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Lifestyle - Conférence

Le voile n’est pas récent, il remonte à la nuit des temps

Le voile n’est pas l’apanage des femmes musulmanes. La première loi imposant cet accessoire vestimentaire remonte à l’époque mésopotamienne, il y a 5 000 ans environ, selon la conférencière Hana Chidiac.

Le voile n’est pas récent, il remonte à la nuit des temps

La conférencière Hana el-Banna Chidiac, responsable de l’Unité patrimoniale Afrique du Nord et Proche-Orient, département du patrimoine et des collections, au musée du Quai Branly – Jacques Chirac. Photo DR

« Le voile des femmes de l’Antiquité à nos jours », voilà le thème de la conférence donnée au musée archéologique de l’Université américaine de Beyrouth (AUB) et à la Fondation Audi à Saïda par Hana el-Banna Chidiac, responsable de l’Unité patrimoniale Afrique du Nord et Proche-Orient, département du patrimoine et des collections, au musée du Quai Branly – Jacques Chirac. Revenant sur l’origine du port du voile, élément de l’habit féminin s’inscrivant dans une tradition plusieurs fois millénaire, la conférencière a catapulté l’auditoire des milliers d’années en arrière en mettant en lumière des statuettes, des tablettes d’argile et des peintures murales découvertes dans les principales cités du Levant et en Mésopotamie, bien avant l’avènement de l’islam.

Les femmes de Palmyre portant le voile. Collection musée de l’AUB. Photo DR

L’archéologie explore l’histoire de ce bout de tissu
Les nombreux artefacts confirment que l’usage du voile n’est ni récent ni propre au monde musulman. « Il s’inscrit dans une tradition plusieurs fois millénaire. Il est présent de la Mésopotamie à l’Égypte et dans les pays du bassin méditerranéen depuis l’Antiquité », indique Hana Chidiac, précisant que l’usage du lin à des fins textiles remonterait à 8 000 ans avant J-C. Une tablette de comptabilité représentant une scène de tissage, découverte à Suse, en Iran (IVe millénaire, musée du Louvre) illustre son propos. Une autre tablette provenant de Girsu (ancienne cité de Sumer en Irak) mentionne la réception de 13 costumes en laine (Musée des beaux-arts de Lyon). Pour la petite histoire, certains historiens racontent qu’à la suite de fouilles menées à Suse dans la seconde moitié du XIXe siècle, des centaines d’objets ont été transportés à dos de mulet, en chariots puis en bateau, et ramenés en France pour alimenter le musée du Louvre. Parmi les pièces, la stèle de Naram-Sin ou encore les objets de la période proto-élamite dite de Suse III où figurent des tablettes d’argile et un important répertoire animalier, mais aussi et surtout le code de Hammurabi (XIIIe siècle avant notre ère), premier recueil de lois et de jurisprudence de l’histoire, inscrit dans la pierre par le roi de Babylone. Des lois qui révèlent la structure de la société patriarcale.

Statuette de femme coiffée d’un « polos ». Collection musée du Louvre. Photo tirée du site officiel du musée

Les femmes de Mari

Dans le puissant royaume d’Assyrie, qui s’est formé au nord de la Mésopotamie au IIe millénaire avant de s’étendre en Syrie, en Turquie, en Iran et en Irak, « une loi ordonne aux femmes mariées et aux femmes libres de sortir voilées ». C’est la plus ancienne mention connue de cette coutume qui se perpétue encore aujourd’hui en Orient. Sur une tablette datée du XIIe siècle avant J-C découverte à Assur, en Irak, il est écrit : « Les femmes mariées… ou toute femme (assyrienne) qui sortent dans les rues (n’auront pas) la tête découverte. Les filles d’hommes libres (…) seront voilées (…) Une prostituée ne sera pas voilée, sa tête sera découverte (…) Quiconque verra une prostituée voilée l’arrêtera et l’amènera à l’entrée du palais… et on la frappera de cinquante coups de bâton. »

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Le voile des unes, celui des autres

Par ailleurs, à Tell Ahmar (ancienne cité de l’Empire assyrien) en Syrie, les fouilles réalisées par la mission archéologique du Louvre livrent des peintures ornant les murs d’un palais fondé par le roi assyrien Teglath-Phalasar III (745-727). Sur près de 130 mètres de long et 2 mètres de haut, ces œuvres faisant partie de la collection du British Museum illustrent les déportations de population babylonienne, où l’attribut vestimentaire qu’est le voile faisait partie de la tenue des femmes exilées. Une tradition que l’on retrouve également dans la cité de Mari en Syrie (Tell Hariri, début du IIIe-fin du Ier millénaire avant J-C,) dont les fouilles ont révélé 16 statuettes de femmes coiffées d’un polos, ainsi qu’une tablette relatant le mariage de Shibtu, fille du roi d’Alep, avec Zimrî-Lîm, roi de Mari au IIe millénaire. « (…) Vous avez apporté le présent de mariage, mais ma mère est malade et j’ai peur qu’un malheur ne se produise dans mon palais. Aussi, n’avez-vous plus que peu de temps, c’est pourquoi, en hâte, nous avons fait entrer (au palais) (…) le présent que notre Seigneur nous avait fait porter et nous avons mis les voiles sur la fille… » peut-on y lire.

Céramique attique. Photo Creative Commons

Le voile prôné en Grèce, à Rome et en Israël

Les coutumes se ressemblent même à plusieurs dizaines de siècles d’écart. Pour ne donner que deux exemples, dans la Grèce antique, les danseuses étaient voilées (Tanagra, Béotie, 350 avant J-C, Metropolitan Museum, NY) et les femmes étaient représentées avec le même attribut sur tous les vases attiques. Cette tradition perdure dans l’Empire romain. Hana Chidiac cite un passage de l’historien français Michel Fauquier qui décrit les noces de Thétis et de Pelée (Italie, 50 avant J-C-50 après J-C, collection musée du Louvre). « Le jour de son mariage, elle revêtait des chausses dorées, la tunica recta (tunique droite de couleur safran) et le voile flammeum, aux couleurs de l’aurore, qui rappelle la flamme sacrée de la déesse Vesta, déesse du foyer (…). » Côté Israël, Mme Chidiac relève dans la Michna Beroura (le code standard de loi juive) qu’« il est honteux pour les filles d’Israël d’avoir la tête découverte (…) ». Ou encore que « c’est un devoir pour une femme de se couvrir les cheveux, c’est une obligation de la Torah ». Une femme peut toutefois sortir avec une perruque. Celle-ci est illustrée par des photographies, notamment celle d’une « perruque en poils de chèvre » (Maroc, collections Musée du Quai Branly), ou « vêtue de l’izar (camisole à manches longues) et portant un voile de visage en crin de cheval » (photo prise à Bagdad, Irak, fin du XIXe-début du XXe siècle, et conservée au musée d’Israël). Mais un voile intégral intrigue. Il s’agit d’« un nouveau phénomène apparu en Israël dans la seconde moitié des années 2000, notamment dans le quartier ultraorthodoxe de Méa Shearim : c’est celui du port de la frumka (mélange du yiddish frum (dévot) et de burka), sorte de niqab juif », signale la conférencière.

Amphore Dionysos. Photo Creative Commons

Le christianisme, l’islam et le voile

Avec saint Paul, ce bout de tissu dissimulant les cheveux acquiert un statut religieux et cultuel. « Dieu est le chef du Christ. Tout homme qui prie ou qui prophétise la tête couverte déshonore son chef. Toute femme, au contraire, qui prie ou qui prophétise la tête non voilée, déshonore le Christ (…), édicte Tertullien, prêtre de Carthage vers 155-vers 220. Qui que vous soyez, mère, sœur, fille, épouse, voilez votre tête… Revêtez-vous des armes de la pudeur (…) » Depuis octobre 1964, les femmes sont autorisées à entrer tête nue dans les églises catholiques. Auparavant, elles étaient tenues d’arborer une voilette (fixée au chapeau), une mantille ou un foulard. L’obligation pour les femmes de se couvrir la tête n’apparaît plus dans le code de droit canonique de 1983. En France, les femmes ne sont autorisées à pénétrer tête nue dans les églises que depuis le concile Vatican II (1962-1965). Quant au Coran, il ne mentionne pas précisément l’obligation de porter le voile. Seules deux sourates soulignent le devoir de se couvrir. « Dis aux croyantes de baisser leurs regards, d’être chastes, de ne montrer que l’extérieur de leurs atours, de rabattre leur voile (le Khimar) sur leur poitrine, de ne montrer leurs atours qu’à leurs époux ou à leurs pères… » Sous la dynastie des abbassides (750-1258), le port du voile va cependant se généraliser dans les villes et plus particulièrement dans les classes supérieures de la société musulmane, indique Mme Chidiac. Sous les fatimides (969-1171) et plus précisément sous le règne de al-Hakim bi-Amr Allah (6e calife), « l’espace urbain dans les villes est désormais réservé en droit exclusivement aux hommes et proscrit aux femmes ». Du temps des mamelouks (1250-1517), « les juristes musulmans fustigent les femmes qui sortent dans les rues (…) », puis sous la dynastie ottomane (1517-1922), le port du voile est progressivement imposé comme fait social. Dès le XVIIe siècle toutefois, les voiles se feront plus transparents, suscitant les plaintes des hautes personnalités.

Une coutume réempruntée par l’islam politique

Hana Chidiac cite le juriste et écrivain égyptien Qasim Amin (1865-1908), qui souligne que « le hijab que nous connaissons ne nous est pas particulier et n’a pas été inventé par les musulmans. C’est une coutume connue quasiment dans toutes les civilisations, et qui a disparu selon les nécessités sociales, suivant ainsi la voie du progrès et de l’élévation ». Il est temps de lever le voile. Il sera donc aboli en Iran dans les années 1930 par Reza Shah Pahlavi, avant de redevenir obligatoire sous peine d’emprisonnement, en 1983, sous l’ayatollah Khomeyni, à la suite de l’avènement de la République islamique de 1979. Pour le fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk, le voile est en revanche l’emblème de l’ignorance. « C’est un spectacle qui couvre la nation de ridicule », soutient-il. En 1925, le port du voile est prohibé, celui du fez (tarbouche) est interdit aux hommes qui le remplacent par un chapeau ou une casquette. En Afghanistan, le roi Amir Amanullah Khan (1919-1929), influencé par Atatürk, mène une campagne publique contre le voile et favorise le port de vêtements à l’occidentale dans la capitale. « En 1928, son épouse Soraya apparaît à visage découvert. Un an plus tard, il fait les frais de son audace et est renversé par une coalition de religieux », relate Mme Chidiac. Une vidéo datant d’il y a plus de 50 ans montre le colonel Abdel Nasser, alors raïs de l’Égypte, rire aux éclats et se moquer des Frères musulmans qui lui demandent d’imposer le foulard aux femmes. Des images et des propos que l’on imaginerait difficilement aujourd’hui, surtout de la part d’un chef d’État arabe comme l’Égypte. En 1966 à Tunis, le président Habib Bourguiba impose la liberté de la femme et ses droits par la force de la loi, et ce « sans attendre la démocratie de ceux qui ont été leurrés par une culture machiste, au nom de la religion qui en est innocente ». Des propos qui semblent loin de la culture actuelle, alors qu’il semble que le voile ait gagné presque partout en Orient.

Extrait de « Voyage en Orient » , de Gérard de Nerval (1808-1855)

« Je n’avais pas compris tout d’abord ce qu’a d’attrayant ce mystère dont s’enveloppe la plus intéressante moitié du peuple d’Orient ; mais quelques jours ont suffi pour m’apprendre qu’une femme qui se sent remarquée trouve généralement le moyen de se laisser voir, si elle est belle. Celles qui ne le sont pas savent mieux maintenir leurs voiles, et l’on ne peut leur en vouloir. C’est bien là le pays des rêves et de l’illusion !

La laideur est cachée comme un crime, et l’on peut toujours entrevoir quelque chose de ce qui est forme, grâce, jeunesse et beauté. »

« Le voile des femmes de l’Antiquité à nos jours », voilà le thème de la conférence donnée au musée archéologique de l’Université américaine de Beyrouth (AUB) et à la Fondation Audi à Saïda par Hana el-Banna Chidiac, responsable de l’Unité patrimoniale Afrique du Nord et Proche-Orient, département du patrimoine et des collections, au musée du Quai Branly –...

commentaires (8)

Très bon article bien qu'il prend beaucoup de liberté avec l'Histoire en généralisant. La reprise de certaines scènes artistiques figés dans un passé très lointain ne crée pas ni une vérité ni une règle valable sans discontinuer au travers les âges. En général, les familles fortunées de tous les temps s'habillent trop et se couvrent de haut en bas, en signe de richesse et cela continue à ce jour. Le clergé des toutes les religions s'habillent lourdement pour imposer le respect et se montrer différents. Les notables se sentent obligés de sortir par 30 degrés avec veston et chemise à manche longue. Et les femmes aisées avec des robes, et autre fois, avec des chapeaux. Il est de coutume encore aujourd'hui que les femmes chrétienne portent un voile en présence d'un haut dignitaire de l'église ou du Pape, pourtant il est écrit nul part que cela est obligatoire. S'il y a un retour massif au port du voile aujourd'hui, c'est à cause des anciens dirigeants iraniens et arabes qui ont exigé par la force et la contrainte son abolition et son interdiction. Il s'agit tout simplement d'un retour de manivelle normal. Les femmes finiront par avoir la liberté aussi bien pour le porter ou pas, c'est une question de temps.

Céleste

01 h 16, le 03 janvier 2023

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Commentaires (8)

  • Très bon article bien qu'il prend beaucoup de liberté avec l'Histoire en généralisant. La reprise de certaines scènes artistiques figés dans un passé très lointain ne crée pas ni une vérité ni une règle valable sans discontinuer au travers les âges. En général, les familles fortunées de tous les temps s'habillent trop et se couvrent de haut en bas, en signe de richesse et cela continue à ce jour. Le clergé des toutes les religions s'habillent lourdement pour imposer le respect et se montrer différents. Les notables se sentent obligés de sortir par 30 degrés avec veston et chemise à manche longue. Et les femmes aisées avec des robes, et autre fois, avec des chapeaux. Il est de coutume encore aujourd'hui que les femmes chrétienne portent un voile en présence d'un haut dignitaire de l'église ou du Pape, pourtant il est écrit nul part que cela est obligatoire. S'il y a un retour massif au port du voile aujourd'hui, c'est à cause des anciens dirigeants iraniens et arabes qui ont exigé par la force et la contrainte son abolition et son interdiction. Il s'agit tout simplement d'un retour de manivelle normal. Les femmes finiront par avoir la liberté aussi bien pour le porter ou pas, c'est une question de temps.

    Céleste

    01 h 16, le 03 janvier 2023

  • les femmes du prophète ne se voilaient aucunement ! L’une d’entre elles montrait même généreusement son buste . Par contre, un rideau de voile les séparaient des nombreux visiteurs . Donc épargnez nous tous ces artifices malsains et souvenons-nous tous comment les femmes chiites s’habillaient avant la guerre .

    Wow

    22 h 28, le 02 janvier 2023

  • Mme Chidiac, où peut-on trouver l'intégralité de votre conférence ?

    Leila G

    14 h 44, le 29 décembre 2022

  • Titre bien choisi: le voile imposé aux femmes appartient bien à la "nuit" et en attendant la levée du soleil on compte sur le courage de nos compagnes et l'illumination de nos frères ...

    Wlek Sanferlou

    13 h 11, le 29 décembre 2022

  • En résumé, le voile n'est pas ni coutumes, ni tradition, est surtout ni religion ni fois. Le port du voile est un devoir imposé par certains hommes au pouvoirs à plusieurs moments de l'histoire humaine, dans plusieurs lieux géographiques, et dans une panoplie de milieux sociales et religieux. Qu'il se repose dans l'histoire au lieu de s'imposer de nouveau dans la tête des jeunes par détournent de mineurs et lavage de cerveaux.

    Sarkis Dina

    09 h 40, le 29 décembre 2022

  • Il y a pourtant un aspect d'intolérance dans des réligions qui veulent imposer un certain régime alimentaire ou une certaine façon de s'habiller. De l'empereur Auguste (dictateur empereur romain) il existe des statues sans voile (en costume militaire par exemple) et avec voile car il était pontifex maximus, leader réligieux. Les statues de Auguste en voile (voilé) ne laissent pas de doute il me semble, de l'intolérence du culte de l'empereur, et insiste son image de son état "divin".

    Stes David

    08 h 39, le 29 décembre 2022

  • Article très intéressant. La tenue vestimentaire a toujours eu un lien avec la place dans la société. Dans l'Antiquité, ce lien était souvent contraignant alors qu'il est maintenant facultatif. Toutefois, s'il est permis à un éboueur (s'il en a les moyens!) de se vêtir comme un président de la République, l'inverse n'est pas vrai (l'image de Macron en jeans et blouson militaire, affublé d'une barbe de 4 jours n'est qu'une ridicule mise en scène). Dans la Rome du temps de St Paul, le voile était l'attribut de la femme libre. On ne voyait en public, la tête nue, que des esclaves ou des prostituées. Les maisons où se tenaient les assemblées de prières devaient-elles être considérées comme des lieux publics ou privés? St Paul tranche pour la première interprétation. Ce qui importe donc, ce n'est pas le vêtement lui-même, mais la signification qu'on lui donne. Laquelle peut changer selon le contexte, le lieu où l'époque. Le problème actuel du voile, est, qu'en Occident, il a pris le sens d'une contestation du laïcisme occidental, d'une affirmation identitaire en lien avec l'islam radical,

    Yves Prevost

    08 h 09, le 29 décembre 2022

  • Atatürk avait raison. Quel dommage que nos sociétés aient effectué un retour en arrière sur le sujet du voile.

    K1000

    01 h 15, le 29 décembre 2022

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