« Le plus dur reste à venir. » C’est ainsi que le président du Parlement Nabih Berry avait commenté l’élection imminente de Michel Aoun à la magistrature suprême en octobre 2016. À l’époque, contrairement au reste des principales formations politiques traditionnelles, le mouvement Amal s’opposait au compromis qui avait permis l’accession de Michel Aoun à Baabda. Nabih Berry, lui, soutenait le leader maronite de Zghorta, le chef des Marada Sleiman Frangié. Si le président du Parlement s’était trouvé il y a six ans devant le fait accompli, aujourd’hui les temps ont changé. Contrairement à Michel Aoun qui doit (normalement) quitter Baabda dans près de trois mois, Nabih Berry vient d’être réélu pour quatre années supplémentaires au perchoir. Fort de cette reconduction, il jouerait aujourd’hui un rôle dans le bras de fer qui oppose le chef de l’État au Premier ministre désigné Nagib Mikati. Ce dernier a déclaré une véritable guerre au camp aouniste en lui ôtant le ministère de l’Énergie dans sa formule gouvernementale. « Une perspective qui plaît à M. Berry », selon une source proche des tractations.
L’allié de mon allié...
Car c’est une rivalité profonde qui oppose le leader chiite au général maronite, malgré leur commune appartenance au camp prosyrien du 8 Mars. Ils se considèrent d’ailleurs l’un l’autre comme « l’allié de mon allié », et jamais comme alliés directs. Et chacun d’eux cherche à entraîner le Hezbollah de son côté. Ce qui donne du fil à retordre au parti pro-iranien dont les relations avec son frère chiite n’ont pas toujours été au beau fixe. En 1990, c’est l’accord de Damas qui noue l’alliance entre Amal et le Hezbollah. Nabih Berry et le cheikh Sobhi Toufayli, alors secrétaire général du Hezbollah, tournent la page des violences qui opposaient depuis 1987 les deux formations, lesquelles se répartissent les tâches dans un Liban sous tutelle syrienne. Ainsi, pendant plus d’une décennie, le Hezbollah devait vaquer à ses occupations de « résistant » à Israël, laissant la gestion politique à son partenaire qui s’investit dans les institutions de l’État et conquiert le Parlement en 1992. Mais cet accord est implicitement remis en cause en 2006, quand un traité similaire, celui de Mar Mikhaël, est signé entre Michel Aoun et Hassan Nasrallah. L’incompatibilité de ces deux textes met alors de facto Amal et le CPL en compétition pour contrôler les institutions publiques. Une compétition remportée en 2016 par le CPL, qui voit son père fondateur propulsé à la tête de l’État. Nabih Berry refuse toutefois de s’avouer facilement vaincu. Lors de la séance parlementaire du 31 octobre 2016, le chef du législatif décide de jouer avec les nerfs du député du Kesrouan, qui ne sera élu président qu’après... trois interminables tours de scrutin. « L’heure du grand jihad a sonné », annonce alors Nabih Berry.
Aujourd’hui, le mandat de Michel Aoun touche à sa fin. Une perspective sans aucun doute réjouissante pour le président du Parlement qui semble vouloir également compliquer la sortie du général de Baabda. Ces dernières semaines ne sont en effet pas aisées pour Michel Aoun, engagé dans un bras de fer corsé avec Nagib Mikati sur la formation du nouveau gouvernement, qui aura les prérogatives du chef de l’État en cas de vacance à la magistrature suprême. Et dans cette bataille, le président du Parlement a naturellement choisi son camp. « Bien sûr que M. Berry est du côté de M. Mikati », affirme à L’Orient-Le Jour une source qui suit de près les tractations gouvernementales. En témoigne la visite du Premier ministre désigné à Aïn el-Tiné, quelques jours seulement après le début du duel entre les deux pôles du pouvoir. Une figure proche de M. Berry dément toutefois à L’Orient-Le Jour toute implication du patron de la Chambre dans cette guerre. « La Constitution est claire. Le rôle du Parlement se limite à la nomination d’un Premier ministre après les consultations contraignantes, et puis à l’attribution de la confiance au gouvernement formé. En attendant, c’est au Premier ministre désigné et au président de la République de discuter de la formation de l’équipe ministérielle », explique-t-elle. « Cependant, M. Berry est un acteur politique de premier plan dont l’avis est sûrement pris en compte dans les tractations. Et il est satisfait de la première combinaison présentée par Nagib Mikati », tient-elle à ajouter.
Dans cette formule préliminaire, le mouvement Amal maintient ses trois portefeuilles : les Finances, la Culture et l’Agriculture. Si les ministres sortants détenant ces deux derniers portefeuilles ont été reconduits, Youssef Khalil est remplacé aux Finances par l’ancien député du Mouvement des déshérités Yassine Jaber. Amal a donc droit, dans cette formule, à une représentation politique, contrairement au CPL. Or ce sont les aounistes qui réclament depuis les législatives du 15 mai dernier la fin des gouvernements de technocrates imposés par la contestation populaire du 17 octobre et la formation d’une équipe composée au moins partiellement de politiques.
L’ennemi de mon ennemi...
Mais l’alignement entre Berry et Mikati dépasse la simple distribution des portefeuilles dans la prochaine équipe. Le lien entre les deux hommes est en effet conforté par le fait qu’ils sont tous les deux en confrontation avec le chef de l’État. Pour le chef du législatif, soutenir Nagib Mikati dans son bras de fer avec Michel Aoun est le meilleur moyen de prendre sa revanche sur celui qui lui a été imposé par le Hezbollah. « Berry veut empêcher Aoun d’avoir le moindre accomplissement à son compteur », affirme à L’Orient-Le Jour une source bien informée. Le bilan du mandat de Michel Aoun est en effet bien en deça des attentes, ce dernier ayant promis de nombreuses réformes-clés lorsqu’il était encore dans l’opposition, tant au niveau de la lutte contre la corruption que du système politique. Résultat, et pour sauver le bilan de son sexennat, le fondateur du parti orange capitalise sur des dossiers comme l’audit juricomptable de la Banque du Liban ou la démarcation de la frontière maritime avec Israël. Dans une vidéo courte publiée sur son compte Twitter mercredi, le chef du Courant patriotique libre et gendre du président Gebran Bassil a accusé certains partis politiques, sans les nommer, de ne pas vouloir mener à bien les réformes. « Ils ne veulent pas que la justice soit rendue dans l’enquête sur le port de Beyrouth… Ils ne veulent pas de l’audit juricomptable… Ils ne veulent pas le retour des réfugiés sans l’accord de la communauté internationale », a-t-il martelé. Il a également accusé le Premier ministre et ses soutiens de ne pas vouloir former un gouvernement pendant ce qui reste du mandat de son beau-père. Tous les yeux sont en effet rivés sur l’après-Aoun. À tel point que Nabih Berry aurait promis, selon ses proches, de convoquer une séance parlementaire pour élire le successeur de son pire ennemi dès le 1er septembre prochain, soit le premier jour de l’échéance. Comme pour bien signifier qu’il est pressé d’en finir.
commentaires (11)
Les hommes politiques se maintiennent au pouvoir grâce aux médias, qui agissent par analogie, comme l'électricité pour les cryptomonnaies. Pas d'électricité, implique pas de crypto.....Un tel article enflamme les ardeurs les supporteurs de deux partis et augmente les popularités des deux dirigeants, sans qu'ils ne bougent de leurs chaises. Le métier de journaliste a du commun avec le service à la population.
Céleste
20 h 14, le 18 juillet 2022