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Nos Lecteurs ont la Parole

La gouvernabilité du Liban : quatre conditions prioritaires pour demain


« Si l’État est fort, il nous écrase. S’il est faible, nous périssons. » Paul Valéry

Le problème de l’État et du vivre-ensemble verse souvent dans des généralités connues et répétitives, sans théorisation opérationnelle à la lumière de l’expérience et des travaux comparatifs internationaux qui ont émergé surtout depuis les années 1970. Il y a trois problèmes dans cette perspective : État, pluralisme et gouvernabilité.

Problèmes

1. Qu’est-ce que l’État ? On a disserté dans des facultés de loi (et moins de droit) sur les trois composantes de l’État : territoire, peuple et institutions. Or, le problème central est celui des quatre fonctions régaliennes de l’État (rex, regis, roi) : monopole de la force organisée, monopole des rapports diplomatiques, gestion et perception de l’impôt, et gestion des politiques publiques. Il en découle que l’État implique l’existence d’une armée et non de deux, et une diplomatie et non deux, en conformité avec le préambule de la Constitution libanaise : « Le Liban est arabe dans son identité et son appartenance ». L’accord du Caire en 1969 et « l’accord du Caire revisité » avec l’alliance de Mar Mikhaël du 6/2/2006 sont incompatibles avec l’État.

2. Qu’est-ce que le pluralisme ? La notion du pluralisme est équivoque dans des travaux d’auteurs reconnus, mais qui n’ont pas suivi le développement des recherches comparatives internationales sur les sociétés pluralistes. Il y a le pluralisme au sens démocratique général qui implique la reconnaissance et la garantie des libertés fondamentales. Mais il y a aussi le pluralisme culturel, au sens sociologique, dans les cas de diversité religieuse, linguistique, ethnique, raciale… Le pluralisme culturel comporte quatre caractéristiques particulières :

a) La diversité revêt un haut niveau de stabilité et de permanence.

b) Elle classifie à des niveaux variables les personnes et les groupes (noir, blanc, francophone, germanophone…).

c) Elle se traduit par des organisations sociales, religieuses, éducatives, hospitalières…

d) La règle démocratique générale de l’alternance ne fonctionne pas de façon quasi mécanique (gauche-droite, démocrate-républicain…). Il y a donc dans le pluralisme culturel, comme on le constate dans plusieurs pays, un risque d’exclusion permanente.

Il en découle l’exigence de gérer le pluralisme culturel, en plus des normes générales démocratiques connues, avec des aménagements spéciaux : discrimination positive, ou quota, autonomie limitée dans certains domaines, fédéralisme personnel ou territorial…

Le terme « confessionnalisme » que Michel Chiha emploie entre guillemets (Politique intérieure, p. 79) n’est pas un concept, ni une notion, ni une catégorie juridique. Il comporte en effet trois composantes distinctes tant pour le diagnostic que pour la thérapie :

a. L’autonomie personnelle, ou le fédéralisme personnel (art. 9, 10 et 19 de la Constitution).

b. La règle de discrimination positive, ou le quota (art. 95).

c. Les mentalités confessionnelles.

Preuve en est que l’art. 95 de la Constitution emploie le terme « confessionnalisme » puis, quelques lignes plus loin, « confessionnalisme politique », ce qui signifie qu’il s’agit de préciser et d’expliciter l’analyse par référence à des cadres normatifs.

3. Gouvernabilité du régime constitutionnel libanais. Les principales pathologies des régimes parlementaires pluralistes dont il faut, à partir d’elles, déterminer les thérapies, sont notamment :

- la faiblesse ou l’absence d’une opposition agissante ;

- le blocage et la lenteur de la décision ;

- l’application sauvage de la règle du quota ou de la discrimination positive ;

- la faiblesse de l’autorité étatique ;

- la perméabilité à des ingérences extérieures ;

- la pillarisation communautaire avec dictature des élites au sommet, ou élitocratie, et des ententes interélites ;

- le compromis à outrance interélites, jusqu’à la compromission, et même le non-droit.

Alternatives

Les alternatives de règlement du problème de la décision au Liban sont les suivantes :

- Occupation directe ou par procuration par une « Sublime Porte ».

- Polyarchie, cependant débridée, selon l’explication de François Bourricaud (Esquisse d’une théorie de l’autorité, 1962) avec cependant faiblesse de l’État et sans normes.

- Minority control, ou dominant majority, selon la théorie de l’auteur israélien Sammy Smooha.

- Régime d’assemblée avec des gouvernements mini-Parlements en violation complète du principe de séparation des pouvoirs, suivant la pratique des autorités occupantes depuis 1990, avec dictature d’élites au sommet et clientélisme institutionnalisé où la décision n’est libérée que grâce à un échange de prébendes.

- État-chrysanthème (plutôt non-État) où chacun cueille un pétale de la rose sans se soucier de l’harmonie de l’ensemble.

Michel Chiha écrit : « Tout est mis en œuvre pour que la Constitution libanaise soit manipulée toutes les quelques années (…). Si l’électeur libanais n’avance pas dans la liberté et dans la probité civique, si la qualité du citoyen libanais continue à baisser, ce pays est politiquement sans avenir (…). Si les détenteurs du pouvoir le veulent, ce système peut durer longtemps, mais alors, c’est ce pays qui ne durera pas (…). Il se trouve que c’est la capitale et la vieille montagne qui sont le plus manipulées (…).

Si un certain nombre de principes et de règles étaient suivis, on pourrait gouverner le Liban à peu près les yeux fermés, comme, en se servant du radar, on fait atterrir un avion dans le brouillard (…). Ces principes et ces règles résultent de la connaissance du pays en profondeur et d’une étude moins superficielle de son histoire et de ses institutions (…). Le manque de doctrine politique dont nous souffrons éclate à tous les yeux, et les choses se passent comme si le Liban, pour améliorer son sort, devait prendre exemple sur ce qu’enseignent les professeurs de droit public et d’économie politique de pays très lointains » (Politique intérieure, 30/5/1952, 20/11/1949 et 5/8/195, souligné par nous).

Priorités

Il découle de l’analyse quatre priorités pour la gouvernabilité (rendre la gouvernance possible) du régime parlementaire pluraliste du Liban :

- Souveraineté avant toute chose, car aucun régime constitutionnel ne fonctionne avec régularité en situation d’occupation.

- Chef de l’État garant de la suprématie de la Constitution, en conformité avec l’art. 49 fort explicite de la Constitution.

- Gouvernements « exécutoires » (sulta ijrâ’iyya) et non mini-Parlements (ch. IV de la Constitution).

- Acculturation de l’État dans la conscience collective des Libanais par les divers moyens de socialisation, dont l’historiographie scientifique et réaliste, et l’éducation.

Ancien membre du Conseil constitutionnel, 2009-2019

Note : ce texte est un extrait de l’intervention de l’auteur à la conférence organisée à Paris, le 15/9/2022, par la Diaspora libanaise overseas, à la mairie du 16e arrondissement.

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« Si l’État est fort, il nous écrase. S’il est faible, nous périssons. » Paul ValéryLe problème de l’État et du vivre-ensemble verse souvent dans des généralités connues et répétitives, sans théorisation opérationnelle à la lumière de l’expérience et des travaux comparatifs internationaux qui ont émergé surtout depuis les années 1970. Il y a trois problèmes...

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