C’est un nouveau nom sorti du chapeau qu’ont choisi d’appuyer hier une poignée de députés lors de la quatrième séance au Parlement, sans parvenir une fois de plus à élire un successeur au président Michel Aoun. Dix députés, issus en majorité de la contestation, ont voté pour l’universitaire, chercheur et syndicaliste Issam Khalifé. Fervent défenseur de la laïcisation de l’État, de la société et de l’éducation, cet auteur prolixe, né en 1946 à Hadtoun, un petit village du caza de Batroun, est connu pour son franc-parler et son engagement au sein de la vie estudiantine à l’Université libanaise, dont il a été président de la ligue des étudiants à la fin des années 60. Son parcours ne suffit toutefois pas à faire de lui un candidat sérieux à la magistrature suprême. Il ne se présentait d’ailleurs jusqu'ici pas comme tel. Mais hier soir, quelques heures après la séance, il a annoncé lors d'une interview télévisée qu'il allait « répondre à l'appel du devoir », remerciant les députés qui ont mis sa confiance en lui. Contacté plus tôt dans la journée par L’OLJ, Issam Khalifé n’avait cependant pas souhaité s’épancher sur le choix de sa candidature. « Je comprends cette position, qui va au-delà de ma personne. Ces députés ont voulu mettre en avant des idées, le combat estudiantin et le travail sur les frontières terrestres et maritimes », s'était-il contenté de dire.
Ces dernières années, cet historien était notamment beaucoup intervenu sur la problématique de la délimitation de la frontière maritime libano-israélienne, en tant que défenseur de la ligne 29 (maximaliste) au nom du droit international. Il accuse les responsables politiques d’avoir cédé sur la souveraineté du pays et d’avoir fait une croix sur une manne de plusieurs milliards de dollars. « Hier, les députés n’ont pas mis dans l’urne le nom de Issam Khalifé que pour Issam Khalifé, mais bien pour voter pour la ligne 29 », estime un ancien responsable au sein de l’UL. « Il représente la contestation du 17 octobre, dans tout ce qu’elle comporte. Il s’est battu pour la laïcité, l’indépendance, et a toujours refusé l’ingérence des partis politiques et les tiraillements entre le 8 et le 14 Mars au sein de l’Université libanaise », confie Halimé Kaakour, députée contestataire du Chouf et ancienne collègue de l’UL, qui lui a accordé sa voix. « Aujourd’hui, nous ne voulons pas quelqu’un de gris, mais une personne avec des idées claires qui nous ressemble », appuie la députée. Issam Khalifé a notamment eu le soutien d’autres élus de l’opposition, tels que Michel Doueihy, Cynthia Zarazir ou Firas Hamdan, mais aussi Oussama Saad, député de Saïda, qui a loué cet « agriculteur formé par l’UL, devenu professeur, chercheur et penseur ». « Les personnalités influentes qui défendent le confessionnalisme ne veulent pas de quelqu’un comme lui, et c’est tout à son honneur (...) », a écrit M. Saad dans un communiqué.
Homme de la montagne
« Issam Khalifé est un personnage pittoresque, chaleureux, qui a ce côté enraciné de la montagne libanaise, il cultive son jardin au sens littéral tous les jours », confie le politologue Karim Émile Bitar. Même s’il s’est toujours tenu à distance de l’arène politique libanaise, Issam Khalifé a toujours baigné dans l’activisme. Peu après son entrée à l’UL à la fin des années 60, il crée avec un groupe d’étudiants le Mouvement de l’éveil (Harakat al-Waii), un mouvement social et politique – qui serait qualifié aujourd’hui de « centriste » – œuvrant pour la justice et la « démocratie de l’enseignement ». « La gauche nous considérait comme une droite intelligente, et la droite pensait qu’on entraînait les étudiants vers la gauche », indiquait Issam Khalifé lors d’une interview à L’Orient-Le Jour en 2017.
« C’est quelqu’un de courageux qui a toujours pris des positions de principe contre toutes les milices durant la guerre, une figure qui incarne le mouvement estudiantin des années 70 porteur de beaucoup d’espoir qui n’a pas tardé à être étouffé », appuie M. Bitar. Lorsque la guerre civile éclate en 1975, le Mouvement de l’éveil s’y oppose et critique aussi bien la gauche, qui s’était alliée avec les Palestiniens et les Syriens, que les partis chrétiens, qui s’étaient armés. À cause de son engagement, il est contraint de quitter le Liban et s’installe en France en 1977 où il s’inscrit à la Sorbonne pour préparer une thèse en histoire.À son retour en 1980, la direction de l’UL refuse de l’engager. « Il s’est battu pour obtenir le titre de professeur. Au fil des ans, il a été reconnu comme l’un des meilleurs de l’institution, quelqu’un de très respecté, mais toujours très révolutionnaire parce que, ironiquement, il voulait que tout fonctionne selon la loi, et parfois dans ce milieu ça ne passait pas », raconte un ancien collègue sous couvert d’anonymat. En 2020, il s’était notamment vu intenter un procès en diffamation par le recteur de l’UL, Fouad Ayoub, pointé du doigt pour « abus de pouvoir » et « falsification de diplômes ». « Mettre son nom dans l’urne hier était important, comme un symbole de l’UL qui est en train de péricliter », estime Karim Bitar.
commentaires (9)
Je parie qu'au liban il y aurait au moins 1 million de personnes patriotiques, sérieusement engagées pour un avenir meilleur, pour une société régie par la loi, la constitution et les droits de la personne. Donc il nous faudra passer par au moins 1 million de séances tel que celle de lundi pour en avoir la liste entière. Et comme bon dieu berri ne pond qu'une séance par semaine il se peut qu'on se retrouve avec un prez élu dans 192 siècles... on aura tous disparu sauf bien sûr sa Puissance berri... yallah kèssak et donne moi le prochain nom comme appéro...
Wlek Sanferlou
14 h 20, le 26 octobre 2022