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Nos Lecteurs ont la Parole

État d’abord... pour l’État de droit !

L’étude de l’État a été le plus souvent centrée par des juristes et constitutionnalistes sur la subordination de l’État au droit, la soumission du pouvoir au droit en occultant la genèse historique de l’État, à savoir l’émergence d’un centre de pouvoir pour des motifs de défense et de sécurité face à des forces centrifuges : féodalités, seigneuries, princes, tribus, zaïms…

Quand des juristes et constitutionnalistes se penchent sur la subordination du pouvoir au droit, d’où l’État de droit, ils analysent une seconde phase de l’émergence de l’État, celle du constitutionnalisme.

La première phase de centralisation étatique du pouvoir relève de l’historiographie et de l’anthropologie juridique. Elle a exigé souvent des siècles. Quant à la seconde phase de constitutionnalisme, elle relève du droit et se poursuit avec plus ou moins d’efficience suivant la nature des régimes.

La limitation de l’étude de l’État à la seconde phase du constitutionnalisme comporte des risques majeurs quant à l’acculturation de l’État dans la conscience collective dans des sociétés mondialisées d’aujourd’hui.

Les conséquences, lorsqu’on se concentre sur le droit dans la notion d’État de droit, sont aujourd’hui désastreuses en ce qui concerne notamment le sens de l’État, le comportement citoyen, la capacité de l’État dans des démocraties dites consolidées, la légitimation de l’État, le sens de l’autorité, et surtout le sens même du public, la polis d’Aristote, la cité. Il en découle des comportements préjudiciables à la démocratie de la part de tous ceux qui n’ont appris, dans une citoyenneté modernisée de droits et non plus de devoirs, qu’à contester, revendiquer, rouspéter !

Dans des pays occidentaux, un héritage culturel, fruit de l’enseignement autrefois des humanistes, continue heureusement à régir des rapports normatifs entre le citoyen et l’État pour une ancienne génération. Pour une nouvelle génération, le sens de l’État, de son autorité, du besoin d’État, est faible et s’affaiblit, dans des régimes gouvernés par des imposteurs, populistes, démagogues, sociopathes.

Dans des pays arabes et africains, ceux qui ont vécu de longues périodes d’occupation et de colonialisme, à quoi débouche la réduction de l’État… au droit ? Il débouche à un droit instrumental, en occultant ce que signifie d’abord État, son émergence dans une dialectique de rapports entre centre et périphérie pour un objectif de défense et de sécurité. Il débouche, quand l’État lui-même n’est pas souverain, sous occupation, ou dominé par des tyrans, des imposteurs… à un droit instrumental, légalisme, escroquerie juridique et exploitation de la symbolique de la loi pour donner l’illusion du changement.

Quand vous soulevez au Liban le problème de l’État, des légalistes, des politologues divaguent dans des problèmes… de droit ou dans des problèmes sur les formes d’État : centralisé, décentralisé, fédéral, démocratique !… Qu’est-ce que l’État d’abord ? Ou bien ils abondent alors dans l’explication des composantes de l’État : peuple, territoire et institutions ! Un zaïm local a son peuple de subordonnés, son espace et ses structures tribales ! Le problème central réside dans les quatre fonctions ontologiques, fondatrices, dites régaliennes (rex, regis, roi) de l’État : monopole de la force organisée, monopole des rapports diplomatiques, gestion et perception de l’impôt, gestion des politiques publiques.

Quand il y a en fait au Liban deux armées, deux diplomaties… l’État n’est plus un État ! Le droit est alors manipulé au service d’une classe dominante au pouvoir. C’est la privatisation du politique. Il n‎’y a plus de politiques publiques en matière de santé, de services publics, d’approvisionnement en eau, d’électricité !…

C’est dire qu’État et droit sont à la fois distincts et complémentaires, car c’est l’État détenteur de ses pleins attributs régaliens de souveraineté qui constitue un prérequis pour la mise en œuvre effective, juste et normative du droit.

Antoine MESSARRA

Ancien membre du Conseil constitutionnel (2009-2019)

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L’étude de l’État a été le plus souvent centrée par des juristes et constitutionnalistes sur la subordination de l’État au droit, la soumission du pouvoir au droit en occultant la genèse historique de l’État, à savoir l’émergence d’un centre de pouvoir pour des motifs de défense et de sécurité face à des forces centrifuges : féodalités, seigneuries, princes,...

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