Critiques littéraires Dictionnaire

L’Ukraine et son identité

À l’heure où les combats s’intensifient, Tetiana Andrushchuk et Danièle Georget nous livrent un Dictionnaire amoureux de l’Ukraine qui explique en partie le « courage confinant à la folie » de ce peuple et de son président.

L’Ukraine et son identité

Dictionnaire amoureux de l’Ukraine de Tetiana Andrushchuk et Danièle Georget, Plon, 2022, 418 p.

Docteure en musicologie, auteure et violoniste, Tetiana Andrushchuk a dirigé le département de musique de chambre de l’Académie nationale Tchaïkovski à Kiev avant d’être diplomate à l’Unesco et attachée culturelle à l’ambassade d’Ukraine à Paris. Quant à Danièle Georget, elle est auteure, journaliste et rédactrice en chef adjointe à Paris Match.

Elles soulignent, dès la première page, qu’« il n’est pas innocent de nier que l’Ukraine soit une véritable nation et qu’elle ait une culture ». Nier l’existence d’un peuple pour mieux le dominer. Et c’est d’autant plus facile que l’Ukraine est un pays extrêmement et étrangement méconnu.

C’est la raison pour laquelle l’Histoire occupe une place importante dans cet ouvrage. L’on y découvre que « l’Ukraine était un royaume dont Kiev était la capitale quand Moscou n’était qu’un bourg au milieu de nulle part ». En effet, « en l’an mil (…) il n’y a pas de Russie. Il n’y a même pas de “Moscovie” ou de Moscou, ce comptoir marchand fondé au XIIe siècle. Il y a Kiev, capitale de la Ruthénie, également appelée Rus’, un royaume en son âge d’or dont la capitale prétend rivaliser avec Byzance ». Ainsi donc, en ce temps-là, la Ruthénie ou Rus’, c’était l’Ukraine et non la Russie qui s’est appropriée ce nom par la suite.

L’on y apprend que le baptême de Volodymyr en 988 est aussi important en Ukraine que le baptême de Clovis l’est en France. La cause de cette conversion qui a décidé du destin de tous les Slaves est le mariage de Volodymyr avec Anna, sœur de l’empereur byzantin Basile II.

Volodymyr, dont le nom signifie « qui possède le monde », est le père de Iaroslav le Sage qui est le grand roi de l’an mil, sage et ambitieux. Bien des familles régnantes ont recherché l’honneur d’être unies, par les liens du mariage, à l’un de ses nombreux enfants ; d’où son titre de beau-père de l’Europe. « La Rus’ de Kiev est alors à son apogée, un carrefour commercial et intellectuel entre l’Europe occidentale, les États du Nord, Byzance, l’Inde et le Proche-Orient. »

Un tel ouvrage est également, en raison de l’actualité, forcément politique. Le mémorandum de Budapest y est évoqué : ce document signé par les États-Unis, le Royaume-Uni et la Russie en décembre 1994 accorde à l’Ukraine des garanties sur son indépendance, sa souveraineté et son intégrité territoriale, en échange de son renoncement au troisième plus grand arsenal nucléaire au monde. Lors de la crise de Crimée de 2014, l’Ukraine a fait valoir ce traité pour signifier à la Russie qu’elle s’est engagée à respecter ses frontières et aux autres pays signataires qu’ils en sont les garants. En vain.

Si Khroutchev, Merkel et Staline y figurent, le grand absent de ce dictionnaire est Poutine. Ce n’est évidemment pas le cas de Zelenski dont le « visage ravagé par la fatigue » est devenu le « visage de l’espérance ».

Si l’on considère l’Europe, telle que définie par le général de Gaulle, « de l’Atlantique à l’Oural », la ville située précisément au milieu de cette trajectoire n’est autre que… Kiev. « L’Ukraine n’est pas aux frontières mais au cœur de l’Europe. » Et pourtant, sa demande d’adhésion à l’Otan qui date de 2008 n’a, à ce jour, pas abouti.

Les relations privilégiées entre la France et l’Ukraine remontent au mariage d’Anne de Kiev et d’Henri Ier, fils de Robert le Pieux et petit-fils d’Hugues Capet… Elle avait emporté dans sa dot l’évangéliaire qui se trouve toujours à la bibliothèque de Reims et sur lequel plusieurs rois de France ont prêté serment. Ces relations ne se sont jamais démenties, notamment grâce à de nombreux hommes de lettres parmi lesquels Voltaire, Mérimée, Apollinaire et Balzac dont l’épouse Eve Hanska était Ukrainienne.

L’aspect religieux est, bien entendu, très présent avec des entrées telles que « Orthodoxie » et « Iconostases », mais aussi « Juifs » et « Justes ». En 1939, la communauté juive en Ukraine s’élevait à 2,5 millions de personnes. Elle était la deuxième plus importante communauté juive d’Europe – conséquence d’une très ancienne loi des tsars qui obligeait les juifs à vivre en Ukraine ou en Biélorussie. Bien que l’Ukraine soit l’un des quatre pays à compter le plus grand nombre de Justes parmi les nations, cette communauté a été en grande partie décimée.

Si cet ouvrage ne manque pas de références à la gastronomie ukrainienne (avec des descriptions détaillées des plats et quelques recettes), les entrées les plus nombreuses de ce dictionnaire se réfèrent, de manière assez inattendue, à l’art. Peintres, musiciens, cantatrices, écrivains, poètes… l’Ukraine peut être fière d’une pléiade de talents – des talents ayant un supplément d’âme... slave.

Selon Talleyrand, « faute de richesse, une nation n’est que pauvre. Faute de patriotisme, c’est une pauvre nation. » L’Ukraine est riche de son glorieux passé, de sa culture, de sa langue (qui est incontestablement une langue à part entière et non du « petit-russe ») et de son identité très spécifique. Elle est aussi riche de son sol agricole et de matières premières stratégiques comme le lithium, le cobalt et le titane ainsi que de terres rares (21 sur 31 répertoriées). Mais l’Ukraine est surtout riche de l’amour de ses citoyens… Et « les Slaves appartiennent plus que d’autres à leurs sentiments ».


Dictionnaire amoureux de l’Ukraine de Tetiana Andrushchuk et Danièle Georget, Plon, 2022, 418 p.Docteure en musicologie, auteure et violoniste, Tetiana Andrushchuk a dirigé le département de musique de chambre de l’Académie nationale Tchaïkovski à Kiev avant d’être diplomate à l’Unesco et attachée culturelle à l’ambassade d’Ukraine à Paris. Quant à Danièle Georget, elle...
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