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Moyen-Orient - Éclairage

La « trêve gelée » souligne l’impasse politique au Yémen

Après six mois d’un répit relatif, les Yéménites ont appris début octobre que la trêve négociée par l’ONU ne sera pas prolongée. Fin d’un espoir de paix durable ou retour inévitable à la confrontation en l’absence de solution politique ?

La « trêve gelée » souligne l’impasse politique au Yémen

Des enfants yéménites assistant à un cours en plein air dans une école fortement endommagée, le premier jour de la rentrée scolaire, dans la province occidentale de Hodeida déchirée par la guerre, le 17 octobre courant. Khaled Ziad/AFP

L’espoir de vivre, enfin. Le 2 avril 2022, premier jour du ramadan, quelque 30 millions de Yéménites endeuillés et appauvris par plus de huit années de guerre se réjouissaient de la suspension des hostilités entre les houthis, contrôlant plusieurs gouvernorats du Nord et soutenus par l’Iran, et les forces du gouvernement yéménite soutenues par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.

Ce cessez-le-feu, prolongé in extremis à deux reprises jusqu’au 2 octobre, a apporté des améliorations concrètes dans leur existence, selon Ahmad Nagi, chercheur associé au centre Carnegie : « La plus importante a été le retour d’un espoir que ce conflit pouvait cesser grâce à la négociation politique. Un espoir qui disparaît avec la fin de la trêve. » Car malgré ses efforts, l’émissaire de l’ONU pour le Yémen, Hans Grundberg, n’est pas parvenu à obtenir une troisième prolongation.

Le 13 octobre, il a déploré devant le Conseil de sécurité de l’ONU que ses « efforts non seulement pour prolonger mais pour étendre » la trêve soient restés lettre morte. Pendant six mois, le Yémen a connu la suspension des attaques transfrontalières des houthis en direction des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite et l’arrêt des bombardements de la coalition dirigée par Riyad en appui au gouvernement. Ainsi, selon le Yemen Data Center, cette période a porté le nombre de décès liés au conflit à son plus bas niveau depuis janvier 2015. Par ailleurs, l’aéroport de Sanaa, capitale contrôlée par les houthis, a été en partie rouvert, et les approvisionnements de carburant ont repris depuis le port de Hodeida. Mais l’un des points-clés des négociations, la réouverture des routes entourant la ville de Taëz assiégée depuis 2016 par les houthis, reste en suspens.

Souhaitant construire sur ces acquis, Hans Grundberg avait proposé le 18 septembre aux deux parties une trêve de six mois prévoyant un mécanisme de distribution transparent et efficace des salaires et des retraites des fonctionnaires, la réouverture des routes entourant Taëz et d’autres gouvernorats, l’augmentation des vols en partance de Sanaa, la poursuite de l’approvisionnement en carburant depuis Hodeida et un engagement à la libération de prisonniers.

Autant d’avancées que « le peuple yéménite, hommes, femmes et enfants, risque de perdre », a-t-il regretté. Car si le gouvernement reconnu par la communauté internationale a approuvé ces points, les houthis ont demandé d’étendre le paiement des salaires des fonctionnaires aux militaires et aux forces de sécurité. Une exigence refusée par le gouvernement. Et le mouvement de se retirer de l’accord le 1er octobre, considérant qu’il ne répondait « pas aux aspirations du peuple yéménite ».

Un peuple exsangue, dans ce pays où la guerre a déjà fait plus de 380 000 victimes, selon l’ONU. Ces dernières ne sont pas toutes tombées sous les balles des houthis ou les missiles des avions saoudiens, précise Marc Schakal, qui dirige les opérations de Médecins sans frontières au Yémen : « Il y a plusieurs conflits au Yémen, et les conflits social et sanitaire sont ceux qui tuent le plus », dit-il. Il évoque pêle-mêle le manque d’accès aux centres de santé primaire, le faible nombre d’hôpitaux opérationnels, les effets du changement climatique et ceux de la crise économique larvée. Sans agiter le spectre de la famine, il précise : « La malnutrition qui frappe les femmes et les enfants est liée à la pauvreté, dans un pays où 90 % des aliments sont importés et où la monnaie locale connaît une forte dépréciation. Elle est aussi provoquée par d’autres maladies, comme la complication respiratoire qui, quand elle est détectée trop tard en raison d’un manque d’accès aux soins, peut être un facteur déclencheur. »

Violences continues

Ces six derniers mois, estime-t-il, le niveau de violence a certes diminué, mais le quotidien des Yéménites n’a pas connu d’embellie, loin s’en faut. Pour s’en convaincre, il y a les chiffres martelés par les ONG alertant sur l’urgence de l’une des crises humanitaires les plus aiguës au monde : les plus de quatre millions de déplacés internes ou les quelque deux millions d’enfants éloignés des bancs scolaires, selon le CICR. Et puis il y a la longue litanie des injustices subies par une population aux abois. Telle cette journée du 16 octobre, où un bus transportant 40 personnes sur une route dangereuse entre Taëz et Aden, empruntée en raison du siège houthi autour de la ville, s’est renversé, faisant deux morts et 26 blessés selon MSF. Ou ce 27 juillet où, selon le Sanaa Center, un enfant a été tué par un tir de sniper dans le village d’al-Qouhayfa, à l’ouest de Taëz, tandis qu’un autre succombait dans des affrontements entre houthis et forces du gouvernement dans un village du gouvernorat de Hodeida.

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Car bien que globalement respectée, la trêve a connu des brèches fréquentes, avec des affrontements sporadiques entre les deux camps opposés, mais aussi des luttes intestines, notamment entre le Conseil de transition du Sud soutenu par les Émirats arabes unis et les forces d’al-Islah appuyées par l’Arabie saoudite. Ces deux acteurs sont pourtant rassemblés sous la bannière du Conseil présidentiel, organe créé après la démission du président Abed Rabbo Mansour Hadi le 7 avril et censé unifier le front antihouthis.

Cette fracture a favorisé le regain d’appétit des houthis lors des négociations, selon Ahmad Nagi : « En avril, les deux camps étaient parvenus à une impasse dans les combats, mais six mois après, les houthis se sentent dans une situation de force pour imposer plus de conditions à la trêve en raison des divisions du camp d’en face. »

Selon Oussama al-Rawhani, chercheur au sein du groupe de réflexion indépendant Sanaa Center, il y a d’autres raisons à ce revirement : « Les houthis essaient d’obtenir plus de gains de la part de l’Arabie saoudite, au-delà des concessions faites par le gouvernement. Par ailleurs, ils prennent peut-être une posture menaçante en signe de solidarité avec leur allié iranien sous pression au niveau régional. »

Trêve gelée

Reste que la fin de la trêve n’a pas entraîné un regain du conflit. « Nous assistons à une “trêve gelée”, où chaque camp s’en tient pour l’instant aux conditions de l’accord, et aucune escalade de violence n’a encore eu lieu », précise Veena Ali-Khan, spécialiste du Yémen à l’ONG International Crisis Group. À l’heure actuelle, « on assiste en même temps à des négociations entre les houthis et l’Arabie saoudite et à une préparation militaire des deux côtés », souligne Ahmad Nagi.

Pour combien de temps ? Veena Ali-Khan n’est guère optimiste : « La période de trêve aura surtout attiré l’attention sur les divisions politiques insurmontables et accru la polarisation politique entre les parties. » Et M. Nagi d’abonder : « La trêve n’est pas une fin en soi, mais le début d’un processus devant mener à l’établissement d’une solution politique. Autrement, elle demeure un antidouleur. »

L’espoir de vivre, enfin. Le 2 avril 2022, premier jour du ramadan, quelque 30 millions de Yéménites endeuillés et appauvris par plus de huit années de guerre se réjouissaient de la suspension des hostilités entre les houthis, contrôlant plusieurs gouvernorats du Nord et soutenus par l’Iran, et les forces du gouvernement yéménite soutenues par l’Arabie saoudite et les Émirats...

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