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Culture - Abécédaire d’artiste

Ghazi Baker, « anxieux heureux » et « sarcastique »

Il vient de rentrer d’Istanbul où sa participation à la foire d’art contemporain, sous la férule du galeriste Mark Hachem, a été couronnée de succès. Deux semaines plus tôt, le 10 septembre, c’est au sein du prestigieux Rijks Museum à Amsterdam qu’il avait eu l’honneur d’exposer l’une de ses œuvres. L’occasion de vouloir en découvrir un peu plus sur cet artiste aussi discret que ses peintures sont pétulantes, en suivant tout simplement la piste des lettres de son (pré)nom.

Ghazi Baker, « anxieux heureux » et « sarcastique »

Ghazi Baker devant son emblématique « Hope » (acrylique sur toile ; 200 x 320 cm ; 2020). Photo DR

G comme guerre. Vous êtes né à Beyrouth en 1967, selon Wikipédia. Vous êtes donc un enfant de la guerre. À quel point cette période aura imprégné votre créativité ?

Plutôt que le G de guerre, je préfère le G de grandir, dans le sens de développer son regard, élever son esprit et élargir ses compétences. C’est une exigence essentielle à tous les efforts créatifs. Car si vous stagnez, vous mourez. L’art est une réinterprétation continue du monde qui nous entoure. Je ne vois pas d’art qui ne reflète pas la croissance de l’artiste et son évolution. Et donc, le fait d’avoir grandi durant la période de la guerre – ou plutôt des guerres – au Liban a certainement nourri mon inspiration et forgé mon caractère en me donnant un côté sarcastique qui se traduit souvent dans mes toiles.

La guerre est une expérience de vie si puissante qu’elle a certainement affecté et affectera tout ce que je fais. Aussi bien l’art que je produis, les décisions que je prends ou la vie que je mène. Sauf que mon travail, positif dans son esthétique, même s’il est parfois cryptique dans son message, est tout le contraire de la guerre qui, elle, est horrible dans son imagerie et brutale dans son message.

Le « Deutch » de Ghazi Baker sous les dorures du Rijks Museum. Photo DR

H comme « Happy Anxiety ». Ce titre de l’une de vos acryliques sur toile de 2020 résume ce qui se dégage de l’ensemble de votre peinture. Seriez-vous un « joyeux anxieux » vous-même ?

H comme Hope (espoir) aussi, qui est une autre de mes peintures. Il est vrai que je suis un « heureux anxieux », car l’anxiété est une constante chez toute personne sensible et consciente de son environnement. Le monde en perpétuel changement dans lequel nous vivons et les multiples séquences catastrophiques par lesquelles sont passés les Libanais, en particulier ces trois dernières années, du Covid-19 à l’effondrement économique et au cataclysme du 4 août, ne peuvent que rendre toute personne rationnelle anxieuse. Sauf que cette anxiété, nous la subissons. Elle nous a été imposée. Alors qu’être heureux est un choix que je pense avoir fait consciemment pour me donner l’impression de reprendre un certain contrôle sur ma vie.

A comme architecte, comme artiste, mais aussi comme autodidacte. Parlez-nous de votre parcours. Quand et comment avez-vous découvert votre talent pictural ?

J’ai toujours été passionné par l’esthétique, le visuel, la façon dont nous percevons la beauté et le grotesque. D’où ma formation d’architecte. Mais alors que, dans la pratique de ma profession, je suis tenu de me conformer aux demandes des clients et à ce qui est techniquement constructible, j’ai toujours eu envie d’expérimenter davantage les lisières de ma créativité… En fait, j’ai commencé à peindre à l’université. C’était comme un défouloir, un espace où je laissais de côté les aspects trop rigoureux de ma formation. Plus tard, une fois entré dans la vie active, j’ai continué à peindre pour me détendre. L’art a donc été ce débouché pour moi, quelque chose qui me permettait d’explorer les confins de mon imagination sans être limité par les contraintes du monde physique, de la logique et de la science. Je peignais pour mon plaisir, sans chercher à exposer, jusqu’au jour où, en 2014, à l’occasion d’un déménagement, ma femme décide de réaliser une exposition en open house pour vendre la quarantaine d’acryliques sur toile que j’avais réalisées et qui n’avaient pas de place dans le nouveau logement. Elles sont toutes parties. À partir de là, j’ai eu la chance d’être pris en charge par Mark Hachem, mon galeriste et ami, qui m’a donné l’opportunité d’exposer mon art, depuis 2016, aussi bien dans son espace à Beyrouth que dans sa galerie à Paris et dans des foires à travers le monde.

L’artiste et son « Deutch » au musée Rikjs, à Amsterdam. Photo DR

Z comme zénith. L’atteindre dans votre art reviendrait à… ?

Les artistes sont de drôles d’oiseaux ! Nous partageons tous le désir d’être représentés par une grande galerie, d’exposer notre travail dans des foires d’art internationales et de faire entrer notre art dans de prestigieuses collections. Évidemment, nous aspirons tous à cette reconnaissance ultime qui consiste à voir notre travail accroché sur les cimaises d’un musée. Il n’empêche que, pour moi, le sommet du bonheur, son zénith, est qu’un étranger regarde mon art et s’y connecte totalement, un peu à la manière d’un enfant. Qu’il l’apprécie parce qu’il le comprend ou que le travail le touche d’une manière ou d’une autre à un niveau très profond. Car, s’il est vrai que les artistes mettent un peu d’eux-mêmes dans chaque œuvre qu’ils créent, je pense que le spectateur fait de même lorsqu’il établit un lien fort avec une peinture.

I comme inspiration. Qu’est-ce qui vous inspire ?

Je suis dans un état constant d’observation de ce qui m’entoure, et c’est une source intarissable d’inspiration. Je suis inspiré par le monde dans lequel nous vivons et plus encore par la capacité de l’être humain à chercher en permanence à le comprendre et interagir avec lui. C’est ce processus d’intellectualisation, cette réflexion, que j’essaie de transcrire en lignes, figures et couleurs dans mes toiles…

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B comme boule, bosse, balle, bulle ou encore « Boobs » … Pourquoi ces « rondeurs » sont-elles omniprésentes dans vos toiles ?

Le cercle est un symbole universel de totalité, d’intégrité, de perfection originelle, de soi, d’infini, d’intemporalité. Les courbes, les arcs et les ellipses sont aussi, dans ma peinture, l’expression psychologique d’une rébellion contre le rigorisme de ma formation d’architecte. Sans doute ai-je, également, inconsciemment lié ces rondeurs aux différentes formes de sarcasme et d’ironie qui sous-tendent ma peinture et dénoncent aussi bien les excès de la chirurgie esthétique que le machisme qui consiste à ne voir chez la femme qu’un objet sexuel (dans la série des « Boobs », notamment, où je portraiture des hommes avec des seins à la place des joues).

A comme art pop ou néopop. Dans quel registre vous situez-vous exactement ?

Comme beaucoup d’artistes, j’essaie le plus possible de ne pas me définir dans une catégorie ou dans l’autre. Mon travail actuel tourne autour du néopop et du néo-expressionnisme. Mais à quoi bon attribuer des étiquettes ? Je préfère simplement laisser aux gens la liberté d’apprécier le travail…

Ghazi Baker en compagnie des autres artistes choisis pour célébrer Rembrandt devant la fameuse peinture du maître néerlandais « La Ronde de nuit ». Photo DR

K comme kaléidoscopique ou kafkaïenne. Lequel des deux termes qualifierait le mieux votre peinture à votre avis ?

Je pense qu’un peu des deux serait juste. Visuellement, mon travail peut être kafkaïen, mais je ne souscris pas au côté philosophique. J’utilise des images parfois cauchemardesques, mais mon intention reste positive, et je le fais en utilisant des couleurs et une géométrie fluides.

E comme émotion. Quelle est celle qui est le plus liée à votre travail ?

L’extase à coup sûr ! Mais aussi l’éblouissement et la stupéfaction que je représente beaucoup dans mon travail figuratif. J’aime les émotions extrêmes. Et j’aime les transcrire dans mon art de manière à susciter une réponse émotionnelle chez le regardeur. Parce que je sens qu’un tableau prend vie quand on le regarde. Il devient alors comme un feu d’artifice qui explose de couleurs, d’énergie et de formes.

R comme Rijks Museum à Amsterdam. Racontez-nous comment une de vos toiles s’est retrouvée exposée dans le musée de Rembrandt et de Vermeer…

En 2019, la Royal Talens (productrice et distributrice historique de matériel artistique aux Pays-Bas), en association avec le Rijks Museum, m’a sollicité pour faire partie des 12 artistes ambassadeurs choisis dans le monde pour marquer « l’année Rembrandt », une célébration du maître à l’occasion des 350 ans de sa disparition. 2020 était censée être cette année d’événements et de célébrations, mais le Covid-19 a frappé le monde. Après de multiples ajournements, elle s’est ouverte le 10 septembre courant par un dîner de gala au Rijks, à Amsterdam. Et à cette occasion, j’ai été invité à exposer une de mes œuvres, intitulée Deutch, dans le hall d’honneur de ce musée parmi les plus prestigieux du monde, aux cimaises porteuses de sublimes Rembrandt, Vermeer et Van Gogh. Lorsque vous réalisez que vous êtes l’un des rares artistes vivants à avoir une œuvre d’art présentée dans ce musée (et désormais entrée dans ses collections), cela vous rend si humble et si fier. Et puis le dîner de gala sous les yeux attentifs de La Ronde de nuit, chef-d’œuvre emblématique de Rembrandt, était en lui-même une expérience sublime.

G comme guerre. Vous êtes né à Beyrouth en 1967, selon Wikipédia. Vous êtes donc un enfant de la guerre. À quel point cette période aura imprégné votre créativité ? Plutôt que le G de guerre, je préfère le G de grandir, dans le sens de développer son regard, élever son esprit et élargir ses compétences. C’est une exigence essentielle à tous les efforts créatifs. Car si vous...

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