Critiques littéraires Roman

Andreï Kourkov  à la recherche du bonheur caché au pays du malheur

Andreï Kourkov  à la recherche du bonheur caché au pays du malheur

© Joël Saget / AFP

Les Abeilles grises d'Andreï Kourkov, traduit du russe (Ukraine) par Paul Lequesne, éditions Liana Levi, 2022, 400 p.

Les événements récents d’Ukraine nous font parfois oublier que le Donbass est en guerre depuis plusieurs années (2014). L’écrivain ukrainien Andréi Kourkov, auteur du fameux Le Pingouin, nous le rappelle aujourd’hui avec son nouveau roman Les Abeilles grises qui nous conte l’histoire de Sergueï Sergueïtch.

Il est avec un autre villageois, Pachka, le dernier habitant d’un village situé à la ligne de front séparant les partisans de la République du Donbass et les Ukrainiens. La plupart du temps, les bombes les survolent, mais parfois, par malheur, détruisent les petites maisons groupées autour de leur église dévastée.

Sergueï, la cinquantaine, divorcé, ne vit plus que pour ses abeilles. Pachka, son ami/ennemi (comme il l’appelle) lui rend visite de temps en temps. Contrairement à Sergueï, c’est un personnage haut en couleur, buveur de vodka et pas très net quant à ses fréquentations, un archétype qu’on retrouve dans de nombreux romans slaves. Certaines fois, la nuit, Sergueï reçoit aussi la visite d’un jeune soldat ukrainien auquel il s’attachera peu à peu.

L’hiver s’écoule, monotone, neigeux, avec pour seules couleurs ses multiples nuances de gris, et c’est tout le talent de l’auteur de nous faire partager l’atmosphère poétique de cette contrée abandonnée. « Il n’y avait aucune tache sur la grande étendue blanche. Juste la neige, au sein de laquelle, à force d’attention, on finissait par percevoir un bruit blanc : c’était là un silence qui vous prenait par l’âme avec des mains glacées. » La mélancolie, elle aussi, a son charme.

Les bombardements se multipliant au printemps, Sergueï craint pour ses abeilles. Il décide de les transporter vers le Sud, avec sa vieille Tchetviorka, héritée des lointains temps soviétiques (pas si lointains finalement, on le découvre au fur et à mesure).

Le périple est l’occasion de petites aventures et de rencontres, comme cette épicière généreuse ou cet ancien soldat ukrainien devenu fou. Puis, il part en Crimée où Sergueï se heurte à la vigilance des occupants russes et fait la connaissance d’une famille tatar dont le fils a été enlevé, après que son père a été tué par le FSB. Par petites touches, sans combats, sans scènes violentes, le roman dessine le portrait d’un pays malheureux, où le bonheur, pourtant, se loge, si on le cherche bien.

Au bout du compte, le héros reviendra chez lui, avec une provision d’images et de souvenirs. Quand le monde s’effondre, quand les abeilles deviennent grises, le roman de Kourkov suggère une voie de salut : l’exil intérieur.


Les Abeilles grises d'Andreï Kourkov, traduit du russe (Ukraine) par Paul Lequesne, éditions Liana Levi, 2022, 400 p.Les événements récents d’Ukraine nous font parfois oublier que le Donbass est en guerre depuis plusieurs années (2014). L’écrivain ukrainien Andréi Kourkov, auteur du fameux Le Pingouin, nous le rappelle aujourd’hui avec son nouveau roman Les Abeilles grises qui nous...

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