, au cours des dernières années et face à l’ampleur de la crise sociale, économique, financière, politique et institutionnelle, l’option de revenir à une certaine forme de division du pays en régions confessionnelles réapparaît de façon indirecte. Le chef du parti Kataëb Samy Gemayel a ainsi brandi la menace d’un divorce avec les autres composantes, et plus particulièrement le Hezbollah, alors que le chef des Forces libanaises a laissé entendre récemment qu’il pourrait réclamer le changement total du système, dans ce qui a été perçu comme une allusion à une forme d’autonomie chrétienne, ce qu’il a démenti hier.
Toutefois, indépendamment de ces déclarations, certains groupes politico-juridiques travaillent sur des formules entre la fédération et la partition et cherchent à les exposer dans certains milieux, notamment européens. Pourquoi ne pas recourir tout simplement à la fédération ? Pour certains, ce système politique ne peut pas s’appliquer au Liban, parce que dans une fédération, la politique étrangère et la défense restent communes à tous les États. Bref, les idées et les formules sont multiples, mais le phénomène de repli identitaire s’amplifie au sein de la communauté chrétienne, tantôt sous prétexte de paiement des impôts et taxes et tantôt sous couvert de droits communautaires bradés. Toutefois, ceux qui militent pour ces formules savent parfaitement que celles-ci ne peuvent pas se concrétiser au Liban sans une couverture et un appui internationaux. Ils font donc désormais campagne auprès des décideurs en Europe. De nombreuses réunions se sont ainsi tenues avec des groupes parlementaires européens pour expliquer les craintes des chrétiens du Liban et la nécessité d’obtenir une forme d’autonomie politique et administrative par rapport aux autres communautés pour se protéger, surtout face au développement de la force du Hezbollah. Le projet peut paraître irréalisable, notamment pour ceux qui avancent qu’une partition claire ou déguisée au Liban ne peut pas se faire sans un projet similaire pour les pays voisins, notamment la Syrie, l’Irak, voire la Jordanie. Or il n’y a rien de tel en vue pour l’instant. Même si la situation reste confuse en Syrie, rien n’indique que le pays se dirige vers une partition. Bien au contraire, le pouvoir central semble reprendre la main. Même chose en Irak. Et en Jordanie, la crise sociale n’a jusqu’à présent aucune dimension de changement de régime. De plus, pendant les années de la guerre civile libanaise, alors que les forces politiques chrétiennes étaient encore à l’apogée de leur puissance, le projet de partition ou de fédération n’a pas pu se concrétiser, comment pourrait-il l’être maintenant, si les autres communautés n’en veulent pas ? Le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah a récemment déclaré dans un de ses discours que son parti est avec « le Liban des 10 452 km2 » (le slogan lancé en 1982 par Bachir Gemayel), et aussi bien les grandes figures sunnites et druzes n’évoquent aucun projet d’autonomie confessionnelle.
Malgré cela, les partisans du projet essayent d’obtenir un appui occidental. Il y a eu à cet effet des rencontres dans plusieurs capitales européennes, et selon certaines personnalités impliquées dans le projet, l’idée de préserver un espace sous influence occidentale ou plus précisément européenne au Liban, à défaut de le faire sur l’ensemble du pays, trouve des échos chez certaines parties. En effet, si on veut donner une autonomie à une région libanaise ayant une coloration confessionnelle déterminée, il faudrait aussi lui fournir un parapluie qui la protégerait des autres. Il s’agirait en quelque sorte d’une mise sous tutelle déguisée, qui commence à circuler dans certains milieux. Les chrétiens seraient ainsi sous tutelle occidentale et les chiites auraient leur Liban pro-iranien, alors que le reste du pays serait pour l’instant livré à lui-même. Dans ce contexte, l’affaiblissement des institutions officielles auquel nous assistons ne serait pas un hasard.
Toutefois, selon des sources diplomatiques européennes, le Vatican, qui a été sondé à ce sujet, n’aurait exprimé aucun enthousiasme, se contentant de rappeler que la politique du Saint-Siège est de pousser les chrétiens d’Orient à s’intégrer dans les sociétés environnantes. De même, des sources de sécurité libanaises qui reconnaissent que le climat actuel du pays est inquiétant, notamment les discours confessionnels, estiment qu’un scénario de mise sous tutelle et de partage de facto du pays n’est pas envisagé à ce stade, d’autant qu’il faut tout un processus pour y aboutir et peut-être même des secousses sur le terrain. Ce qui ne semblerait pas prévisible dans un avenir proche.
Au Liban, les crises se succèdent et s’accumulent, sans la moindre perspective de solution. Mais au lieu de pousser à une réflexion nationale sur de possibles issues, le repli identitaire semble être le principal mécanisme de défense. Sous divers titres et différentes appellations, un courant de plus en plus important fait ainsi son apparition au sein de la communauté chrétienne...
commentaires (7)
Pour les chrétiens qui sont divisés au moins en quatre parties antagonistes impossibles à raccorder (CPL, FL, Marada , Kataen) le grand danger est le glissement vers la guerre interne ou les conflits interminables dans le cas où la partition administrative est déclarée : Elle aboutira à la destruction totale des institutions côté chrétien . Ce paradigme ne s'applique pas chez les chiites (toujours unis en toutes circonstances ) ni les druzes ni les sunnites ! Un autre gros danger qui pointe au cas o`pu l'on choisit la partition administrative : Quelles frontières dessiner ? Les guerres sanglantes entre factions confessionnelles chrétiennes et musulmanes afin de les délimiter aboutiront à un désastre total ! Et que faire des villes isolées comme Zahlé, Deir-el-Kamar , Qobeyate , etc etc ?
Chucri Abboud
07 h 32, le 29 janvier 2023