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Moyen-Orient - Syrie

Comment interpréter la percée de Hay’at Tahrir el-Cham à Afrine

Le groupe jihadiste qui domine la majorité de la région d’Idleb (Nord-Ouest syrien) est entré le 13 octobre dans cette localité située au nord d’Alep, exploitant les luttes fratricides entre les factions du camp pro-Ankara.

Comment interpréter la percée de Hay’at Tahrir el-Cham à Afrine

Des combattants de l’Armée syrienne libre – soutenue par la Turquie – déployés à un poste de contrôle dans la région de Kfar Janneh, à la périphérie de la ville syrienne d’Afrine (Nord), le 19 octobre 2022. Omar Haj Kadour/AFP

La séquence pose toujours de nombreuses questions. Hay’at Tahrir el-Cham aurait-il pu pénétrer à Afrine sans l’aval de la Turquie ? Pourquoi Ankara a-t-il tardé à intervenir ? L’épisode de violences observé ces derniers jours présage-t-il d’un bouleversement des dynamiques dans le Nord syrien ?

Contrôlant plus de la moitié de la région d’Idleb (Nord-Ouest), le groupe jihadiste Hay’at Tahrir el-Cham (HTC) – ex-branche d’el-Qaëda en Syrie – a pénétré le 13 octobre à Afrine (gouvernorat d’Alep), localité à majorité kurde conquise par la Turquie en 2018. Depuis lors, la ville était administrée par les différentes factions rebelles composant l’Armée nationale syrienne (ANS), soutenue par Ankara. Mais alors que des divisions internes résultant en luttes fratricides ont affaibli l’ANS, HTC a saisi l’occasion pour gagner du terrain dans ces zones sous influence turque, situées à proximité de la frontière avec le pays voisin.

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À l’origine, il faut remonter à l’assassinat, il y a une dizaine de jours, d’un militant de l’opposition et de sa femme enceinte à al-Bab, ville située à une trentaine de kilomètres au nord-est d’Alep. Le crime a provoqué des affrontements meurtriers entre deux composantes de l’ANS, le troisième corps et la division Hamza, dont HTC a profité en s’alliant avec cette dernière et d’autres factions qui lui sont proches. « HTC a voulu faire passer le message selon lequel il est entré dans cette zone en raison de la fragilité de la situation sécuritaire due aux affrontements en cours entre factions », souligne Navvar Saban, chercheur au centre Omran, basé à Istanbul. Après avoir lancé une offensive contre le troisième corps à l’issue de laquelle il est entré dans une trentaine de villages situés dans le nord du gouvernorat d’Alep, le groupe jihadiste a atteint Afrine. Une intervention musclée menée par des milliers de combattants de HTC notamment armés de chars qui a semé la panique parmi la population locale. « Les habitants redoutaient l’entrée du groupe parce qu’il est classé comme terroriste (par les Nations unies) et peut donc être ciblé par des raids aériens, confie Abed*, membre de l’ANS. Les affrontements qui ont eu lieu dans la ville ont aussi effrayé les habitants et entraîné des mouvements de population importants ». Des combats qui se sont ensuite étendus plus au nord, à Kfar Janneh, localité située à une dizaine de kilomètres d’Aazaz, proche de la frontière avec la Turquie. « Kfar Janneh est un haut plateau qui donne un contrôle total et stratégique sur la route principale entourant cette zone, à savoir Aazaz, Afrine, Bab el-Salama (où se trouve un poste frontière avec le pays voisin)… », poursuit Navvar Saban.

Le calme revient à Afrine

Et si HTC s’est depuis retiré de Kfar Janneh sous la pression d’Ankara, l’organisation a cependant réalisé des gains considérables en l’espace de quelques jours. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), un accord conclu entre les belligérants en début de semaine stipule que le groupe jihadiste administrera Afrine, y sera chargé de la sécurité et se déploiera aux postes de contrôle séparant cette zone des régions tenues par le régime syrien et les Kurdes, tandis que le troisième corps aurait été autorisé à reprendre ses quartiers dans la ville.

Mercredi soir, un calme prudent régnait à Afrine. « Un apaisement relatif s’est installé suite à l’intervention des forces turques pour résoudre le conflit », explique Abed. « Nos frères de l’armée turque ont joué un rôle de premier plan dans la résolution du différend en forçant HTC à se retirer dans ses zones, affirme Firas*, chef de régiment au sein de l’ANS, qui passe sous silence le délai avec lequel Ankara est intervenu. Maintenant, la situation est revenue à la normale. »

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Depuis le début de cette séquence, le rôle joué par la Turquie alimente les rumeurs. « En juin 2022, lorsque HTC a fait une brève incursion dans la campagne au sud-ouest d’Afrine (profitant de manière opportuniste des tensions internes à l’ANS), un appel téléphonique d’un haut responsable de l’Organisation nationale du renseignement (MIT) turque a vu les forces de HTC faire demi-tour et retourner à Idleb », rappelle Charles Lister, spécialiste de la Syrie au Middle East Institute, dans un rapport publié récemment. Cette fois-ci, Ankara aurait mis plusieurs jours pour se manifester, alors que le groupe jihadiste aurait reçu un appel des autorités turques afin qu’il se retire lorsqu’une poussée vers Aazaz semblait imminente, poursuit Charles Lister. « Le fait qu’ils n’aient pratiquement rien fait et rien dit équivaut à une intervention indirecte, estime Navvar Saban. Car cela a permis à HTC de gagner du terrain ». Pour Abed, « la Turquie est simplement guidée par ses intérêts particuliers ». « Au début, elle ne s’est pas opposée à l’entrée de HTC dans la région mais après que la rue civile a fait pression sur elle et HTC, elle a été forcée d’intervenir et de stopper les combats », ajoute-t-il.

L’attitude d’Ankara

Plusieurs raisons pourraient expliquer l’attitude d’Ankara. La Turquie pourrait avoir été embêtée par le fait que HTC a mené son assaut en s’alliant avec des factions de l’ANS qui sont très proches d’Ankara. C’est notamment grâce à elles que le pays aurait recruté des mercenaires en vue de les envoyer combattre en Libye puis au Haut-Karabakh au cours des dernières années. Ainsi, il n’aurait pas intérêt à se mettre à dos ces forces qui lui sont alliées.

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Mais certains observateurs soutiennent que la Turquie a des raisons de vouloir laisser HTC – avec qui il collabore secrètement sur le terrain pour des raisons logistiques – s’emparer d’Afrine et étendre son influence sur la région. Premièrement, le groupe jihadiste constituerait la force la plus susceptible d’être un adversaire aux yeux des Forces démocratiques syriennes (FDS – à dominante kurde), ennemi d’Ankara. En outre, placer les factions d’opposition sous la houlette de HTC – contrôlant d’une main de fer une partie d’Idleb, où il impose le modèle de gouvernance islamiste – forcerait ces dernières à se montrer plus disciplinées et à mettre fin aux divisions internes, avancent d’autres sources.

Quoi qu’il en soit, avec ou sans le feu vert turc, HTC apparaît comme le grand vainqueur de cet épisode. À travers ses actions, l’organisation souhaite s’imposer comme un fait accompli comme elle l’a fait à Idleb. Et montrer en parallèle à la communauté internationale qu’elle peut incarner une alternative unie et solide à l’ANS divisée, au moyen de son gouvernement de salut syrien. Ce qui ne l’empêche pas d’exercer un pouvoir de dissuasion grâce à ses moyens. « HTC a envoyé un message très clair : il peut entrer dans toute la région, la capturer en un rien de temps, poursuit Navvar Saban. Il est extrêmement puissant et bien organisé. »

La séquence pose toujours de nombreuses questions. Hay’at Tahrir el-Cham aurait-il pu pénétrer à Afrine sans l’aval de la Turquie ? Pourquoi Ankara a-t-il tardé à intervenir ? L’épisode de violences observé ces derniers jours présage-t-il d’un bouleversement des dynamiques dans le Nord syrien ? Contrôlant plus de la moitié de la région d’Idleb (Nord-Ouest), le groupe...

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