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Sport - Décryptage

Les controverses du Mondial s’invitent chez les Bleus

Sommées de s’exprimer sur les débats qui entourent l’organisation du Mondial qatari, l’équipe de France et sa fédération semblent enfin se saisir de cette controverse épineuse. Interrogés sur la question du respect des droits humains, les joueurs sont restés prudents dans leurs prises de position.

Les controverses du Mondial s’invitent chez les Bleus

Le sélectionneur des Bleus Didier Deschamps levant les bras après une question posée par un journaliste lors d’une conférence de presse tenue ce samedi en amont du match de Ligue des nations opposant la France au Danemark, à Copenhague. Franck Fife/AFP

La FFF « sort enfin de son silence ». Muette jusqu’alors sur la question, l’instance fédérale a publié ce samedi un communiqué officiel en réaction aux débats qui agitent le monde sportif à moins de deux mois du coup d’envoi de la compétition. Une réponse qui fait suite à une lettre ouverte que lui avait adressée la branche française d’Amnesty International et dans laquelle l’ONG qualifiait son silence d’« assourdissant ». En substance, la « 3F » estime que « participer ne signifie pas fermer les yeux et cautionner ». Pour ce faire, elle promet de mettre en œuvre « différentes mesures » en prévision de son séjour qatari. Dans un communiqué, la fédération s’est notamment engagée à procéder à des « vérifications concernant le respect des droits sociaux et l’application de conditions de travail respectueuses sur le camp de base de l’équipe de France », à Doha.

Une vue du stade Ahmad ben Ali à al-Rayyan, au Qatar, qui accueillera plusieurs rencontres du Mondial 2022. Mohammad Dabbous/Reuters

« C’est trop tard »

L’attitude mesurée des instances et des acteurs du football français sur le sujet contraste d’autant plus avec les réponses apportées par le Danemark, adversaire des Bleus ce dimanche en Ligue des nations, et dont les instances sportives n’hésitent pas, ces derniers mois, à monter au créneau sur le sujet.

Tout sauf démissionnaire en dépit de l’ampleur que prennent les révélations au sein de sa fédération – faisant notamment état de l’existence potentielle de cas d’agressions sexuelles commises au sein du centre d’entraînement national de Clairefontaine couvertes par les dirigeants successifs de la « 3F » depuis quatre décennies – Noël Le Graët reste droit comme un I. « C’est trop tard (...) Il fallait peut-être rouspéter au moment de la désignation », a rétorqué le patron du football français. « Il n’y a aucune raison que ce pays n’organise pas de grand événement », assurait-il déjà en novembre 2021.

Quelques mois plus tard, il avançait également que la Coupe du monde ferait « progresser de façon très rapide et très importante » l’émirat gazier sur cette question. Mais sa parole, à la valeur entachée par les soupçons de harcèlements moraux à caractères sexuels qui lui sont également attribués, n’a en rien permis de clore un débat dont l’intensité ne cesse de croître à mesure que le coup d’envoi du Mondial se rapproche.

Il n’aura pas fallu attendre la fin de ce mois de septembre pour voir le dossier revenir sur la table de la sélection. Après la récente publication d’un nouveau communiqué d’Amnesty International reprochant aux champions du monde en titre leur « silence assourdissant », le capitaine et son entraîneur Didier Deschamps, présents ce samedi en conférence de presse, n’ont pu échapper aux questions des journalistes portant sur les controverses qui entourent ce Mondial 2022.

Déjà interpellé par l’ONG en mai, ce dernier s’était réfugié derrière son « rôle » de sélectionneur. « C’est un sujet sensible, très sensible. Ce n’est pas mon rôle, ni celui des joueurs, de mettre la pression sur la fédération (française), elle n’en a pas besoin », avait-il répondu, assurant que la « liberté d’expression » des Bleus sur la question était totale. « Je ne suis pas là pour bâillonner les bouches, ils sont libres de s’exprimer », a de nouveau assuré le champion du monde 1998.

Il n’en demeure pas moins que depuis six mois, aucun international français n’a souhaité se positionner sur les conditions de travail des ouvriers sur les chantiers des stades ou sur l’impact écologique de la compétition. Il n’est d’ailleurs pas rare que leur entourage tente de désamorcer toute demande d’entretien à ce sujet.

Symboles forts

Interrogé samedi à Copenhague, le vice-capitaine Raphaël Varane s’est rangé derrière son sélectionneur et sa fédération. « C’est très bien de poser la question, c’est un sujet sensible, grave. On entend, on sait ce qu’il se dit », a répondu le défenseur. Mais, « en tant que joueur, on hérite d’une décision prise il y a douze ans maintenant ».

Ce cadre du vestiaire a néanmoins insisté sur l’initiative qu’il porte cette semaine aux côtés d’une dizaine de sélections européennes, dont les capitaines porteront au Qatar un brassard à bandes colorées en faveur de l’inclusion et contre les discriminations.

« C’est important de parler des droits de l’homme, des discriminations. Le fait d’en parler, de mettre la lumière dessus, de porter ce brassard, ce sont des symboles forts », a plaidé le joueur de Manchester United. « Pour moi, c’est un honneur de défendre certaines valeurs, donc ça ne posera aucun problème », avait-il déjà expliqué dans la semaine en conférence de presse.

Contrairement à ce que feint peut-être d’oublier Noël Le Graët, les controverses jetant l’opprobre sur cette Coupe du monde ne datent pas de la veille au soir. Depuis son attribution, les autorités du petit émirat du Golfe ont en réalité passé autant de temps sous le feu des critiques qu’à ériger les huit stades qui accueilleront la compétition. Bien avant les polémiques sur le traitement des travailleurs immigrés ou sur les climatisations des stades, les zones d’ombre entourant la probité du vote réalisé en décembre 2010 au siège de la FIFA à Zurich n’avaient pas tardé à s’inviter au cœur des discussions et des unes de médias.

Soupçons de corruption

L’enquête sur ces soupçons de corruption liés à l’attribution de ce Mondial est encore loin d’être bouclée. Le parquet national financier (PNF) avait ouvert, le 28 novembre 2019, une information judiciaire pour des faits de « corruption privée, active et passive » et « blanchiment et recel » après quatre années d’enquête préliminaire. Les investigations, dirigées par deux juges d’instruction, portent sur des faits qui auraient été commis « à Paris, au Qatar et en Suisse au cours de l’année 2010 », et se focalisent désormais sur deux volets.

Le premier, à l’origine de toute l’affaire, concerne un versement suspect s’élevant à 305 640 €. Cette somme a dans un premier temps égayé la curiosité des enquêteurs dans la mesure où elle avait été transférée en janvier 2011, soit moins d’un mois après la tenue du vote, par Mohammad ben Hammam, un homme d’affaires qatari et ancien ponte de la FIFA. D’après les enquêteurs de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, le virement aurait transité par le compte d’une société française, JCB Consulting, avant d’arriver dans les poches de Reynald Temarii, ex-président de la Confédération océanienne de football (OFC) et ancien membre du comité exécutif de la Fédération internationale. Ce dernier a été placé en garde à vue à Tahiti, fin novembre 2017, dans le cadre de l’enquête du parquet de Paris pour des faits de « corruption privée, recel en bande organisée et blanchiment » en lien avec le processus d’octroi à la Russie et au Qatar des Coupes du monde 2018 et 2022.

Le second volet porte sur un désormais célèbre déjeuner tenu au palais de l’Élysée, le 23 novembre 2010. Un repas au cours duquel Michel Platini, alors président de l’UEFA et également membre du comité exécutif de la FIFA, a partagé le couvert en compagnie du président de la République, Nicolas Sarkozy, mais également du futur émir du Qatar, Tamim al-Thani, et du cheikh Hamad ben Jassem al-Thani, à l’époque Premier ministre et ministre des Affaires étrangères. La justice suspecte toujours l’ancien Ballon d’or d’avoir jeté son dévolu sur le Qatar au moment de ce repas présidentiel, alors que son choix se portait, à l’origine, sur la candidature des États-Unis.

Des réformes en trompe-l’œil ?

Ces suspicions, qui n’ont pour l’instant donné lieu à aucune condamnation, ont été quelque peu mises de côté après la publication en 2021 dans les colonnes du journal britannique The Guardian d’une enquête au titre choc : « 6 500 travailleurs immigrés sont morts au Qatar depuis l’attribution de la Coupe du monde ».

Suite au tollé provoqué par de telles révélations, les autorités qataries n’ont cessé de vanter une série de réformes inédites de son code du travail ainsi que l’abolition du fameux système de « kafala ». Une première dans la région accueillie en grande pompe par plusieurs institutions internationales, dont l’Organisation internationale du travail (OIT) et de nombreux médias étrangers. Ce système de parrainage d’un travailleur étranger par un employeur local, très répandu dans les pays du Golfe, confère à ce dernier un pouvoir quasi absolu sur sa main-d’œuvre. Un système aux allures esclavagistes privant les ouvriers immigrés de multiples droits élémentaires comme celui d’entrer ou de sortir du territoire ou de changer d’emploi. Mais si ces travailleurs sont, sur le papier, censés être libérés de telles restrictions depuis août 2020 et le vote d’une réforme améliorant leurs conditions de travail (revalorisation du salaire minimum, interdiction de travailler à l’extérieur par plus de 32,5 degrés), les abus dont ils sont victimes par leurs employeurs n’ont pas disparu d’un coup de baguette magique.

D’après un rapport publié par Human Rights Watch, le Qatar et les autres pays de la péninsule Arabique « bricolent » toujours avec leurs kafalas et les effets des réformes qu’ils prétendent y apporter seraient « minimes » et ne permettraient pas « d’étendre la protection des travailleurs ». Des mesures plus cosmétiques que concrètes que corrobore Abdoullah Zouhair, ancien conseiller régional pour les pays arabes du Bureau international du travail (BIT). Dans une conférence de presse organisée au sein des murs du siège principal des Nations unies en juin dernier, cet ancien haut fonctionnaire expliquait entre autres que le Qatar avait refusé l’établissement d’une « commission d’enquête internationale » pour contrôler la mise en place desdites réformes. Après une visite dans l’émirat réalisée en 2014, Abdoullah Zouhair, toujours fonctionnaire de l’organisation onusienne, a assuré avoir été témoin de l’élaboration de « faux rapports » par des experts promettant de se montrer « cléments » avant même la réalisation des visites prévues. « Tant que des mécanismes de contrôle indépendants ne seront pas imposés, les travailleurs continueront à être victimes d’exploitation et d’abus », clame Abdoullah Zouhair, qui a depuis été renvoyé du BIT et démis de ses fonctions de superviseur des réformes qataries en matière de droit du travail.

Malgré l’écho relatif que peuvent recevoir certaines de ces révélations, celles-ci semblent toutefois inefficaces pour faire bouger les lignes au sein de l’émirat. Balayées par les organisateurs du Mondial qatari, ces polémiques prennent souvent des allures de bouteilles jetées à la mer. Si le Mondial qatari aura bien lieu, reste à savoir si le principe de réalité n’entrera pas en contradiction avec certains effets d’annonce. Dernier en date, l’assurance que les membres de la communauté LGBT+ seront accueillis sans discrimination, en dépit des lois criminalisant les relations sexuelles entre personnes du même sexe dans le pays.

La FFF « sort enfin de son silence ». Muette jusqu’alors sur la question, l’instance fédérale a publié ce samedi un communiqué officiel en réaction aux débats qui agitent le monde sportif à moins de deux mois du coup d’envoi de la compétition. Une réponse qui fait suite à une lettre ouverte que lui avait adressée la branche française d’Amnesty International et dans...

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