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Moyen-Orient - Éclairage

Les pétrodollars du Golfe à la rescousse d’Ankara

À l’approche des élections législatives, et tandis que l’économie turque traverse une crise sans précédent, les pétromonarchies injectent des milliards de dollars dans le pays en espérant gagner en influence.

Les pétrodollars du Golfe à la rescousse d’Ankara

L’émir du Qatar Tamim ben Hamad al-Thani reçoit le président turc Recep Tayyip Erdogan et le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane avant la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde, le 20 novembre, à Doha, au Qatar. Handout/Press office of the Presidency of Turkey/AFP

Cinq milliards de dollars. C’est la somme évoquée par Riyad pour venir en aide à Ankara, annonçait un porte-parole du ministère saoudien des Finances le 22 novembre dernier. À l’approche des élections législatives en Turquie, Recep tayyip Erdogan, qui se retrouve pour la première fois en danger dans les sondages, tente de trouver des financements pour faire face à une crise économique aiguë. Pour cela, c’est vers des pays « amis » qu’il se tourne, notamment les riches pétromonarchies du Golfe avec lesquelles il était encore en froid il y a peu. Les récentes promesses de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, anciens rivaux de la Turquie, évoquant plusieurs milliards de dollars d’investissements et des échanges de devises entre les banques centrales, devraient ainsi permettre de soutenir l’investissement et aider Ankara à soutenir sa stratégie de renforcement de la livre turque face à une inflation galopante. Pour le Golfe, plus qu’un investissement économique, ce rapprochement a également des motivations politiques.

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La livre turque a perdu plus de 28 % de sa valeur depuis le 1er janvier alors que l’inflation annuelle atteint 84,4 % selon l’Institut statistique de Turquie. Au risque de paupérisation qui plane sur le pays s’ajoutent les difficultés à attirer des capitaux sur les marchés internationaux, poussant le président turc à se tourner vers des partenaires plus ou moins inattendus. Si aucun accord n’a encore été signé, l’Arabie saoudite s’est dit prête fin novembre à faire un dépôt de 5 milliards de dollars auprès de la banque centrale turque après des années de tensions avec Ankara. Plus tôt cette année, Riyad avait déjà levé l’embargo officieux sur les importations turques, mis en place depuis 2018, après que la Turquie eut lancé une campagne internationale pour dénoncer le rôle du régime wahhabite dans l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans le consulat de son pays à Istanbul. Lors du blocus du quartette arabe contre le Qatar à partir de 2017, le gouvernement turc avait en outre pris parti pour Doha. Si cette décision avait permis de renforcer les liens économiques et politiques bilatéraux, ainsi que les relations de la Turquie avec le Koweït et Oman, elle avait par ailleurs mis en péril ses relations avec l’Arabie saoudite et les EAU, fers de lance de l’embargo sur leur voisin du Golfe.

Drones et élections

L’élection de Joe Biden aux États-Unis, la signature de la déclaration d’al-Ula marquant la levée du blocus sur Doha, et enfin l’abandon progressif du discours turc de soutien aux Frères musulmans ont incité à une normalisation des relations entre les pétromonarchies et la Turquie. Abou Dhabi a ainsi renoué des liens économiques avec Ankara dès novembre 2021, avec l’annonce de la création d’un fonds d’investissements de 10 milliards de dollars, dont la moitié devait être allouée à un échange de devises. En plus des retours sur investissements attendus, les monarchies du Golfe espèrent conclure des accords dans le secteur de l’armement. L’Arabie saoudite serait ainsi en négociation pour acquérir les précieux drones Bayraktar TB2, poursuivant ainsi sa stratégie de diversification des alliances face au désengagement américain de la région. Vingt drones armés ont déjà été livrés aux Émiratis en septembre et la société de défense turque Baykar, dont le directeur technique se trouve être Selçuk Bayraktar, le beau-fils du reïs, pourrait leur en vendre davantage, ont déclaré deux sources turques à l’agence de presse Reuters fin septembre. Plus qu’une simple opportunité commerciale dans le cadre de la diversification économique planifiée en vue de l’ère postpétrole, « ces investissements sont pour les EAU l’occasion de démontrer aux décideurs turcs que la décision de normalisation est réelle et non tactique », avance Ali Bakeer, professeur à l’Université du Qatar et chercheur non résident à l’Atlantic Council.

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« Ces investissements en Turquie, à la veille des élections, donnent aux pétromonarchies la capacité de manœuvrer pour obtenir de l’influence, quel que soit le gagnant du scrutin », nuance quant à lui Hamdullah Baycar, doctorant à l’Institut d’études arabes et islamiques de l’Université d’Exeter. À quelques mois de l’échéance électorale prévue pour juin, les injections de liquidités de la part des pétromonarchies dans l’économie turque passent pour un cadeau au président Recep Tayyip Erdogan, en mauvaise posture. « Mais ce n’est pas tant un investissement dans la campagne du président turc qu’une manifestation, dans la situation actuelle, de leur préférence à sa réélection », pointe Batu Coşkun, chercheur au Sadeq Institute, basé à Tripoli en Libye. Kemal Kilicdaroglu, le principal leader de l’opposition, s’est en effet engagé à rouvrir l’enquête sur Jamal Khashoggi. Même le Qatar, allié de longue date de la Turquie, pourrait souffrir d’un changement de gouvernement. Les législateurs de l’opposition s’étaient en effet prononcés contre le déploiement de troupes turques au Qatar au début du blocus arabe, en 2017, et ont depuis continué à remettre en question la légitimité du déploiement de ces forces sur le territoire qatari. Doha, qui a signé avec Ankara des accords d’échanges de devises pour 15 milliards d’euros en 2020, est ainsi en phase de conclure des négociations pour un nouvel accord de 10 milliards de dollars, dont 2 à 3 milliards pourraient déjà être accordés à Ankara d’ici à la fin de l’année.

Cinq milliards de dollars. C’est la somme évoquée par Riyad pour venir en aide à Ankara, annonçait un porte-parole du ministère saoudien des Finances le 22 novembre dernier. À l’approche des élections législatives en Turquie, Recep tayyip Erdogan, qui se retrouve pour la première fois en danger dans les sondages, tente de trouver des financements pour faire face à une crise...

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