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Culture - Entretien

« Cette duplicité de grandir entre deux pays est une grande richesse »

Caché sous ses lunettes et son chapeau, Bachar Mar-Khalifé prend le temps de répondre aux questions de « L’Orient-Le Jour ».

« Cette duplicité de grandir entre deux pays est une grande richesse »

Bachar Mar-Khalifé sur la scène de l’IFL à Beyrouth. Photo Tarek Riman

Votre rapport à la musique a beaucoup changé au cours de votre carrière, petit à petit devenue philosophie. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Je crois que pour la première fois, je ressens un besoin de m’éloigner de la scène et des concerts. Ça fait une dizaine d’années que je joue, que je tourne, où j’apprends et me confronte à des publics différents. C’est un rythme qui implique des sacrifices qui sont valables uniquement si on a encore une raison de le faire. Et là, je crois que j’arrive à la fin d’un cycle où je dois dégager du temps pour ce que je fais par ailleurs : des musiques de film et mon label, que j’aimerais développer un peu plus. Je ressens aussi une sorte d’appel à la pause, où je dois prendre du temps pour moi et les gens que j’aime, voir comment peut se dessiner la suite. Il y a d’autres possibilités, et j’aimerais leur laisser une chance.

Il y a beaucoup d’amour dans votre album, à qui ou à quoi est-ce que vous vous adressez ?

C’est la première fois que j’enregistre au Liban, dans la maison familiale à la montagne, après octobre 2019. Je ne pouvais plus échapper à l’histoire. Je ne sais pas si, au départ, je l’adresse à quelqu’un, mais je sais qu’au moment où j’enregistre l’album et compose les chansons, tout ça est présent : le Liban, les espoirs, la jeunesse, mais aussi la génération de mes parents, de mes grands-parents, tous ces sentiments qui s’entrechoquent… Après, je ne vais pas imposer une adresse particulière à quelqu’un, parce que les publics sont infinis. Il y a des gens qui n’ont rien à voir avec ce pays et qui peuvent très bien recevoir cet instant, cette musique, cette géographie, ces sensations, et se projeter eux-mêmes dans ce qu’ils entendent. Et je ne veux pas délimiter une adresse musicale à quelqu’un ou quelque chose exclusivement.

Vous êtes parti du Liban à l’âge de 6 ans, ce qui veut dire que c’était plus ou moins la fin de la guerre, 1989/90. Comment se fait-il que vous soyez resté en France et n’ayez pas décidé de revenir ici ? Comment est-ce que vous vivez cette relation (d’amour) à distance ?

Quand nous sommes partis en France, je pense que mes parents pensaient que c’était momentané. Mais ensuite, on a commencé à aller à l’école, au conservatoire… Déjà que le départ est compliqué, un « redépart » ensuite l’est encore plus. Mais on n’a jamais coupé le ponts avec le pays. On parlait arabe à la maison. On venait deux mois pendant l’été, soit à Amchit, soit à Beyrouth, on n’avait pas encore Zakrini. Le départ était évidemment une fracture, mais cette duplicité de grandir entre deux pays est une grande richesse. La question de l’identité reste complexe, s’adresse à tout le monde, y compris à ceux qui sont restés. C’est une question à laquelle je ne pense pas encore avoir trouvé de réponse.

Vous revenez au Liban pour enregistrer votre album « On/Off » en hiver 2019, sur un ton nostalgique. Beaucoup de choses ont changé depuis… Quelles émotions avez-vous ressenties en arrivant cette année ?

J’ai à chaque fois le même sentiment. Je suis confronté à beaucoup de tristesse et de dépit. La musique m’évite de sombrer, me permet de contrer ça et de le raconter d’une manière vivante. Je ne sais pas quel impact ça a sur l’audience, mais je reste persuadé qu’il faut garder cette énergie comme élément vivant pour continuer de vivre, rendre hommage et soutenir ces gens qui se battent et continuent à faire, à créer.

En mars 2020, vous disiez à « L’OLJ » : « Je me suis soudainement réconcilié avec ce pays que je ne reconnaissais plus... » Êtes-vous toujours en paix avec lui ?

Non… et je crois que c’est commun à tous les Libanais. On est saisis de ce sentiment contradictoire. On a de la colère, et en même temps beaucoup d’amour. Je crois que c’est de là que vient le dépit aussi. On a tellement d’amour, on se demande pourquoi on aime autant ce pays parfois… Et est-ce qu’il nous le rend ? Toutes les familles sont déchirées, tous ceux qui peuvent partir partent. Donc il faut continuer à chercher cet amour-là. Il est encore présent, mais pour entretenir la flamme, il faut beaucoup d’énergie, et je comprends que beaucoup de gens ne l’aient plus. À certains moments, je ne l’ai plus moi-même, mais comme j’ai cette force de monter sur scène, je la trouve encore.

Vous aviez toujours avoué avoir eu « ce fantasme de venir habiter au Liban ». Est-ce que vous quitteriez Paris pour le Liban ?

Pour des raisons personnelles et familiales, non, ce n’est pas envisageable. Mais j’ai beaucoup de rêves pour développer des choses au Liban et continuer à être actif ici, par exemple pour des concerts, ou à l’étranger, mais pour le Liban, comme à travers des causes caritatives. Je suis en train de réfléchir à comment je pourrais contribuer, que ce soit avec des écoles de musique, faire des choses avec les enfants, guider des musiciens... J’ai de l’énergie à mettre là-dedans et de l’expérience à apporter. J’ai envie d’être présent pour le pays dans ce domaine-là.

Que voulez-vous dire au Liban, quel message avez-vous à lui donner ?

Je ne me vois pas comme une grande figure qui aurait un message particulier pour le Liban. Les gens qui ont quelque chose à dire, il faut les aider. J’apporte un soutien qui est plus professionnel et affectif, à travers la musique.

(L’artiste ne répondra pas vraiment à la question, qui finalement trouve sa réponse dans son album qui conte l’amour, appelle à la mémoire, porteur d’un espoir fragile... NDLR).

Votre rapport à la musique a beaucoup changé au cours de votre carrière, petit à petit devenue philosophie. Où en êtes-vous aujourd’hui ? Je crois que pour la première fois, je ressens un besoin de m’éloigner de la scène et des concerts. Ça fait une dizaine d’années que je joue, que je tourne, où j’apprends et me confronte à des publics différents. C’est un rythme qui...

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