« Combien de temps allons-nous rester captifs ici, mes amis et moi-même, après ces longues années de souffrance? Où sont l’État et le peuple d’Israël ? » s’interroge Avera Mengistu, détenu depuis huit ans par la branche militaire du Hamas, les Brigades al-Qassam, dans une vidéo diffusée le 16 janvier. Retenu en otage après avoir traversé la barrière israélienne entourant la bande de Gaza « par erreur » en 2014, le prisonnier demande au nouveau gouvernement israélien d’obtenir sa liberté et celle de son confrère, le soldat Hicham el-Sayed. Dans cette même séquence, le groupe palestinien stipule que le nouveau chef d’état-major israélien Herzi Halevi, qui avait été nommé le jour même, devait « être prêt à porter le poids de l’échec de son prédécesseur et à en subir les conséquences ». L’occasion de ramener le dossier des prisonniers palestiniens détenus en Israël au cœur de l’agenda politique du nouveau gouvernement, à l’heure où les Palestiniens s’inquiètent de l’avenir que leur réservera ce cabinet le plus à droite de l’histoire. Azmi Kechawi, chercheur palestinien pour International Crisis Group à Gaza, revient pour L’Orient-Le-Jour sur le contexte et les enjeux de cette vidéo.
Pourquoi cette vidéo a-t-elle été diffusée maintenant ?
Les Brigades al-Qassam ont choisi un moment très sensible pour diffuser cette séquence : les discussions au sujet des prisonniers israéliens ont été suspendues depuis un certain temps et Israël vient tout juste de changer de gouvernement. Le Hamas a propagé cette courte vidéo le jour de l’investiture du nouveau chef d’état-major de l’armée israélienne pour montrer que la résistance palestinienne contrôle toujours la situation, même après cette longue période de silence. Le mouvement islamiste tente de mettre en lumière les échecs de l’ancien chef d’état-major Aviv Kohavi, qui n’est pas parvenu à obtenir ne serait-ce qu’une information sur la capture des prisonniers israéliens depuis leur enlèvement ou un accord avec le Hamas pour procéder à leur libération. Le groupe résistant dresse l’image d’un ancien gouvernement qui n’a pas réussi à faire progresser la position de la résistance palestinienne. Pour le groupe au pouvoir dans la bande de Gaza, le nouveau gouvernement israélien ne fera pas mieux. Ce dernier est arrivé avec un agenda très hostile qui va sans doute changer le statu quo en Cisjordanie et à Gaza.
Face aux critiques des alliés occidentaux et d’une partie de la population israélienne à l’égard du nouveau gouvernement, dans quelle mesure le Hamas tente-t-il d’affirmer sa position sur le dossier palestinien ?
Cette vidéo est un outil de guerre psychologique envers Israël. Son objectif principal est de déstabiliser le gouvernement en tirant profit de l’instabilité à l’échelle de la population israélienne. Avera Mengistu, d’origine éthiopienne, exprime sa frustration en tant que soldat israélien et insiste sur la négligence totale du gouvernement pour sa souffrance et celle des autres captifs. Son apparition a pour but de rappeler au public la distinction qu’Israël effectue entre ses citoyens et ainsi de renforcer l’inquiétude face aux actions du nouveau gouvernement, le plus extrémiste de l’histoire d’Israël. En témoigne le nombre d’Israéliens déjà sortis dans la rue pour manifester contre Benjamin Netanyahu qui, selon eux, menace l’État d’Israël et la démocratie. Le Hamas a ainsi saisi ce climat pour pousser le Premier ministre israélien à donner au dossier palestinien autant d’importance qu’à la normalisation avec les pays arabes dans son agenda.
Le groupe veut également démontrer à la communauté internationale qu’il est toujours un acteur-clé dans la résistance palestinienne et alerter, par effet miroir, sur le nombre de détenus palestiniens en Israël. Avera Mengistu est en très bonne santé, comme l’a confirmé sa famille. A contrario, de nombreux Palestiniens meurent dans les prisons israéliennes en raison du manque d’assistance médicale ou des mauvaises conditions de détention. Beaucoup d’autres risquent de mourir à l’avenir avec l’arrivée du nouveau chef d’état-major israélien, signant l’adoption de mesures plus sévères contre les Palestiniens.
Tandis que le Hamas semble vouloir conclure un accord d’échange de prisonniers avec Israël, quels seraient les enjeux pour les deux parties ?
Historiquement, les accords d’échange de prisonniers, considérés comme impossibles, ont toujours été refusés dans un premier temps, mais ont finalement toujours été conclus sous certaines conditions. Le problème principal est que beaucoup de politiciens israéliens n’intègrent pas vraiment ce dossier à leur agenda politique. Le message du Hamas au gouvernement est clair : « Vous n’avez qu’une seule voie pour clore ce dossier : accepter les conditions que les Palestiniens de Gaza ont émises », c’est-à-dire libérer tous les prisonniers palestiniens aux mains d’Israël. Dans un avenir proche, il n’y aura pas beaucoup de changement dans ce statu quo, à moins qu’il ne compromette le maintien du gouvernement. Dans ce cas, un accord d’échange de prisonniers pourrait être effectué.
Le Hamas a déjà montré sa patience par le passé, et il est prêt à attendre le meilleur deal pour clore ce dossier. Avec cette vidéo, il est dans tous les cas gagnant. Si les deux parties parviennent à un accord, c’est un succès pour le mouvement de résistance, car il obtiendra la libération de ses prisonniers. Dans le cas contraire, c’est aussi un succès, car cela signifie que le nouveau gouvernement israélien débute par un échec. Le Hamas pousse son ennemi à commettre des erreurs en jouant sur l’instabilité actuelle qui émane de l’intérieur d’Israël et pour lui donner un visage encore plus mauvais aux yeux de la communauté internationale.
Mais les prisonniers palestiniens ne peuvent pas attendre, leurs conditions se dégradant de jour en jour. Cette vidéo est aussi un message pour pousser les autorités israéliennes à traiter ce dossier en priorité.