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Culture - Exposition

De la lumière dans la noirceur, de l’espoir au milieu du désespoir

Pour marquer son dixième anniversaire, la galerie Art on 56th « réinvente Beyrouth » avec l’artiste Wissam Beydoun.

De la lumière dans la noirceur, de l’espoir au milieu du désespoir

L’artiste Wissam Beydoun devant l’une de ses cartes de Beyrouth. Photo Tarek Riman

Jeudi dernier, lorsque la galerie ouvre enfin ses portes au public pour le vernissage, dehors il fait déjà nuit. Petit à petit, les curieux et les invités (r)emplissent le lieu, habillés en harmonie avec les couleurs vives des tableaux exposés du peintre libanais Wissam Beydoun. Le saxophone de Joe Khoury résonne sous les hauts plafonds, où les mélodies de John Coltrane, Miles Davis et Sonny Rollins apportent une gaieté sonore au lieu déjà plein de vie. Les sons, les couleurs, les odeurs, mais aussi les rires et les sourires des visiteurs prouvent une fois de plus que oui, Beyrouth est en vie. Art on 56th, qui « réinvente Beyrouth » avec l’artiste Wissam Beydoun pour son dixième anniversaire, se prépare au succès de son exposition, malgré l’obscurité qui règne à l’extérieur…

Joe Khoury au saxophone au milieu de deux autres cartes de Beyrouth. Photo Tarek Riman

Dixième anniversaire d’une galerie témoin

Dix ans (déjà) que Noha Wadi Moharram, fondatrice et curatrice du lieu, a ouvert les portes de sa galerie dans la belle bâtisse aux caractéristiques des villas beyrouthines, 56 rue Youssef Hayek à Gemmayzé. Dix ans. Certains diront que c’était hier, alors que pour d’autres, à Beyrouth, dix vies ont passé depuis.

Situé à Gemmayzé – quartier animé de la capitale, véritable poumon culturel de la ville, mais aussi quartier témoin des événements passés, dévasté lors de la double explosion du port de Beyrouth en 2020, qui malgré tout a réussi à se relever – Art on 56th est un véritable témoin de l’histoire de Gemmayzé, qu’il était essentiel de sauvegarder. Noha Wadi Moharram confie à L’Orient-Le Jour qu’après l’explosion du 4 août, elle a « failli tout fermer, tout quitter. Le lieu, le Liban. Tout était détruit. Mais par amour pour Beyrouth, je me suis dit : “Je reste !” Je reste pour sauver l’âme de la ville et la maintenir en vie. Je reste pour la communauté, pour donner de l’espoir ». Alors la fondatrice décide de reconstruire le lieu, témoin de l’histoire de la ville et de son effervescence culturelle, de « sauver notre héritage », et entreprend des travaux qui dureront plus d’un an, afin de ressusciter Art on 56th.

Cela faisait plus de cinq ans que les deux amoureux de Beyrouth, Noha Wadi Moharram et Wissam Beydoun, voulaient monter une exposition ensemble – elle qui « adore ses couleurs et ses représentations abstraites de montagnes et de paysages locaux », confie la fondatrice. L’idée d’un projet commun, perturbé et retardé par les années compliquées qui se sont enchaînées depuis le début de la thaoura – qui auront en revanche inspiré et redéfini le style du peintre – ne fut pas abandonnée. Ainsi, après Georges Bassil, Naïm Doumit, Mahmoud Hamadani, Ghada Jamal, Rafik Majzoub, Edgard Mazigi, Rana Raouda, pour ne citer que quelques-uns des artistes notoires déjà passés par la galerie, c’est au tour de Wissam Beydoun d’être exposé à Art on 56th.

Le prisme de Wissam Beydoun

Né au Liban en 1961, son rapport à l’art est presque aussi ancien que son histoire avec Beyrouth. Tout commence pendant la guerre où il s’essaie à la bande dessinée avec un groupe d’amis : « Le vécu et les émotions, ça a grandi, puis c’est sorti, en lignes, en formes, en couleurs… ». Ces mots de Wissam Beydoun, prononcés lors d’un entretien avec L’OLJ, sont restés caractéristiques des œuvres de l’artiste jusqu’à aujourd’hui.

Le peintre libanais, qui a toujours entretenu une relation particulière avec la capitale, et a toujours porté un regard différent sur sa ville natale, voit de la lumière dans la noirceur, donne de l’espoir au milieu du désespoir. « Cette exposition, c’est moi avec Beyrouth, comment je l’ai vécue. J’ai vu tous ses changements, ses guerres. Maintenant, tout ce qui est sombre j’ai voulu le réimaginer, réimaginer ma ville. Malgré mes idées noires sur elle, sur nous, je refuse… Je refuse de voir Beyrouth mourir. Avec tout ce qui se passe, elle est toujours vivante, elle a un pouls qui bat toujours. C’est comme ça qu’on la veut, pleine de couleurs, complexe », indique celui qui, trois ans plus tôt, avait déjà commencé à réimaginer Beyrouth dans ses peintures.

Ainsi, « Re-imagining Beirut » construit un récit, conté par le biais de l’art cartographique, où chaque tableau est une carte, une version différente, unique de la capitale, qui raconte une nouvelle histoire sur la ville. Les possibilités quasi infinies de (re)productions de cartes, où chaque peinture, en combinant précision géométrique et abstraction, produit une expérience humaine et sensorielle qui varie d’un tableau à l’autre, et révèle un champ de découvertes infinies. C’est comme si l’artiste venait rendre hommage à la nature éphémère de Beyrouth, qui depuis toujours ne cesse de se reconstruire, de se remodeler, de se réinventer, telle un phénix renaissant de ses cendres.

C’est donc sur ce thème poétique et porteur d’espoir que Noha Wadi Moharram et Wissam Beydoun soufflent ensemble les dix bougies de la galerie qui propose à ses visiteurs, à travers les cartes infinies de l’artiste, de nouveaux parcours dans Beyrouth, pour une revisite de la capitale tout en couleurs. L’exposition défait ainsi la morosité qui nous a été imposée ces dernières années, et vient sublimer le chaos urbain dans un élan subversif.

« Re-inventing Beirut » ; Art on 56th, 56 rue Youssef Hayek, Beyrouth. Jusqu’au 12 novembre. Entrée libre.

Tout tourne autour de Beyrouth

Pour décrire son œuvre, l’artiste Wissam Beydoun a les propos suivants :

« Tout tourne autour de Beyrouth :

Une ville profondément ancrée sous ma peau comme un vieux tatouage qui s’efface.

Une relation d’amour et de haine qui dure depuis presque 47 ans.

Une carte : une cartographie personnelle. Avec une approche abstraite, j’ai essayé de réimaginer le labyrinthe urbain de rues et de bâtiments, à la fois chaotique et pourtant si riche, comme une carte de mon expérience de la ville jusqu’à aujourd’hui. Cette ville rasée par les guerres, les invasions, et l’explosion du 4 août, mais qui malgré tout parvient toujours à se relever. Mes œuvres observent cette même variation, où chacune s’exprime sous différentes émotions, à travers différents moyens et techniques. Le labyrinthe, les couches à la fois sociologiques et archéologiques, les sons, les odeurs, les couleurs de la ville... tout cela est retranscrit par l’aquarelle, qui m’a aidé à créer des lavis et à superposer les formes et les couleurs, et l’encre. »

Jeudi dernier, lorsque la galerie ouvre enfin ses portes au public pour le vernissage, dehors il fait déjà nuit. Petit à petit, les curieux et les invités (r)emplissent le lieu, habillés en harmonie avec les couleurs vives des tableaux exposés du peintre libanais Wissam Beydoun. Le saxophone de Joe Khoury résonne sous les hauts plafonds, où les mélodies de John Coltrane, Miles Davis et...

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