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Moyen-Orient - REPORTAGE

À Masafer Yatta, le désarroi des bergers palestiniens

Dans cette zone semi-désertique au sud de la Cisjordanie, les habitants vivent au rythme des démolitions et des reconstructions. Un cycle qui semble infini. Mais, avec le nouveau gouvernement israélien, la communauté redoute d’être définitivement chassée de la région.

À Masafer Yatta, le désarroi des bergers palestiniens

Le village de Tuwani se situe dans les collines au sud d’Hébron, en Cisjordanie occupée. Dans cette zone, les avis d’expulsion ou de démolition de maisons font partie du quotidien de la communauté. Photo A.F.

Depuis le village de Tuwani, à l’extrême sud de la Cisjordanie occupée, la vue est imprenable. Des collines arides aux airs de paysage lunaire, des routes sinueuses, quelques parcelles de blé, des oliviers et des maisons de béton dont la façade n’a jamais été terminée. Près d’une station-service de fortune construite au milieu des habitations, quelques femmes du village prennent le soleil et boivent du café – c’est l’heure du déjeuner – lorsque soudain, elles aperçoivent, à l’horizon, deux voitures blanches. « C’est l’administration civile israélienne ! » alertent-elles. Ni une ni deux, une petite troupe de militants – un Palestinien et deux Israéliens anti-occupation – les entend, saute dans une voiture et décide de les suivre.

Le 4x4 traverse chaotiquement un décor de terre jaune et sèche, passe par plusieurs hameaux palestiniens. « Elles sont allées de quel côté ? Vous les avez vues ? » lance depuis le véhicule Bassel Adra aux habitants, faisant référence aux deux voitures du COGAT, l’administration civile israélienne. « Pour nous, palestiniens, c’est toujours mauvais signe de les voir », explique ce jeune homme de 26 ans qui documente en permanence ce qui se passe dans cette région sur les réseaux sociaux. « L’administration civile est là uniquement pour des destructions, pour confisquer des terres ou encore pour apporter des ordres de démolition. Parfois, elle vient chasser des bergers en leur disant qu’ils sont sur des terres qui appartiennent à l’État, elle ferme des routes, empêchant les habitants d’entrer dans des villages ou elle nous interdit des zones entières en précisant que ce sont des zones archéologiques protégées. En fait, ils contrôlent tout ce qui touche à la terre ici. »

Ce 4x4 essaie de suivre deux véhicules de l’administration civile israélienne. Au volant, Yuval Abraham, militant israélien anti-occupation, à côté, Bassel Adra, palestinien du village de Tuwani. Photo A.F.

Avis de démolitions

Dans cette zone au sud d’Hébron, les habitants de Masafer Yatta vivent à la merci des destructions menées par l’armée israélienne depuis les années 1980. Depuis le 4 mai dernier, ces bergers et agriculteurs palestiniens craignent pourtant d’avoir bel et bien perdu la bataille leur permettant de rester sur leurs terres : après deux décennies de procédures judiciaires, la Haute Cour de justice israélienne a donné raison à l’armée, qui veut faire de leurs terres un camp d’entraînement, « la zone de tir 918 ». Une décision de justice, adoptée à l’unanimité, qui ouvre la voie à l’expulsion de près d’un millier de Palestiniens. Et qui pourrait être, estiment des défenseurs des droits, la plus importante opération de déplacement de Palestiniens en Cisjordanie occupée depuis la guerre des Six-Jours, en 1967. Pour le moment, seuls 8 villages sont concernés sur la douzaine que compte Masafer Yatta, répartie sur 3 000 hectares. Mais, dans les hameaux alentour, les avis de démolitions pleuvent et le cycle d’expulsions semble sans fin.

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La petite équipe qui crapahute s’arrête devant une maison éloignée de la route principale, au milieu d’un terrain rocheux. Devant la porte, sur une chaise en plastique, Mamdouh Mohammad Talab Daajneh prend sa tête entre ses mains. Quelques minutes plus tôt, lorsque ce berger palestinien était en train de nourrir son troupeau, les deux véhicules en question sont arrivés chez lui : les soldats de l’armée israélienne ont fait sortir sa femme et ses quatre filles de la maison et les fonctionnaires de l’administration civile ont déposé sur sa porte un ordre de démolition. « Ils disent que j’ai 96 heures pour détruire ma maison. Quatre jours… Et si je ne l’ai pas détruite moi-même, ils viendront avec leurs bulldozers la raser et me feront payer les frais de démolition », soupire-t-il. Sur le fameux papier – en hébreu, traduit en arabe – se trouvent les coordonnées GPS de sa maison qu’il a construite quatre mois plus tôt, sans permis, l’administration civile israélienne n’en délivrant quasiment pas aux Palestiniens dans cette zone. « Ils considèrent que ma maison est illégale alors que je suis propriétaire du terrain. La terre appartenait à mon père, à mon grand-père, et ainsi de suite depuis des années », soutient-il.

Avant, Mamdouh vivait dans une tente avec sa famille et s’est décidé à construire à cause du froid et de la pluie. « Histoire de mettre mes filles à l’abri car mon aînée n’a que six ans, souffle-t-il. Mais les forces d’occupation israéliennes n’ont aucune empathie : elles ne comprennent pas les enfants et ça ne leur pose aucun problème de les mettre à la porte en plein hiver. » Il pointe du doigt la colonie que l’on devine au loin, précise que là-bas, ils ont des routes et de l’eau courante tandis que lui doit l’acheter en citerne. « Et si je vous explique comment j’ai de l’électricité, vous ne me croirez même pas », ajoute-t-il, montrant deux câbles au sol qu’il connecte à sa voiture, la laissant allumée pour avoir un peu de courant. « Juste pour avoir de la lumière, impossible d’avoir un réfrigérateur ou une télévision. J’accepte de vivre dans les conditions les plus rudimentaires, mais même ça on ne me le permet pas… ».

Dans sa maison qu’il doit détruire en 96 heures, Mamdouh Mohammad Talab Daajneh pose avec ses quatre filles de 6, 4, 3 et 2 ans. Il tient dans ses mains l’ordre de démolition apporté quelques minutes plus tôt par l’administration civile israélienne. Photo A.F.

« Crime de guerre »

– Comme lui, nombreux sont les habitants de cette zone qui craignent que tout s’accélère, notamment avec l’arrivée du nouveau gouvernement israélien, le plus à droite de l’histoire : neuf avis de démolition ont été déposés le même jour. « Ceux qui ont permis à ce gouvernement de s’installer et ceux qui ont voté pour Itamar Ben Gvir (figure de l’extrême droite israélienne et ministre de la Sécurité nationale) vont désormais leur demander d’agir, précise Sami Hureini, membre de “Youth of Sumud”, un groupe de résistance pacifique et habitant de Tuwani. Il y a une pression à toujours plus d’extrémisme : je crains que les habitants de Masafer Yatta soient les premières victimes de cette nouvelle coalition. » Quelques jours à peine après l’investiture du cabinet, Israël a informé « que l’État prévoyait d’offrir aux résidents un lieu alternatif » pour le millier de Palestiniens de Masafer Yatta qui recevraient un avis d’expulsion. « C’est une menace qui ne laisse pas le choix aux habitants, répond B’Tselem, organisation israélienne anti-occupation. Par conséquent, l’“offre” israélienne d’une alternative n’a aucun sens : c’est un transfert forcé de personnes qui se trouvent sur un territoire occupé, et c’est un crime de guerre. »

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Posté devant la maison de Mamdouh, Yuval Abraham, un jeune militant israélien anti-occupation, parfaitement arabophone, s’insurge. « J’espère qu’un jour, ces fonctionnaires de l’administration d’occupation auront honte, quand leurs enfants leur demanderont : “Papa, qu’as-tu fais durant ta vie ?” et qu’ils répondront : “Nous avons détruit des maisons et brisé des familles”. En attendant ce jour-là, ils sont fiers de leurs actes. Les Israéliens dans leur ensemble ne reconnaissent même pas que leur pays a mis en place une politique méthodique pour déplacer la population palestinienne. » Il hausse les épaules et regarde avec impuissance l’habitation, les quatre filles de Mamdouh. « Sur le terrain, les Palestiniens ont incarné le “Soumoud”, précise Sami Hureini, cette persévérance dans la résistance, et ce malgré l’hypocrisie et le silence de la communauté internationale sur les crimes quotidiens qu’Israël commet. Mais tant que ce gouvernement ne sera pas sanctionné, rien ne changera. »

Depuis le village de Tuwani, à l’extrême sud de la Cisjordanie occupée, la vue est imprenable. Des collines arides aux airs de paysage lunaire, des routes sinueuses, quelques parcelles de blé, des oliviers et des maisons de béton dont la façade n’a jamais été terminée. Près d’une station-service de fortune construite au milieu des habitations, quelques femmes du village prennent...

commentaires (3)

Voici détaillé dans cet article bien écrit le vrai quotidien des palestiniens depuis des dizaines d'années expulsions de leur terres ancestrales destruction de leur maison emprisonnement destitution de leur biens etc etc..le tout dans un silence voulu par tous mais quand un palestinien s'en prend à un colon sa fait la une de toutes les actualités du monde et on le traité de terroriste..oui c'est bien cet état israélien qui prospère sur le sang des palestiniens que les USA Europe et autres défendent ces mêmes états qui se disent défenseur des opprimés et des droits de l'homme...qu'elle hypocrisie mondiale répugnante!

kassem chady

12 h 42, le 22 janvier 2023

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Commentaires (3)

  • Voici détaillé dans cet article bien écrit le vrai quotidien des palestiniens depuis des dizaines d'années expulsions de leur terres ancestrales destruction de leur maison emprisonnement destitution de leur biens etc etc..le tout dans un silence voulu par tous mais quand un palestinien s'en prend à un colon sa fait la une de toutes les actualités du monde et on le traité de terroriste..oui c'est bien cet état israélien qui prospère sur le sang des palestiniens que les USA Europe et autres défendent ces mêmes états qui se disent défenseur des opprimés et des droits de l'homme...qu'elle hypocrisie mondiale répugnante!

    kassem chady

    12 h 42, le 22 janvier 2023

  • C'est le seul régime apartheid qui tient encore dans ce monde avec la bénédiction du monde occidental!

    CW

    12 h 09, le 22 janvier 2023

  • On dirait les nasis et la partheide …

    Eleni Caridopoulou

    20 h 23, le 21 janvier 2023

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