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Culture - Entretien avec l’auteur

Sabyl Ghoussoub : Ce livre est une sorte de revanche face à la guerre

Construction des personnages, transmission, réflexion sur le parcours d'écrivain... L'auteur a répondu à nos questions, à l'occasion de la sortie de son troisième roman, « Beyrouth-sur-Seine »

Sabyl Ghoussoub : Ce livre est une sorte de revanche face à la guerre

Sabyl Ghoussoub. Photo Patrice Normand

Pour « Beyrouth-sur-Seine », votre troisième roman qui vient de sortir aux éditions Stock, comment êtes-vous parvenu à transformer vos parents en personnages romanesques ?

C’est l’inverse que j’ai ressenti en écrivant ce livre : mes parents étaient des personnages romanesques et c’est pourquoi j’ai souhaité écrire à leur sujet. Le moment où je les ai interrogés sur leur passé a été assez douloureux, mais dès l’écriture, je les considérais comme des êtres de papier.

Au cours de nos entretiens, j’ai constaté que, selon les sujets, il y avait toujours un point au-delà duquel ils ne voulaient plus parler. Certains auteurs auraient choisi de percer ce moment de rupture : il y a matière à roman dans les silences, mais je n’ai pas souhaité aller jusque-là, je ne voulais pas les faire souffrir, mais les accompagner. Dans le texte littéraire, se crée entre le narrateur et ses parents un lien empreint de beauté, qui est réel sans l’être. On finit par être dépassé par ce qu’on écrit, et au moment de la publication d’un livre, je me demande parfois si c’est bien moi qui l’ai écrit. C’est certainement pour ça qu’on arrive à toucher d’autres gens, parce que ce n’est plus vraiment notre histoire, et au fond ce n’est pas la question. Ce livre est ma perception de l’histoire de mes parents et de mon histoire par rapport au Liban, au moment de l’écriture. J’aime la multiplicité des récits, et c’est ce qu’il y a de plus riche autour de la guerre du Liban : plus ils se développeront, plus on la comprendra, et plus on s’y perdra…

Critique du roman

« Je ne peux plus voir mes parents pleurer à cause de ce pays »

La chronique de guerre ne se détruit-elle pas elle-même au fur et à mesure qu’elle s’ébauche dans le roman ?

J’ai énormément lu et effectué beaucoup de recherches à ce sujet. Avant de commencer ce livre, j’en écrivais un sur Walid Joumblatt et sur la question des disparus. Je suis tellement allé dans les détails que j’ai voulu m’en sortir, car c’est un cercle vicieux. En plus, j’en ai assez des gens qui évoquent la guerre de manière péremptoire, selon leur point de vue, je voulais un personnage qui accepte l’idée qu’on ne peut pas la comprendre et qu’il peut y avoir mille regards différents sur le sujet. Beaucoup de jeunes de ma génération ressentent le même ras-le-bol, et finalement le narrateur mène un raisonnement par l’absurde en avançant que la seule position tenable est de tenir la position de l’adversaire. J’avais envie d’évoquer ce sujet par un biais différent, via le regard d’exilés, de lettres envoyées à des proches, de coups de fil… Il m’a semblé que les événements n’avaient pas encore été traités sous ce prisme.

Cette autofiction m’a permis de me construire une mémoire écrite, qui est en soi totalement fausse et qui est l’histoire que je me raconte. C’est mon Liban à moi.

Dans quelle mesure la ville de Paris est-elle un personnage essentiel ?

C’est le Paris que les parents ont transmis, une sorte de Paris libanais, arabe, qui n’a pas trop été raconté et qui commence à être déterré. J’ai voulu montrer comment la guerre du Liban et les événements du monde arabe ont envahi l’histoire de Paris, dans les journaux télévisés, dans les rues... Je trouve fascinante la façon dont cette guerre-là s’est exportée avec mes parents, elle les a suivis en France et elle ne leur a pas permis de quitter le Liban. Il y a une dimension dramatique assez belle dans cette incapacité à s’extraire d’un territoire. En même temps, Kaïssar tire une grande fierté de participer à des journaux arabes qui relatent la guerre du Liban depuis Paris. Il y a une volonté d’être ici et ailleurs en même temps ; ici étant envisagé comme un point de passage avant le retour au pays. La question de l’intégration ne se pose même pas.

Avez-vous souhaité interroger la notion de transmission ?

Il n’y a pas de transmission, à partir du moment où on ne va pas poser de questions. Si je n’avais pas fait cette démarche de prendre mon petit enregistreur et d’aligner mes interrogations, pour finalement les interroger sur leur Liban, je n’en saurais rien. Dans les 35 albums de famille, je n’ai trouvé aucune photo de la guerre, ce qui est déroutant. Ma mère a réalisé ces albums pour qu’on se souvienne, or toute leur histoire a été menée par la guerre. On ne veut pas parler de ce qui fâche et des échecs dans la vie ; comme d’autres parents libanais, mes personnages ont subi la guerre et c’est leur impuissance qui les empêche de parler. Cette double identité, je ne la perçois pas vraiment comme une chance, et l’héritage libanais constitue plutôt un poids pour moi. La question est : comment faire avec. Pendant longtemps, ce fut beaucoup d’obligations, que je me suis imposées tout seul par la suite, et ensuite je me suis demandé ce que j’allais faire de cette histoire, cette langue, cette culture. Comment réagir lorsque le pays va mal ? On se sent un peu responsable, même si c’est totalement absurde d’avoir ce sentiment… Et puis on peut avoir envie de se protéger, on a été tellement blessé qu’on n’a plus la force de rebondir.

La sœur du narrateur n’est-elle pas une sorte de contrepoint à la nostalgie héritée de ce dernier ?

J’avais envie de montrer la multiplicité des façons d’envisager son identité libanaise. Ainsi, le frère aîné de Hanane, qui est venu faire ses études en France, rentre au Liban au début de la guerre, pour y participer. Quant à son cadet, il n’envisagera jamais de quitter son pays d’origine. Yala vit cette identité libanaise comme une autre, elle s’en sert lorsqu’elle constitue un avantage, mais n’y est pas fortement attachée, tandis que le narrateur a écrit trois livres sur le Liban et vit ce pays comme une obsession, avec une volonté de détachement pour pouvoir vivre avec.

J’ai voulu montrer aussi qu’il y a plusieurs façons d’être chrétien libanais, avec des avis politiques très différents. En France, on a tendance à considérer qu’on déteste forcément les Palestiniens dans ce cas-là, et je ne supporte plus cette manière d’associer des convictions à une identité religieuse.

Votre roman vous permet-il de réfléchir sur votre parcours d’écrivain ?

Pourquoi écrit-on ? Qu’est-ce qu’on doit écrire ou non ? Est-ce le moment ou non ?

Ce sont des questions qui ne me quittent pas et elles habitent mon texte. J’ai toujours aimé ce genre de mise en abyme, car le lecteur entre aussi dans les interrogations de l’auteur et perçoit la nécessité du texte, ainsi qu’une forme de sincérité, même si elle est contrôlée car pensée. Ce qui me semble le plus intéressant dans une œuvre d’art, c’est le cheminement qui la sous-tend.

Mon roman met également en avant des notions plus simples et plus concrètes, comme la dimension charnelle de l’attachement au pays. La nostalgie de Hanane et d’Alma est très sensuelle, elle revendique la mer, le soleil, les corps, et je voulais intégrer ces dimensions essentielles, notamment pour les jeunes de ma génération qui rentraient au Liban tous les étés. La sensualité était partout, même dans les photographies de guerre, où les miliciens posent avec leurs muscles superbement saillants, leur peau bronzée…

Comment votre titre parvient-il à créer un espace qui n’existe pas ?

Il y a l’idée d’un tiers lieu, qui ne peut exister qu’à travers l’art ou la littérature. C’est un hommage à la ville de mes parents et à tous ceux qui ont quitté leur pays. Ce livre est une sorte de revanche face à la guerre, et il est ce qui reste de tout cela.

Pour « Beyrouth-sur-Seine », votre troisième roman qui vient de sortir aux éditions Stock, comment êtes-vous parvenu à transformer vos parents en personnages romanesques ? C’est l’inverse que j’ai ressenti en écrivant ce livre : mes parents étaient des personnages romanesques et c’est pourquoi j’ai souhaité écrire à leur sujet. Le moment où je les ai interrogés sur...

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LITTÉRAIRE ET LUCIDE

GHOSSOUB WAGIH

13 h 36, le 29 août 2022

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  • LITTÉRAIRE ET LUCIDE

    GHOSSOUB WAGIH

    13 h 36, le 29 août 2022

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