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Nos Lecteurs ont la Parole

Paix civile musclée au Liban, sans chantage

Le souci de la paix civile grâce au traumatisme des guerres multinationales au Liban dans les années 1975-1990 est positif pour sauvegarder l’identité libanaise et la cohésion nationale. Mais les occupations et les collaborateurs internes depuis 1990, et surtout depuis 2016, déploient une stratégie planifiée d’exploitation des pathologies de gestion du pluralisme au Liban. Ils pratiquent un chantage diabolique : se soumettre à une compromission sur la souveraineté, sinon la guerre civile.

Des Libanais dupés, apeurés et de bonne foi, et des équidistants habiles dans la manœuvre, se soumettent au chantage. Il y a là deux dérives dans lesquelles tombent, souvent de bonne foi, des partisans du dialogue islamo-chrétien, de l’unité nationale, de la convivialité…

L’État est le détenteur exclusif des quatre fonctions dites régaliennes (rex, regis, roi) : monopole de la force organisée, monopole des rapports diplomatiques, gestion et perception de l’impôt, gestion des politiques publiques. C’est dire qu’on ne badine pas avec la souveraineté, par essence dichotomique, où la réponse est : oui ou non !

Pas de compromis, ni compromission sur la souveraineté. Les expériences du Liban depuis l’accord du Caire de 1969 et des accords de Melkart et d’autres montrent que le désastre se trouve reporté et explose plus tard, surchargé de toutes les séquelles cumulées du passé.

Le Liban a atteint, en perspective anthropologique, un niveau d’intégration nationale sans pareil dans le monde par rapport à des sociétés pluralistes. La grille communautaire d’analyse ne marche plus puisque des Libanais sunnites et autres sont, en politique, plus maronites que des chrétiens subordonnés à des protectorats illusoires. Les Libanais vivent une situation de cessez-le-feu pacifique et non une paix civile consolidée.

Quand il y a divergence sur la souveraineté, cela ne s’appelle pas « inqisâm dâkhili » (divergence interne), comme on le dit dans certaines déclarations qui se veulent mielleuses. Cela s’appelle séparation, comme ce fut le cas en ex-Yougoslavie, certes si la séparation dans le cas du Liban est possible.

Le Liban vit aujourd’hui une situation en principe idéale, avec un soutien arabe et international, pour récupérer la souveraineté, et consolider la paix civile sans peur, sans chantage.

Les Libanais vivent, depuis surtout 1969 avec l’accord du Caire et, depuis 2006, avec l’accord de Mar Mikhaël (alliance d’une formation politique avec une armée-parti dont l’armement et la diplomatie sont tributaires de l’Iran) une situation de cessez-le-feu dans une « patrie du risque perpétuel », selon Ghassan Tuéni (1/6/1999). Jonathan Randal écrivait à propos du Liban La guerre de mille ans : Jusqu’au dernier chrétien, jusqu’au dernier marchand, la tragédie du Liban (Grasset, 1983). Jean-Marie Quéméner écrit, lui, Liban, la guerre sans fin (Plon, 2017).

Au cours d’une conversation avec un éminent juriste et militant pour la convivialité auquel je lui reprochais d’occulter dans son effort de médiation d’appeler les choses par leur nom, à savoir que le Liban vit une situation d’occupation, il me répond : « Voulez-vous qu’on revienne aux armes ! » J’ai répondu : Oui, l’arme de la prise de position « silâh al-mawqîf »). Quand l’État libanais n’est plus un État qui dispose de ses droits dits régaliens, ce n’est plus la paix civile.

C’est l’État, chargé de la mise en œuvre du droit, qui constitue la garantie suprême de coexistence pacifique, sinon c’est l’emprise de féodalités, seigneuries, tribus et clans. L’État s’est constitué, dans une approche d’anthropologie historique pour instituer un pouvoir central étatique, à l’encontre des forces centrifuges qui se combattent mutuellement. Il en découle qu’à défaut d’une culture et pédagogie de l’État, toute organisation sociale est fragile, menacée, agressée, même si les gens sont fortement solidaires et conviviaux !

S’ils sont fortement solidaires, ils s’organisent en État.

Dans une société pluraliste, c’est l’État qui représente le dénominateur commun contractuel du vivre-ensemble. Mais il ne s’agit pas d’État exclusivement institutionnel. C’est l’État profondément acculturé et inculturé à travers une historiographie aussi scientifique que pragmatique et une pédagogie de l’État.

Le régime libanais a produit des hommes d’État éminents, mais aussi une catégorie de personnes qui pratiquent l’équidistance, la compromission, l’opportunisme, le positionnement… à propos de principes fondamentaux de l’État et de la vie publique. L’équidistance est un terme qui ne s’emploie qu’en géométrie. C’est dire qu’il faut du calcul, rien que du calcul. Antoine de Saint-Exupéry écrit à propos de cette catégorie : « C’est pourquoi se trompent ceux-là qui cherchent à plaire. Et pour plaire se font malléables et ductiles. Et répondent d’avance aux désirs. Et trahissent en toute chose afin d’être comme on les souhaite. Mais qu’ai-je affaire de ces méduses qui n’ont ni os ni forme ? Je les vomis et les rends à leur nébuleuse : venez me voir quand vous serez bâtis. » (Citadelle, Gallimard, 1948, p. 241, XCVI).

Antoine MESSARRA

Ancien membre au Conseil constitutionnel, 2009-2019

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique Courrier n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, L’Orient-Le Jour offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires ni injurieux ni racistes.

Le souci de la paix civile grâce au traumatisme des guerres multinationales au Liban dans les années 1975-1990 est positif pour sauvegarder l’identité libanaise et la cohésion nationale. Mais les occupations et les collaborateurs internes depuis 1990, et surtout depuis 2016, déploient une stratégie planifiée d’exploitation des pathologies de gestion du pluralisme au Liban. Ils...

commentaires (1)

Il faut aussi lire le livre de Yann Bâle et Emmanuel Peze sur Bechir Gemayel , très beau j’ai appris beaucoup de choses sur la guerre civile de 1975 a 1990

Eleni Caridopoulou

18 h 17, le 15 août 2022

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Commentaires (1)

  • Il faut aussi lire le livre de Yann Bâle et Emmanuel Peze sur Bechir Gemayel , très beau j’ai appris beaucoup de choses sur la guerre civile de 1975 a 1990

    Eleni Caridopoulou

    18 h 17, le 15 août 2022

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