
Le Premier ministre égyptien Mostafa Madbouli (au c.) inspectant l’église Abou Sifine, après l’incendie meurtrier dimanche 14 août 2022. Photo AFP
L’incendie meurtrier d’une petite église d’un quartier populaire du Caire a remis en lumière une question lancinante pour les coptes : celle de leurs lieux de culte dans un pays à écrasante majorité musulmane où ils s’estiment lésés.
Dimanche, quand un générateur en surchauffe a mis le feu à un climatiseur, 200 fidèles assistaient à la messe en l’église d’Abou Sifine, raconte le père Yohanna.
En tout, 41 personnes sont mortes, asphyxiées par la fumée alors que les secours tardaient à venir.
Le père Yohanna a perdu dans l’incendie six proches, dont des jumeaux de cinq ans et leur petit frère de quatre ans. Règles de sécurité, services d’urgence adéquats, locaux adaptés... Il reste beaucoup à faire, reconnaît le prêtre. Mais construire ou rénover une église est « devenu plus simple » grâce à une loi votée en 2016, assure-t-il. L’État affirme que ce texte a permis de « légaliser » 1 077 églises et se targue d’être un « modèle multiconfessionnel unique de coexistence et d’unité nationale ».
Un argument d’autorité qui permet de taxer les militants qui dénoncent des discriminations à l’encontre des coptes « de comportement antipatriotique », accuse l’historienne Amy Fallas.
Pas pratique, inadéquat
L’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR), l’ONG des droits humains la plus en vue d’Égypte, accuse même cette nouvelle loi d’avoir creusé un peu plus le fossé. Selon elle, seules 40 % des demandes de construction ou de rénovation d’église ont obtenu un accord préliminaire des autorités et 20 % un accord définitif.
L’église Abou Sifine incarne ces déboires : nichée dans un immeuble du dédale de ruelles du quartier d’Imbaba, à peine assez large pour laisser passer une voiture, elle n’avait qu’une entrée, rapidement barrée par les flammes, selon les témoins.
Dans les étages, les escaliers étroits qui menaient aux salles pour l’enseignement et autres services proposés par l’église sont rapidement devenus des nasses forçant des fidèles à se « jeter par les fenêtres », a raconté un témoin. L’église ne faisait « que 120 mètres carrés », a rapporté le pape Tawadros II, chef de l’Église copte orthodoxe. Il faut « la relocaliser dans un espace plus grand », a-t-il plaidé, parce que nombre des 10 à 15 millions de coptes d’Égypte vivent à Imbaba.
Mais dans une mégalopole de plus de 20 millions d’habitants, la tentation est grande de construire là où il y a de la place : dans la grande banlieue. « Ce n’est pas pratique », répond le père Yohanna. « Les lieux de culte doivent être proches des zones où habitent » les coptes, majoritairement installés dans les quartiers anciens du centre du Caire.
Tawadros II lui-même – pourtant partisan déclaré du président Abdel Fattah al-Sissi – l’a reconnu : les coptes doivent souvent faire avec « de petites églises dans des endroits inadéquats », souvent des maisons ou des immeubles des quartiers populaires sans détecteur de fumée ni issue de secours.
Les quartiers pauvres surtout
Après Abou Sifine, deux autres églises ont été endommagées par des incendies nés de courts-circuits. « À chaque fois, c’est une question de vie ou de mort qui touche de façon disproportionnée des églises de quartiers pauvres », affirme Mme Fallas.
Mais évoquer la discrimination des coptes, qui se plaignent régulièrement d’être tenus à l’écart en Égypte, n’est pas sans risque.
En janvier, neuf coptes sont sortis de trois mois de prison pour avoir réclamé la reconstruction de la seule église de leur village, Ezbet Faragallah, au sud du Caire.
En 2016, l’église Saint-Joseph était partie en fumée dans un incendie – « volontaire » selon l’EIPR, alors que les coptes subissaient aussi des attaques d’islamistes radicaux notamment après le renversement par l’armée en 2013 du président islamiste Mohammad Morsi.
Largement endommagée, Saint-Joseph a été officiellement démolie en 2021 mais les autorités n’ont toujours pas délivré de permis de reconstruire alors qu’elles devaient répondre, selon la loi de 2016, sous quatre mois.
L’église Abou Sifine d’Imbaba, elle, a obtenu un traitement différent. Avec tous les regards braqués sur les petits cercueils des victimes emportées dimanche par le feu, le génie militaire a annoncé qu’il la rénoverait – sur ordre de M. Sissi en personne. D’ici là, comme à Ezbet Faragallah, ses fidèles risquent de devoir se contenter d’une maison ou d’un appartement. Ces fameuses « petites églises dans des endroits inadéquats ».
Source : AFP
commentaires (3)
Il faut dire aussi que les vrais descendants des pharaons sont les coptes
Eleni Caridopoulou
20 h 23, le 18 août 2022