Dans le cadre d’un entretien informel avec les journalistes samedi, selon un timing sans doute bien étudié, le président de la Chambre Nabih Berry a adressé des messages clairs à l’émissaire américain arrivé hier à Beyrouth, Amos Hochstein, quant à la détermination du Liban à ne pas faire la moindre concession en ce qui concerne ses droits sur les ressources gazières et pétrolières maritimes. Berry a même insisté sur le fait que le chef de l’État Michel Aoun, le président du Conseil des ministres Nagib Mikati et lui-même partagent la même approche et que, très bientôt, les Libanais devraient s’attendre à une bonne nouvelle, à savoir la reprise des négociations indirectes entre le Liban et Israël à Naqoura, comme prévu dans l’accord-cadre qu’il avait lui-même négocié. « Au lieu, a-t-il ajouté, d’aller dans une autre direction », entendant par là, selon ses proches, la possibilité d’une guerre. En réponse aux questions, Nabih Berry a estimé qu’il y avait peu de risques d’atermoiements de la part des Israéliens ou même des Américains, ce dossier étant devenu pressant car, selon lui, « les circonstances économiques et sécuritaires ne le permettent pas ». Il a aussi affirmé que la formation d’une nouvelle délégation libanaise pour les négociations ne pose aucun problème, les responsables étant d’accord sur le fait que c’est le chef de l’État qui mène les négociations.
M. Berry a rappelé son discours lors de la première séance générale du nouveau Parlement le 31 mai, lorsqu’il s’est adressé aux députés nouvellement élus en leur disant : « Soyons 128 oui, clairs et fermes, contre toute possibilité de brader les droits du Liban. » Il a ajouté que lorsque le Liban est uni autour d’un dossier, il n’a plus aucune inquiétude. « C’est ce qui s’est passé en 2006, a-t-il ajouté. Et, aujourd’hui, je répète qu’il ne faut faire aucune concession, aussi minime soit-elle, et rester hostile à toute normalisation. » Toujours en réponse à une question, il a estimé que les drones du Hezbollah ont contribué à accélérer le processus (de reprise des négociations), rappelant que l’accord-cadre qu’il avait lui-même négocié ne se focalisait pas sur les différentes lignes. Il a même confié avoir lui-même parlé aux Français et, selon lui, il n’y a aucune justification pour ne pas entamer le forage dans les zones à 25 kilomètres des espaces controversés. Enfin, dit-il, la délimitation en mer devrait faciliter le processus sur la terre ferme. M. Berry a ensuite révélé qu’il essayait d’organiser une réunion soit tripartite, soit entre MM. Aoun et Mikati, aujourd’hui à l’issue de la cérémonie pour la fête de l’Armée, en vue d’un déblocage gouvernemental. Il en a parlé avec M. Mikati, dont il a dit que « les divergences avec lui ne changent pas le fond de leurs relations », et il a laissé entendre que cela pourrait être le sujet de la conversation téléphonique qu’il a eue avec Michel Aoun le matin même. Toutefois, en réponse à une question sur la formation d’un nouveau gouvernement, il a estimé qu’il faudrait un miracle pour qu’elle ait lieu... Le président de la Chambre des députés a ensuite expliqué qu’il comptait profiter du mois d’août pour convoquer des réunions plénières du Parlement afin de voter les lois de réformes réclamées par le Fonds monétaire international (FMI) lors de ses réunions avec les responsables libanais. Notamment le projet de loi sur le budget, dont l’étude est, a-t-il dit, achevée et qui n’attend plus que l’unification du taux du dollar par rapport à la livre. Dès que ce sera fait, il convoquera une séance consacrée au budget. Il faut aussi, selon lui, adopter les lois relatives au plan de redressement économique. Après cela, il faudra s’occuper de l’élection présidentielle. Car, selon lui, il faut que l’arrivée d’un nouveau président corresponde aussi à un nouveau climat dans le pays.
M. Berry a ainsi insisté sur le fait que le Parlement peut légiférer même après le début du délai de deux mois avant l’expiration du mandat présidentiel. Car même si le Parlement sera en séance ouverte pour l’élection d’un nouveau président les dix derniers jours avant l’expiration du mandat, il peut donc légiférer d’ici là, et il faut en profiter pour adopter les lois réclamées par le FMI.
Au sujet de l’élection présidentielle, le président de la Chambre a démenti qu’il comptait convoquer une séance dès le début du mois de septembre. Interrogé sur les critères qui devraient être retenus pour le choix du nouveau président, M. Berry a estimé que celui-ci devrait avoir une certaine notoriété auprès des chrétiens, ainsi qu’auprès des musulmans, mais, surtout, il devrait avoir une dimension nationale. Il a rappelé que depuis 1992, date de son élection pour un premier mandat en tant que président de la Chambre, il a toujours insisté pour que toutes les composantes du tissu social libanais soient représentées dans les institutions. Il a poursuivi en déclarant que le Liban est, pour lui, un tableau aux couleurs multiples et c’est sa grande richesse. « Hélas, a-t-il ajouté, nous n’avons pas profité de cette richesse et nous avons instauré le confessionnalisme. Aujourd’hui, nous avons besoin d’une personnalité qui rassemble, non qui divise. »
Interrogé sur ce qu’il pense du climat d’effritement politique actuel et sur la possibilité d’une partition, M. Berry a répété que le Liban est trop petit pour être partagé. Il a aussi estimé qu’il n’y a pas de véritable risque de troubles sécuritaires, ajoutant que dans le Parlement actuel, il n’y a pas de majorité, ni de minorité, c’est pourquoi l’entente reste la meilleure voie. Au sujet de l’affaire du vicaire patriarcal Moussa el-Hajj, arrêté à Naqoura au retour d’un voyage à Haïfa, qui est sa paroisse, il s’est contenté de dire qu’il faut appliquer la loi.
Au sujet de l’affaire de la députée Cynthia Zarazir (issue de la contestation), qui a dénoncé des comportements « machistes » dans l’hémicycle, M. Berry a précisé que les échanges violents et autres se produisent dans tous les Parlements du monde, mais ce cas précis a été amplifié par les réseaux sociaux. En tout cas, selon lui, le Liban a des lois depuis 2014, qui condamnent les violences conjugales, protègent les femmes et dénoncent le harcèlement sexuel. Quant au communiqué d’Amnesty International qui prend parti en faveur de la députée et lui fait assumer la responsabilité de ce qui s’est passé, M. Berry a précisé ne pas l’avoir vu sur le site de cette ONG internationale, qui avait twitté son communiqué. Il peut donc être un pur produit interne, a-t-il estimé... M. Berry a encore évoqué le dossier des déplacés syriens, assurant qu’il est à cent pour cent en faveur de leur retour en Syrie, se demandant pour quelle raison l’Occident est opposé à cette idée. Il a même évoqué une rencontre avec Filippo Grandi, lorsque celui-ci était président du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Le Liban avait alors rapatrié près de 70 000 déplacés syriens chez eux. Selon lui, l’émissaire international avait affirmé qu’ils avaient été suivis pendant 6 mois et qu’il était apparu que seules 11 personnes ayant des problèmes avec les autorités syriennes avaient été inquiétées, les autres s’étant réinstallées dans leur pays.
Concernant l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth, M. Berry a de nouveau précisé qu’il fallait appliquer la loi. « Si j’étais convaincu que Ghazi Zeaïter et Ali Hassan Khalil (deux députés de son bloc poursuivis par le juge en charge de l’enquête et qui ne se sont jamais rendus aux interrogatoires) avaient provoqué l’explosion du port, je ne les aurais pas laissé dormir chez eux... », a-t-il lancé.
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Il faut saluer et appuyer celui qui rassemble avec un rôle de médiateur en puisant son pouvoir à partir d'une légitimité démocratique. Mais si sa position est gagnée par les armes d'un des partis, son rôle ne sera point légitime.
DAMMOUS Hanna
13 h 29, le 02 août 2022