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Monde - Éclairage

L’activisme copte en Égypte bouscule le statu quo communautaire

Malgré une dégradation du contexte sécuritaire, de récentes victoires juridiques stimulent le combat pour des lois plus égalitaires en matière de statut personnel.

Le président égyptien, Abdel Fattah el-Sissi, tenant un discours aux côtés du pape de l’Église copte orthodoxe Tawadros II, lors d’une liturgie à la cathédrale de la nativité du Christ au Caire, le 2 janvier 2020. Photo AFP/Files

Pour Houda Nasrallah, le combat était avant tout symbolique. En novembre dernier, l’avocate et militante copte remportait une victoire emblématique en obtenant une part d’héritage égale à celle de ses frères, après un an de bataille judiciaire. Contournant la loi musulmane, qui donne la part double aux hommes en matière d’héritage et qui s’applique aux communautés chrétiennes, Me Nasrallah mobilisait devant un tribunal du Caire une disposition constitutionnelle qui prévoit l’application des coutumes orthodoxes aux statuts personnels des chrétiens. Un cas de jurisprudence historique et une affaire de principe, bien plus qu’une question d’argent.

Comme ailleurs dans la région, l’État égyptien délègue une partie de ses prérogatives aux autorités religieuses, en l’occurrence l’Église et el-Azhar, chargées de la gestion des statuts personnels des individus (mariages, divorces, héritages, gardes d’enfant). Mais, contrairement aux questions de statut personnel telles que le mariage ou le divorce, l’héritage des communautés chrétiennes est, depuis les années 1940, soumis aux lois sunnites. « La loi d’héritage a été un point majeur de contention en Égypte : alors que l’Église dispose d’une juridiction en matière de statut personnel pour les coptes, les questions d’héritage sont, elles, régies par le droit musulman, reconduisant ainsi les inégalités de genre qui lui sont propres aux populations chrétiennes », indique Elizabeth Monier, professeure et spécialiste du Moyen-Orient à l’Université de Cambridge.

Dans ce contexte, le jugement de novembre 2019 confirme la possibilité pour les chrétiens de contourner par une décision judiciaire l’application de la charia aux affaires d’héritage. Depuis 2016, plusieurs cas avaient nourri l’espoir d’un changement, sans pour autant changer la règle générale en vigueur. « Les récents jugements, inédits et révolutionnaires, ne s’attaquent pas à l’aspect structurel des discriminations : la situation n’évoluera pas à moins d’une transformation radicale du cadre légal et d’une mise à l’écart des principales institutions religieuses, l’Église et el-Azhar », estime Amr Magdi, chercheur spécialiste de l’Égypte à Human Rights Watch.



(Pour mémoire : En Égypte, les coptes en proie à un véritable sentiment d’abandon)



Défendre un projet laïc
Si Houda Nasrallah et d’autres mobilisent le statut de chrétien dans la défense de leur cas, l’intention n’est pas d’encourager une vision communautaire ni la défense des intérêts chrétiens. Bien au contraire, il s’agit de défendre un projet de société laïque et une vision égalitaire du citoyen, sujet de droit commun quels que soient la religion ou le genre. « Le recours à l’héritage chrétien est un outil juridique : dans le système actuel, il n’y a pas de statut laïc, et mobiliser celui de chrétien est donc la seule ouverture possible d’un point de vue légal », observe Amr Magdi.

Qu’elles portent sur des questions d’héritage, de divorce ou de mariages intercommunautaires, ces batailles juridiques défendent une vision égalitaire des droits entre hommes et femmes, et entre communautés. La réforme du statut personnel et la création d’un code civil unifié est au cœur des priorités sur les questions de genre. « Il existe des liens importants entre le mouvement pour l’égalité et les questions de statut personnel. Jusqu’à aujourd’hui, c’est le domaine principal où s’exerce l’autorité religieuse, et les discriminations de genre y sont nombreuses », indique Elizabeth Monier.

Le mouvement pour les droits civiques a été particulièrement porté par les citoyens coptes, soumis à une double discrimination du fait de leur statut de non musulman, à l’image de l’Union des jeunes de Maspero qui, depuis 2011, « s’est engagée à combattre l’État mais aussi la domination de l’Église dans la représentation des chrétiens », précise Amr Magdi. Un combat au caractère égalitaire, anticommunautaire et laïc qui se joue donc sur plusieurs fronts, aux « différentes dimensions, indissociables, qui ne peuvent pas être fragmentées », poursuit le chercheur.

Malgré cet élan, les obstacles sont persistants. Les divisions internes à la communauté bloquent des avancées plus structurelles, via par exemple l’émergence d’un code de statut civil unifié. « La réforme du statut personnel des chrétiens est extrêmement controversée, particulièrement la question du divorce. Les autorités religieuses ne veulent pas renoncer à leur pouvoir et les chrétiens ont eu tendance à s’autocensurer dès qu’il s’agit de critiquer l’Église, ce qui a fragilisé les mouvements de mobilisation, malgré des exceptions et des protestations notables dans le sillage de la révolution », rappelle Elizabeth Monier. L’application de la loi islamique est du reste avantageuse pour certains hommes qui bénéficient d’un droit musulman favorable en matière d’héritage.



(Lire aussi : Les coptes « n’ont pas vraiment d’autres choix que Sissi »)



Complicité entre l’Église et le pouvoir
La résistance de l’Église est appuyée par le soutien du pouvoir central qui a également intérêt au maintien de la situation. « Les leaderships politiques et religieux représentent l’obstacle principal à toute réforme : ils ont tous deux intérêt à préserver le statu quo actuel », observe Amr Magdi. Pour l’Église comme pour l’autorité sunnite d’el-Azhar, il s’agit de maintenir un contrôle sur les affaires communautaires en évitant l’application d’une loi laïque. Pour l’État, il s’agit d’un échange de bon procédé : en autorisant la continuité des prérogatives religieuses en matière de statut personnel, l’État obtient le soutien de ces institutions et s’assure une légitimité au sein de certaines communautés religieuses et conservatrices. De plus, « le gouvernement actuel n’a ni la vision ni la volonté politique de promouvoir des droits universels et de soutenir une véritable liberté religieuse et de conscience, qui impliquerait la question d’un statut civil », poursuit le chercheur.

Pour le gouvernement, remettre sur la table la question du statut personnel est donc dangereux. « Il ne veut pas faire de vagues, il prendrait le risque de perdre le soutien des deux grandes institutions religieuses. Un jeu en place depuis des décennies : le gouvernement laisse l’Église abuser la communauté chrétienne en gardant le monopole de la représentation de la communauté, qui devrait pouvoir être représentée par des députés, des ONG… Les chrétiens ont le droit de choisir si l’Église représente leurs intérêts ou non », affirme Amr Magdi.

Le combat émergent pour une remise en cause du statu quo se heurte donc à un compromis complice entre Église et État. D’autant que la mobilisation, minoritaire, est fragilisée par la dégradation de la situation sécuritaire. « La bataille commence à peine et le nombre de personnes engagées est encore minoritaire. La société égyptienne est encore très majoritairement conservatrice, qu’il s’agisse des musulmans ou des chrétiens », note le chercheur. D’autant que la réalité quotidienne des Égyptiens dans un contexte d’autoritarisme militaire est aujourd’hui dominée par des considérations sécuritaires urgentes. « Non pas qu’il s’agisse d’une priorité moindre, mais la réalité impose son propre agenda », conclut Amr Magdi.


Pour Houda Nasrallah, le combat était avant tout symbolique. En novembre dernier, l’avocate et militante copte remportait une victoire emblématique en obtenant une part d’héritage égale à celle de ses frères, après un an de bataille judiciaire. Contournant la loi musulmane, qui donne la part double aux hommes en matière d’héritage et qui s’applique aux communautés chrétiennes,...
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C'est comme si on parlait du Liban ?

Eddy

11 h 49, le 14 février 2020

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Commentaires (1)

  • C'est comme si on parlait du Liban ?

    Eddy

    11 h 49, le 14 février 2020

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