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Nos Lecteurs ont la Parole

Les relations chrétiens-musulmans au Liban : l’échec

Il ne s’agit pas de parler des relations personnelles entre un Libanais chrétien et un Libanais musulman, qui peuvent être conviviales, voire très amicales. Il s’agit de se focaliser sur le fossé politique qui existe entre les deux communautés, source de conflits à répétition.

Juste avant l’indépendance

Après la déclaration de l’État du Grand Liban le 1er septembre 1920, les chrétiens libanais étaient majoritairement pour le Grand Liban, ainsi que les druzes et une partie des chiites. Les musulmans sunnites avaient un sentiment contraire et cherchaient plutôt le rattachement à la Syrie ou la constitution d’une unité arabe. Un leader sunnite de Beyrouth, Salim Salam, viendra à la tête d’une délégation protester auprès du général Gouraud contre leur incorporation dans le Grand Liban. La disparition de l’empire musulman des Ottomans a laissé un vide chez les musulmans qu’ils cherchaient à combler par une unité syrienne ou arabe (Boutros Dib, 2006). Un Libanais musulman peut-il être arabe avant d’être libanais ? Un Français peut-il être européen avant d’être français ? Un Chinois peut-il être asiatique avant d’être chinois ?

Après l’indépendance

Plusieurs manifestations réunissant des chrétiens et des musulmans (le parti Kataëb chrétien et le parti Najjadeh sunnite) réclameront la fin du mandant français et l’indépendance du Liban en novembre 1943. C’était un moment d’union et d’espoir. La position des chrétiens fut une décision essentielle, compte tenu des relations étroites, construites depuis des siècles, entre les maronites et la France.

En 1958, éclate la miniguerre civile à la fin de la présidence de Camille Chamoun. Dans l’ensemble, les partisans de Chamoun étaient formés de chrétiens alors que ses adversaires étaient surtout des musulmans. Pour résumer, les musulmans soutenaient Nasser d’Égypte (allié des Soviétiques) tandis que les chrétiens étaient proaméricains et anticommunistes. Premier grand conflit démontrant les divisions politiques communautaires concernant l’avenir du pays.

En 1973, des accrochages sérieux ont eu lieu entre l’armée libanaise et les milices palestiniennes qui tentaient de mettre la main sur l’Aéroport international de Beyrouth et les routes qui y mènent. Le président Frangié engagera l’aviation. Un tollé dans les capitales arabes et les milieux musulmans libanais. Le fossé ne cessa de s’agrandir entre les deux communautés, malgré la reprise d’une vie politique cherchant l’apaisement.

En 1975, le Liban bascula dans une guerre qui durera 15 ans : les chrétiens prennent les armes contre les milices palestiniennes et la Syrie de Hafez el-Assad, les musulmans feront alliance avec les Palestiniens et la Syrie contre leurs compatriotes chrétiens (solidarité musulmane, projet de diminuer les prérogatives du président de la République maronite…). Ce positionnement des uns et des autres donnera un coup fatal à la coexistence entre communautés et au consensus national.

Depuis la fin de la guerre en 1990, le Liban n’est plus parvenu à retrouver sa place de « Suisse de l’Orient », « hôpital de l’Orient », « banque de l’Orient », « université de l’Orient »…

Le Hezbollah, parti chiite libanais affilié à l’Iran, financé et armé par lui, maintient au Liban une ambiance tendue, brandissant une guerre contre Israël avec un Liban exsangue, appauvrissant le Liban en contrant les pays du Golfe et l’Occident. Une stratégie suicidaire qui risque de sonner le glas du Liban. Ce qui change aujourd’hui, et qui pourrait être un signe d’espoir dans les relations communautaires conflictuelles, il faut le dire, c’est le fait de trouver dans l’alliance contre le Hezbollah des chrétiens, des sunnites et des druzes. Cependant, ils ne parviennent pas à établir une ligne de conduite unifiée et efficace. L’autre source d’espoir, c’est la « révolte » de la société civile en 2019, toutes confessions confondues, contre la classe politique corrompue et inapte à gouverner, courbant l’échine sous le poids de Hezbollah. Malheureusement, là aussi, le désespoir suit l’espoir, cette société civile ne parvenant pas à se mettre d’accord sur une ligne politique salvatrice.

Quel système politique ?

Actuellement, les Libanais ne parviennent pas à trouver la formule politique qui leur permettra de sortir de cet état permanent de conflit et de blocage politique, et maintenant de cet effondrement économique. Cet échec trouve son origine dans des oppositions communautaires internes au Liban, des visions différentes de l’avenir et aux répercussions internes des conflits régionaux. La suppression du système confessionnel politique résoudra-t-il le problème ? Pas si sûr : quelle sera la ligne politique des affaires étrangères ? Quid du mariage civil ? Quid des droits de la femme ? Le Liban a besoin de 100 ans de paix pour que les communautés puissent se faire confiance, se construire sans l’influence extérieure. Pour y aboutir, il faut une neutralité du Liban, reconnue par l’ONU et les communautés libanaises. Il est décevant de constater que même sur ce point, les deux communautés ne sont pas d’accord : les musulmans prétendent qu’ils ne peuvent pas être neutres vis-à-vis de la cause palestinienne, les chrétiens soutiennent que cela n’empêche pas une solidarité, mais en aucun cas le Liban ne peut s’impliquer dans un conflit où les Palestiniens eux-mêmes sont divisés, leurs milices dépendant tantôt de la Syrie, tantôt de l’Iran, et où les pays arabes sont aux abonnés absents. De même, le fédéralisme reçoit l’opposition de la majorité de la communauté musulmane et d’une minorité de chrétiens. Politiquement, c’est un grand échec et les faits sont là pour le confirmer.

Ethnie ou ethnies ?

La notion même d’être arabe est différente : pour les musulmans, c’est une prolongation nécessaire de leur identité. Pour les chrétiens, ils se considèrent comme arabophones dans une région arabe avec laquelle ils souhaitent maintenir de très bonnes relations. Par ailleurs, beaucoup de chrétiens ne se considèrent pas comme arabes du point de vue ethnique. Ils se rappellent qu’ils parlaient le syriaque (branche de l’araméen) avant l’invasion de la région par les musulmans après la mort du prophète Mohammad, une langue toujours utilisée dans la liturgie, et d’ailleurs le dialecte libanais d’aujourd’hui est rempli du vocabulaire du syriaque. Par ailleurs, les chrétiens se disent volontiers descendant des Cananéens (Phéniciens pour les Grecs), une affirmation confirmée par des études génétiques menées par Pierre Zalloua (généticien) qui montre que 30 % des Libanais de la côte, de toutes confessions, possèdent le gène phénicien qui est chez eux le plus fréquent, et cela malgré les conquêtes et le mélange de populations à travers les siècles. Pour les musulmans, ces ancêtres sont gommés, perçus comme un refus de l’arabisme, mais il existe cependant un léger changement.

Un point qui montre l’absence de conciliation entre les Libanais depuis la fin de la guerre il y a 30 ans : les historiens de toutes confessions ne parviennent pas à s’unir autour d’un roman historique unique. Les leaders historiques célébrés par les uns comme des héros sont considérés par les autres comme des traîtres, voire des collaborateurs. Probablement un jour une convergence de vues sera-t-elle possible...

Les chrétiens libanais craignent pour leur existence dans cette région de l’Orient, à l’instar des autres chrétiens de la région du Moyen-Orient. En regardant autour d’eux, ils ne voient que des pays musulmans dictatoriaux, maintenant leur population dans la pauvreté, avec une émigration continue, enfermant leurs minorités dans des statuts inférieurs à ceux de leurs compatriotes musulmans, et cela au XXIe siècle. Quand les musulmans libanais regardent autour d’eux, ils voient une région très majoritairement musulmane avec laquelle ils se sentent en pleine symbiose malgré leurs critiques sur tel ou tel point.

Il existe, bien évidemment, des points de « rencontre » entre les communautés, dans la vie de tous les jours (la langue commune, la gastronomie, la convivialité…). Il est honnête de dire que ces éléments ne parviennent pas à se traduire politiquement, afin de libérer le Liban de ses chaînes. Il faut des succès collectifs pour se construire une identité commune. Ce n’est pas le cas pour le moment.

Il n’y a pas eu de réconciliation après la guerre, que ce soit dans la Montagne ou le reste du pays. Dire le contraire est une contrevérité qui risque de maintenir longtemps les questions essentielles dans un tiroir d’une armoire fracassée. Cela explique probablement le maintien des divisions et l’absence d’une opposition nette contre le projet iranien du Hezbollah.

Les Libanais perçoivent bien aujourd’hui que leur pays est à la croisée des chemins. C’est à eux de démontrer que le Liban n’est pas une illusion, en se rappelant qu’« en histoire, les faits n’ont jamais tort », comme le dit Maurice Bouvier-Ajam, et il faut donc s’atteler à bien les étudier, sans fard, sans mensonges et sans acrobaties politiques.

Les propos de Metternich, ministre des Affaires étrangères de l’Empire d’Autriche, prononcés dans les années 1840, en considérant le Liban comme étant « ce pays si petit, mais si important », prouve les visées des puissances depuis l’Antiquité sur ce petit territoire stratégiquement important. Les Libanais ont-ils une solution pour empêcher la répétition des ingérences étrangères dans la vie politique libanaise ? Ont-ils une solution pour retrouver leur « Suisse de l’Orient » ? Le brouillard dissimule l’avenir du Liban car justement les Libanais n’ont pas de solutions communes actuellement. Cependant, le temps presse.

Chirurgien, diplômé en histoire

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Il ne s’agit pas de parler des relations personnelles entre un Libanais chrétien et un Libanais musulman, qui peuvent être conviviales, voire très amicales. Il s’agit de se focaliser sur le fossé politique qui existe entre les deux communautés, source de conflits à répétition.Juste avant l’indépendanceAprès la déclaration de l’État du Grand Liban le 1er septembre 1920, les...

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