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Nos Lecteurs ont la Parole

L’église, la messe, les homélies et moi

Je suis chrétienne de père en fils. J’ai grandi dans une famille catholique conservatrice où l’apprentissage de la vie chrétienne se faisait à l’école et à la maison.

Tous les dimanches, je voyais mon père cirer ses chaussures, nouer sa belle cravate, mettre son costume et prendre place dans son fauteuil pour siroter son café, en attendant que ma mère se prépare et nous organise pour la grande sortie : la messe du dimanche à 12h.

Nous y allions à pied, nous tenant par la main, gaiement. Mon père portait le dernier de la progéniture, ma mère à son bras. Ils surveillaient de près leurs quatre chérubins gambader tant bien que mal jusqu’à notre arrivée.

Dès que nous entrions à l’église, nous faisons solennellement la génuflexion accompagnée du signe de la croix. D’un signe de tête, mon père nous montrait nos places. Nous nous alignions sur un banc : papa d’abord, maman ensuite, suivis des cinq petits enfants de chœur que nous étions. Nous chantions des psaumes, écoutions les prières, les épitres, l’Évangile, suivi de l’homélie. Le curé, en soutane blanche, l’air jovial, le regard pétillant, le ton apaisé et les bras vers le ciel élevés, souriant et réjouissant, développait et dissertait le texte du Saint Évangile pour traduire et développer son sens et sa portée. Il nous appelait à demeurer unis, à louer le Seigneur malgré nos difficultés, à le remercier pour Ses bienfaits, à vivre l’Évangile chaque jour qu’Il nous donnait, à nous aimer les uns les autres comme Il nous a aimés, à nous pardonner comme Il nous a pardonnés. Il nous conviait et nous apprenait à nous rapprocher de Dieu le Père, Dieu amour, clémence et indulgence.

Par la suite, nous commémorions la Passion du Christ et nous prenions la communion. À la sortie, Haendel ou Bach jouait pour nous ses plus belles pièces. Dehors, la cour de l’église ressemblait à un lieu de grandes fêtes : un méli-mélo de rires et de voix. Mes parents rencontraient leurs amis, prenaient le temps de causer de tout et de rien, alors que nous profitions pour jouer et courir dans les jardins. À 13h30, nous étions déjà à table dans un restaurant du quartier habitué à nous voir débarquer en trombe.

Qu’il est loin, le temps de mon enfance, et que tu es loin, papa.

Je vais toujours à la messe les dimanches. Par foi, par conviction, par tradition, par liaison à l’âme de mon père, à son éducation. Mais la messe de nos jours est bien différente, hélas ! Non pas que les assistants aient changé de mœurs, d’us et d’usages seulement, mais parce que l’homélie du célébrant est différente du temps de mon enfance. Ce n’est plus le curé plaisant et avenant tout de blanc vêtu. Celui d’aujourd’hui prend un air sérieux, son visage est fermé, son regard est sévère, son ton est grave et ses bras ne sont plus levés vers l’Éternel. Il gesticule, il s’agite, il tremble de colère et d’exaspération. Son discours est austère, son exposé dur, ardu et rébarbatif. On s’y perd, on s’y enfonce, on s’y mêle aussi.

Ce ne sont plus les paroles du Saint Évangile qu’il évoque et qu’il reprend. Il tisse de ses propres fils un discours politique et politisé, des théories tactiques, techniques, économiques. Il suggère des doctrines pompeuses, des spéculations malheureuses, il souffle des instructions sentencieuses et prétentieuses, lesquelles, je ne sais par quel miracle, il tente et se hasarde à accorder au texte du Saint Évangile.

Comme dans une arène déchaînée, le célébrant nous rappelle qu’il faut attaquer, nous battre, nous combattre, guerroyer, batailler, frapper, jouter, résister à toute approche qui viendrait d’un prochain, même le plus proche qui ne partagerait pas une vision d’un Liban cousu à sa manière et selon ses pensées ! Même les réfugiés font partie intégrante de son discours, ils mangent notre pain, nous rappelle-t-il, ils n’ont pas leur place chez nous. Son discours n’est plus une homélie, hélas ! Ce sont des remontrances, des répréhensions, des désapprobations, des condamnations, un peu du n’importe quoi… au nom du Liban, mais je ne sais pas de quel Liban !

Nous rappeler sans répit dans son allocution des souvenirs aussi lointains d’une époque aussi cruelle, sanguinaire et mortuaire pour le Liban, ruminer des pensées aussi macabres, lugubres et ennuyeuses, faire l’exposition de nos maux, sans nous donner la solution, enfoncer le couteau dans nos plaies béantes et saignantes n’ont aucune raison d’être dans les homélies. Qu’une homélie se transforme en un discours politique et en un étalage d’opinions politiques pour confronter davantage les différentes communautés est un non-sens aussi religieux que politique.

Une homélie se doit d’être une interprétation de l’esprit de l’Évangile, de son texte, des paraboles qui appellent à éduquer les esprits, propager l’amour, aider les plus démunis, ouvrir les portes aux malades, donner de nos richesses, les partager, tendre la main aux plus faibles, rassembler les brebis, semer les accords, rapprocher les points de vue. Une homélie se doit d’être un moment de recueillement et de prise de conscience. Or, les homélies d’aujourd’hui ne donnent pas d’espoir, ne créent pas de désirs. Elles déforment les croyances, restreignent les chemins, affaiblissent les volontés, et sèment répugnance et consternation.Les syriaques, pères des maronites du Liban, et les maronites ne sont pas les seuls chrétiens du Liban. Et les Libanais ne sont pas tous ni maronites ni chrétiens. Malgré ce fait déplaisant pour certains, nous sommes et resterons tous les enfants de l’Éternel, et les enfants de l’Éternel ne sont pas seulement maronites, catholiques, orthodoxes, protestants, évangéliques ou latins, ni seulement aucune des 18 confessions libanaises qui font notre particularité et notre multiculturalité. Dieu, le Père de tous, ne fait pas la différence entre Ses enfants.

Un homme d’Église doit se contenter de son rôle au sein de l’Église tel un berger. Il se doit d’accroître ses efforts pour regrouper le troupeau égaré. Il se doit, au nom du Père, nous guider tous vers l’Éternel jusqu’à l’infini. Comme saint Pierre, sa mission se termine ici.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Je suis chrétienne de père en fils. J’ai grandi dans une famille catholique conservatrice où l’apprentissage de la vie chrétienne se faisait à l’école et à la maison. Tous les dimanches, je voyais mon père cirer ses chaussures, nouer sa belle cravate, mettre son costume et prendre place dans son fauteuil pour siroter son café, en attendant que ma mère se prépare et nous organise...

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Dans quelle église peut-on goûter ces homélies ?

M.E

00 h 18, le 07 juillet 2022

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Commentaires (1)

  • Dans quelle église peut-on goûter ces homélies ?

    M.E

    00 h 18, le 07 juillet 2022

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