Le premier soir de la sortie de Reste un peu, le public est au rendez-vous. Si de nombreuses personnes sont venues « parce que c’est Gad Elmaleh », d’autres sont plus sensibles au scénario. Leur curiosité a pu être attisée par la polémique sur les réseaux sociaux, où certains membres de la communauté juive ont vivement critiqué le réalisateur et son film, qui met en scène la relation privilégiée du célèbre humoriste français avec la Sainte Vierge depuis l’enfance, le rapprochant de la spiritualité chrétienne. Ayant grandi dans une famille marocaine juive pratiquante, il se heurte à une désapprobation familiale forte lorsque ses parents en prennent conscience.
« Si tu changes de Dieu, change de famille et fais-toi adopter », lui assène sa mère, qui interprète son propre rôle avec une authenticité décapante. Le film commence et se termine à l’église de Casablanca, où le jeune Gad a vu la statue mariale pour la première fois, alors qu’il avait l’interdiction formelle d’entrer dans le lieu de culte. Entre ces deux points d’orgue, le retour de l’artiste à Paris qui envisage de recevoir le sacrement du baptême. Le ton du film est celui de... Gad Elmaleh. On retrouve son alacrité, sa puissance comique et sa bienveillance. Les scènes de drames familiaux associent son art du gag et la profondeur d’une tristesse commune de ne pas se comprendre. D’autres moments dépeignent la progression spirituelle d’un homme désarmant d’humilité.
Les interrogations du personnage sont accompagnées d’échanges avec un prêtre et une religieuse, mais aussi avec le talmudiste Pierre-Henry Salfati, Delphine Horvilleur ou Fréderic Lenoir. Une filiation implicite se dessine avec Jean-Marie Lustiger. Le mélange tonal intègre quelques sketchs sur les religions, au café Paname. Évoquant la judéité du Christ, il constate par exemple qu’« il n’y a qu’un juif séfarade qui peut dire : “Je suis le chemin, la vérité et la vie” ». Reste un peu exprime avec une pudeur rare le mystère de la foi et l’interrogation constante qui l’accompagne. « Je n’en sais rien si Jésus a ressuscité, avoir la foi, c’est avoir le doute (…) Mais vivre avec cette hypothèse de Dieu nous amène de la joie », confie-t-il à la fin du film. Beaucoup de spectateurs sont très émus face aux parents qui se sentent abandonnés, au fils qui regrette de leur causer cette souffrance, à l’homme qui a le courage de mettre à nu la dimension la plus intime de son être. L’émotion est décuplée du fait que les rires fusent en même temps, et ceux qui sont venus « pour Gad Elmaleh » ont retrouvé son génie du trait et de la formule.
« Ce film encourage les gens à se livrer »
Lorsque Gad Elmaleh est venu trouver le producteur Isaac Sharry pour son film, le scénario concernait un écrivain qui venait à Paris pour publier un livre sur la Vierge Marie. « Son texte était tellement précis que j’ai senti qu’il parlait de lui. J’ai failli tomber de ma chaise quand il me l’a confirmé, et puis je l’ai encouragé à jouer sa propre histoire. Il a aussi impliqué ses parents, sa sœur, un ami, un prêtre et une religieuse pour interpréter leur propre rôle. Quant à la jeune fille qu’il rencontre, elle est inspirée par une personne qu’il a croisée à Lourdes quelques minutes et qui lui a dit qu’elle prierait pour lui, avant de disparaître », explique Isaac Sharry, qui insiste sur la dimension exceptionnelle de ce tournage. « Gad a écrit et réalisé le film en deux mois, il le portait en lui depuis 40 ans. On s’attendait à la polémique sur les réseaux sociaux, mais on ne pensait pas qu’il y aurait autant d’agressivité. Ce sont des intégristes qui n’ont aucune envie de s’ouvrir aux autres. Au Maroc, on avait la chance de bien connaître les traditions des différentes communautés, ce n’est pas le cas en France : il y a plus de peur et d’incompréhension », poursuit le producteur des Seigneurs (2012). « Nous préférons retenir les réactions fantastiques du public, que nous rencontrons tous les soirs. Nous sommes touchés par la gratitude et l’émotion qu’on nous exprime : ce film encourage les gens à se livrer, ils nous racontent leurs expériences de la foi, de la conversion, avec toutes les combinaisons possibles. Beaucoup d’entre eux échangent autour de l’incompréhension de leurs parents dans leur démarche spirituelle. Le film est sorti en France, au Maroc, dans de nombreux pays d’Europe, en Amérique du Nord, en Israël, en Australie… Si Gad a été très courageux de parler de religion, Ibrahim a su raconter la musique intérieure de chaque personnage, qu’il a composée devant nous. J’ai été bluffé par son talent et son génie », conclut le producteur de Reste un peu.
« La musique est une sorte de degré supérieur d’émotion »
Ibrahim Maalouf et Gad Elmaleh se connaissent depuis plusieurs années. « Pour la musique du film, j’ai commencé à composer avec Gad à côté de moi, ça s’est fait de manière très naturelle. Pour une musique de film, j’essaie d’être le plus fidèle à ce qui n’est pas dit, au discours émotionnel. La musique est une sorte de degré supérieur d’émotion. Ensuite, il y a toute la dimension technique, plus longue et laborieuse », explique le Libanais, qui compose actuellement la musique du prochain film de Claude Lelouch. Le corpus musical de Reste un peu maintient un équilibre tonal entre légèreté et profondeur métaphysique. « Gad a réussi à traiter d’un sujet difficile avec humour et délicatesse. Dans mes compositions, j’ai essayé de ne pas tomber dans le piège de l’illustration, c’est-à-dire de plaquer une musique triste sur un personnage triste par exemple. Je tends vers une forme de sincérité qui saisit la complexité d’un état émotionnel, qui n’est jamais univoque, les acteurs sont dans la même démarche interprétative », poursuit le célèbre trompettiste, qui vient de sortir son dix-septième album, Capacity to Love, avec de nombreux artistes invités, parmi lesquels Sharon Stone, Gregory Porter, Matthieu Chedid ainsi que des légendes du rap, de la soul et bien d’autres.
Les thèmes musicaux de Reste un peu accompagnent l’élan communicatif du personnage principal. « Pour moi, les morceaux sont des sortes de points d’interrogation ; musicalement, il n’y a pas de chemin précis vers la foi ou la spiritualité, mais un questionnement. C’est Gad qui a insisté pour que je joue de la trompette, qui doit avoir une dimension œcuménique, car ses différentes expressions ne sont associées à aucune culture spécifique », constate le musicien, dont l’instrument de prédilection est récurrent dans les textes sacrés, des trompettes de Jéricho à celles du Jugement dernier. « En plus, la trompette ressemble beaucoup à la voix humaine, et selon la manière dont on joue, on peut insuffler notre propre spiritualité, ce qui rapproche peut-être la musique de la prière. Cet instrument va plus loin que la voix humaine, il peut chuchoter moins fort ou bien couvrir tout un orchestre ; en ce sens, la trompette a une dimension mystique », ajoute Ibrahim Maalouf, dont l’album Queen of Sheba, réalisé en collaboration avec Angélique Kidjo, est nommé aux Grammy’s cette année. Ce qui l’a le plus touché dans Reste un peu, c’est la sincérité du jeu de Gad Elmaleh. « Ce film est un ovni, il parle d’une quête de la vérité que nous menons tous. Car au fond, même si on croit, on ne sait pas ; Gad a su mettre en relief ces interrogations spirituelles avec virtuosité », conclut Ibrahim Maalouf, qui est actuellement en tournée mondiale jusqu’en novembre 2023, où il se produira pour la troisième fois à l’Accor Arena de Paris Bercy.
Malgré les critiques et les appels au boycott sur les réseaux sociaux, Reste un peu bouleverse un public nombreux et d’une diversité rare, en invitant aussi à envisager le vivre-ensemble autrement.
Gad nous fait rire. Il nous fait chaud au coeur! Oui, comme ceci est beau: Les musulmans fetant Noel, arbre a la maison, les Chretiens qui font les iftars, passent a la mosquee, les juifs a l'eglise comme Gad. Les grandes ames qui batissent des ponts au lieu de se laisser emporter par l'ignorance et haine finissant pas des guerres inutiles et destructrices....N'est il pas temps de s'unir, une religion: l'humanite!
18 h 43, le 29 novembre 2022