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Moyen-Orient - Yémen

Déjà fragile, l’avenir du Conseil présidentiel mis en péril par les luttes intestines

Sa création en avril dernier devait permettre d’établir un front unifié face aux rebelles houthis. Ce sont néanmoins des éléments cohabitant au sein de cette instance qui se sont affrontés lors de récents combats au Yémen.

Déjà fragile, l’avenir du Conseil présidentiel mis en péril par les luttes intestines

Les troupes des Brigades des géants, soutenues par les Émirats arabes unis, aux alentours d’Ataq, la capitale de la province de Chabwa, en route pour combattre les rebelles houthis, le 28 janvier 2022. Photo AFP

Des rivaux dans une même coalition. La proposition visait à renforcer les liens entre des parties aux intérêts certes divergents, mais qui partageaient un ennemi commun : les rebelles houthis. Établi en avril dernier pour remplacer l’ancien président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi, le Conseil présidentiel (Political Leadership Council, PLC) a pourtant vu ces dernières semaines certains de ses membres s’affronter sur le terrain pour le contrôle de la province pétrolière de Chabwa, dans le sud du pays. Les troubles les plus violents depuis la conclusion d’une trêve entre les houthis et le Conseil présidentiel au début du ramadan, en avril dernier, reconduite deux fois jusqu’à début octobre. Administrant principalement le nord du pays – à l’exception du bastion gouvernemental de Ma’rib –, le groupe rebelle n’était pas impliqué dans ces combats. Les affrontements ont eu lieu entre certaines forces sudistes et d’autres groupements progouvernementaux, affiliés notamment au parti Islah, avant de s’étendre ensuite au gouvernorat d’Abyan, vers l’Ouest. « Nous sommes au début d’une série d’événements dans toute la zone sudiste et cela va se développer d’une manière ou d’une autre. La prochaine bataille sera fort probablement dans Wadi Hadramout (province à l’ouest de Chabwa) », prévient Helen Lackner, chercheuse indépendante et auteure de Yemen, Poverty and Conflict (Routledge, 2022). Une situation qui pourrait contribuer à isoler le parti Islah, diminuant considérablement son influence au sein du Conseil présidentiel. Alors dans le Golfe pour recueillir un soutien financier et politique, le président du PLC, Rachad al-Alimi, avait pourtant ordonné la semaine dernière aux forces sudistes qui ont gagné du terrain à Chabwa de se retirer et de cesser toute opération militaire à Abyan. Proche des pays du Golfe, le chef du Conseil présidentiel a été désavoué par l’un de ses membres, Aïdarous el-Zoubaydi, chef indépendantiste du Conseil de transition du Sud (CTS), dont les forces venaient de prendre le contrôle d’installations pétrolières et gazières dans le sud de Chabwa et qui lançait alors une opération « antiterroriste » contre la province d’Abyan.

En 2018 et 2019, des affrontements avaient déjà éclaté entre les combattants du CTS et des forces gouvernementales, avant que ne soit conclu l’accord de Riyad, en novembre 2019. Celui-ci avait alors pour but d’unifier les groupes non houthis en prévoyant un partage des postes ministériels entre l’alliance des séparatistes sudistes, soutenue par les Émirats arabes unis, et le gouvernement exilé du président Abd Rabbo Mansour Hadi, incluant le parti Islah, proche des Frères musulmans, honnis par Abou Dhabi. La mise en œuvre de l’accord avait été laborieuse et d’une efficacité limitée, symptomatique des intérêts contradictoires qui continuent d’animer les parties en présence.

Bataille pour le pouvoir

Les récents combats à Chabwa relèvent eux aussi d’une lutte d’influence qui se joue dans le sud du pays entre différents groupes progouvernementaux censés diriger ensemble le pays et conclure une paix durable avec les rebelles houthis. « Le PLC a été créé via un accord émirato-saoudien, bien que principalement par les Saoudiens, sous l’égide du Conseil de coopération du Golfe. Ce n’est pas une représentation de partis ou d’organisations yéménites. Ce qu’il s’y passe était totalement prévisible dès le début : une désintégration et une bataille pour le pouvoir », constate Helen Lackner. Un des huit membres du Conseil présidentiel, Abdullah al-Alami, membre d’Islah affilié et ancien chef de cabinet de l’ancien président Abd Rabbo Mansour Hadi, aurait même présenté sa démission à la suite des combats, avant de revenir sur sa décision peu après, selon une source proche citée par l’agence Reuters.

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Chabwa est considérée comme un fief du parti Islah, où celui-ci occupe encore des postes stratégiques, notamment parmi les commandements des forces spéciales et de la police, indique Maged al-Madhaji, cofondateur et directeur exécutif du Sanaa Center for Strategic Studies. À Ataq, dans la capitale du gouvernorat, une tentative ratée d’assassinat avait ainsi visé le 19 juillet dernier le commandant des forces spéciales, le brigadier général Abd Rabbo Laakab, affilié au parti Islah. Peu auparavant, les Forces de défense de Chabwa, associées aux Brigades des géants, deux formations traditionnellement appuyées par les EAU, s’étaient déjà confrontées aux Forces spéciales de sécurité de la province. Pour calmer le jeu, le gouverneur de Chabwa les avait suspendues, ainsi que le commandant de la seconde brigade des Forces de défense de Chabwa, dans le but de conduire une enquête. Insuffisant à contenir les tensions qui ont éclaté en violents combats pendant plusieurs jours à la mi-août, conduisant à la prise de contrôle de certains checkpoints et points stratégiques par les forces sudistes.

Rivalité latente

Alliés de circonstance, les Forces de défense de Chabwa et les Brigades des géants avaient déjà permis d’expulser ensemble les rebelles houthis de la province de Chabwa en début d’année, les Émiratis ayant obtenu en échange l’éviction du gouverneur de la province affilié à Islah, Mohammed ben Adio, selon Maged al-Madhaji. « À Chabwa, les forces du CTS et les Brigades des géants ont travaillé ensemble comme c’est arrivé par le passé, mais c’est une alliance qui semble temporaire. La prochaine bataille sera probablement entre ces deux éléments soutenus par les EAU », prédit Helen Lackner. Si les Forces de défense de Chabwa sont fidèles à Aïdarous el-Zoubaydi, les Brigades des géants sont quant à elles sous le commandement d’un autre membre du PLC, Abdel Rahman Abou Zara’a. « Le CTS aura plus de poids s’il contrôle les provinces stratégiques du sud du pays. Il sera la première puissance sur le terrain dans les régions libérées ou qui ne sont pas sous contrôle houthi, ce qui ferait pencher la balance de son côté au sein du Conseil présidentiel, en plus de bénéficier d’avantages économiques », analyse Maged al-Madhaji.

Pour mémoire

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Riche en hydrocarbures, la province de Chabwa abrite notamment la ville côtière de Balhaf, qui dispose d’un complexe gazier mis à l’arrêt en 2015. Celui-ci était opéré par Yemen LNG et l’entreprise française TotalEnergies en détient une partie. Occupé depuis par les Émiratis, accusés par des organisations de défense des droits humains d’y avoir établi un centre de détention sur une base militaire, le site présenterait un intérêt certain dans le contexte actuel de la flambée des prix du gaz, liée notamment à la guerre en Ukraine. L’ancien ministre yéménite des Affaires étrangères Abubaker Alqirbi révélait il y a une dizaine de jours sur son compte Twitter la présence de l’armée française sur la base de Balhaf pour aider à protéger le terminal gazier d’exportation du gaz naturel liquéfié. Une information démentie peu après par l’ambassade de France au Yémen. Reprendre une activité d’exportation nécessiterait cependant de sécuriser la zone, dans laquelle de nombreux éléments de l’organisation el-Qaëda sont implantés. Dans ce sens, le but affiché de l’opération lancée il y a une semaine à Abyan par le chef du CTS Aïdarous el-Zoubaydi était ainsi de « nettoyer la province des organisations terroristes ».

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