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Idées - Accord sur la frontière maritime

La stabilité sans la paix

La stabilité sans la paix

Un navire FPSO (Floating Production Storage and Offloading) d’Energean dans le champ de Karish, le 20 septembre 2022. Photo Energean/AFP

Négocié indirectement pendant la dernière décennie – sous médiation onusienne puis américaine –, l’accord de Naqoura est le premier entre les deux pays depuis le cessez-le-feu qui a suivi la guerre d’août 2006. S’il permet l’exploration des réserves de gaz au large des côtes qui se trouveraient le long des rivages respectifs des pays – une zone offshore clairement délimitée pour le Liban et une autre pour Israël –, l’accord ne règle pas définitivement le statut des zones frontalières terrestres contestées, et un ajustement de dernière minute indique que les bouées placées par Israël pour délimiter sa frontière maritime ne sont pas officielles, même si l’accord prend note de leur présence. Dans le cadre de l’accord, les États-Unis ont accepté de fournir des garanties de sécurité à Israël en cas d’attaque du Hezbollah contre les intérêts d’Israël et de priver le Hezbollah de tout revenu provenant des recettes du gaz.

Cet accord n’aurait pu voir le jour sans un rare consensus entre les partis politiques libanais et le soutien de deux groupes politiques clés, le Courant patriotique libre (CPL) et le Hezbollah. L’accord donne au président Michel Aoun, dont le mandat se termine le 31 octobre, une victoire importante à un moment où le pays est en proie à l’effondrement économique et institutionnel le plus catastrophique de son histoire récente – que la Banque mondiale a qualifié de « dépression délibérée ».

Maintenir le calme

Le soutien du Hezbollah à l’accord peut également être compris dans ce contexte. L’effondrement socio-économique du pays ayant provoqué un mécontentement considérable parmi les sympathisants du parti de Dieu, les perspectives de retombées financières potentielles offertes par l’accord peuvent entretenir un certain espoir. De plus, malgré une recrudescence de la rhétorique du Hezbollah à l’égard d’Israël, un conflit militaire ferait des ravages dans l’arrière-cour du parti et pourrait nuire à son rôle régional croissant. Par ailleurs, la dynamique géopolitique, la préoccupation du monde pour le conflit ukrainien et la tendance à la désescalade dans la plupart des zones régionales de tension et de conflit ont contribué à créer un environnement politique global propice.

Du point de vue israélien, l’accord permettra probablement des retombées économique considérables : le champ gazier de Karish contiendrait 1,75 billion de pieds cubes (TCF en anglais) de gaz, pour une valeur de trois milliards de dollars selon les estimations israéliennes. Il représente également une victoire politique pour le Premier ministre Yaïr Lapid dans sa campagne en prévision de l’élection de novembre prochain, lors de laquelle il devra se battre pour maintenir sa majorité actuelle à la Knesset.

Si l’on est loin d’un traité de paix entre le Liban et Israël, cet accord signifie que les deux pays ont désormais des intérêts économiques directs à maintenir le calme le long de leurs frontières communes. Cela devrait apporter un important sentiment de stabilité dans une région marquée par des turbulences continues, ainsi qu’au Liban, dont le futur est incertain. Il réduira la menace persistante d’une guerre entre les deux pays et, à terme, pourrait ouvrir la porte à de nouvelles négociations politiques autour des frontières terrestres.

Dans l’immédiat, l’accord est susceptible de débloquer la finalisation d’accords précédemment négociés pour fournir au Liban du gaz en provenance d’Égypte et de l’électricité en provenance de Jordanie, dans les deux cas via la Syrie. Ces accords semblent avoir été retardés en partie par le refus de Washington de s’engager à protéger l’Égypte et la Jordanie des répercussions de la loi César, qui sanctionne les pays ayant des échanges importants avec la Syrie.

Préoccupations

Une des préoccupations des Libanais est que leurs dirigeants politiques n’utilisent cet accord comme prétexte pour rejeter un accord avec le Fonds monétaire international visant à mettre en œuvre dix réformes en échange d’une aide de 3 milliards de dollars qui contribuerait à mettre le pays sur la voie de la reprise économique. Cela pourrait signifier que les revenus attendus des gisements de gaz seront dilapidés par la classe politique au pouvoir pour maintenir ses réseaux clientélistes et retarder davantage les changements structurels nécessaires. Le Parlement devrait désormais faire face à une pression croissante pour qu’il établisse un fonds souverain capable de protéger les revenus du pays pour les générations futures.

Du côté israélien, la ratification de l’accord par un gouvernement à la veille d’une élection a déclenché des objections quant à sa légitimité. Israël voit déjà éclore des demandes de référendum sur l’accord, ainsi que des affirmations selon lesquelles le texte nécessite l’approbation de la Knesset – et non un simple examen, comme l’affirme le gouvernement. Pourtant, les préoccupations sécuritaires, l’approche rapide des élections et la fin du mandat de Aoun étaient des raisons impérieuses pour qu’Israël approuve l’accord. En outre, la signature par Israël d’une frontière maritime similaire sans référendum a créé un précédent important. Il serait difficile d’imaginer un blocage interne de l’accord dans une période postélectorale, indépendamment des résultats des élections, en particulier compte tenu du soutien important de l’administration du président américain Joe Biden. Bien qu’historique par de nombreux aspects, cet accord n’implique pas une cessation des hostilités – qui suppose un règlement du conflit israélo-palestinien. Mais pour l’instant, l’accord fige les relations entre les deux pays dans une zone grise, caractérisée aussi bien par l’absence de guerre que celle de paix.

Ce texte est aussi disponible en anglais et en arabe sur le site du Carnegie MEC.

Par Maha YAHYA

Directrice du Malcolm H. Kerr Carnegie Middle East Center

Négocié indirectement pendant la dernière décennie – sous médiation onusienne puis américaine –, l’accord de Naqoura est le premier entre les deux pays depuis le cessez-le-feu qui a suivi la guerre d’août 2006. S’il permet l’exploration des réserves de gaz au large des côtes qui se trouveraient le long des rivages respectifs des pays – une zone offshore clairement...

commentaires (1)

Avec du temps, de la persévérance, de l’espoir, et beaucoup de chance, on traversera un jour cette satanée frontière qui autrefois était parcourue en train Haïfa-Beyrouth.

ABBOSH Nathalie

12 h 55, le 23 octobre 2022

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Commentaires (1)

  • Avec du temps, de la persévérance, de l’espoir, et beaucoup de chance, on traversera un jour cette satanée frontière qui autrefois était parcourue en train Haïfa-Beyrouth.

    ABBOSH Nathalie

    12 h 55, le 23 octobre 2022

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