Critiques littéraires Roman

La ronde des fantômes, une fabuleuse fabulation de Sylvie Germain

La ronde des fantômes, une fabuleuse fabulation de Sylvie Germain

D.R.

La Puissance des ombres de Sylvie Germain, Albin Michel, 2022, 220 p.

Nul ne peut oublier le premier roman Le Livre des nuits de Sylvie Germain paru en 1985. Il a traversé le firmament de lettres avec l’éclat d’une étoile scintillante. Couvert de prix et acclamé par la critique, l’ouvrage a frappé les lecteurs par la force de son imaginaire ainsi que par la beauté hors pair de son verbe.

Depuis, Sylvie Germain a confirmé son talent de romancière à la voix originale et inédite. Surtout avec cette langue imagée, torrentielle, puissante, pleine de trouvailles, débordante d’inventions littéraires entre poésie ardente, fantasmagories et scènes oniriques.

Elle a le culte du mystère, du secret, de la pénombre de l’âme humaine alliée à la distorsion et au désordre des éléments de la nature. Elle fouille à la loupe l’âme humaine dans ses graves crises de désarroi, de désespoir et de mélancolie. Elle est la compagne d’un mal-être contemporain sans frontières.

Avec un actif aussi maîtrisé pour l’emploi et l’usage de la langue, l’autrice n’a pas volé son statut initial d’éminente pédagogue en langue française. Car elle a été, jusqu’à ses premières publications, professeur de philosophie et de français à Prague où elle a vécu plus de sept ans.

Plus d’une trentaine d’opus jalonnent son long et riche parcours. Ses nombreux écrits, surtout ses romans, ont été largement plébiscités par un lectorat fidèle mais aussi couronnés de prestigieuses récompenses telles que le prix Guilloux, le prix Femina et le prix mondial Cino-Del Duca.

Aujourd’hui, à soixante-huit ans, la plume toujours féconde, elle signe un nouveau roman, puisant sa sève nourricière des souvenirs du passé. Avec La Puissance des ombres, l’auteure de Jours de colère renoue avec ce qui a fait la fortune et la gloire de sa première inspiration. C’est-à-dire la résurrection du passé à travers l’onirisme, le surréalisme et une poésie délirante. En se dérobant à la réalité et en traversant un univers confus, brumeux, opaque, mystérieux. En soulignant toujours la force de cette écriture ciselée, imagée et surtout d’une sonorité de poème ample et insaisissable.

Les ombres du passé s’invitent à une soirée. Curieuse idée pour ouvrir ce roman, dès les premières pages, avec une party insolite, délurée et fofolle où chacun se travestit selon le thème proposé : porter un déguisement évoquant une station de métro.

Alors, en (anti)héros, Daphné et Hadrien, qui se sont rencontrés il y a vingt ans au bas des marches du métro Saint-Paul à Paris, célèbrent leurs amours. En voulant évoquer l’instant de leur éblouissement, le couple met à contribution leurs amis qui s’attifent comme pour un vrai carnaval, sans savoir que pour cette fête non seulement la joie et l’amusement sont invités mais aussi la mort, cette autre face de Janus. Et ce qui était rumeur et brouhaha festifs glisse brusquement dans le macabre. Une fois de plus c’est la confrontation du bien et du mal. Au jour s’oppose toujours la nuit. À la lumière la pénombre.

Le lecteur est d’abord dérouté par cette atmosphère comme échappée à un songe fou ou une toile surréaliste. Des personnages hirsutes et inclassables, minutieusement décrits dans leur déguisement loufoque et hors du temps, traversent les lieux. Leurs paroles, gestes et actions sont perçus dans une incohérence ahurissante. Puis le puzzle se forme dès que l’un des convives tombe mystérieusement du balcon. On ne s’arrête pas là car quelques mois plus tard un autre invité se rompt carrément le cou en dégringolant d’un escalier…

Avant que les masques ne tombent définitivement et que les déguisements ne rentrent au placard, qui sera la troisième victime ? Sur qui tombera le malheur ? Énigme, rebus, charade ?

Si Sylvie Germain n’a pas les atouts de thriller ou de polar d’une Agatha Christie, elle a certainement autre chose dans son pouvoir magnétique de narration. Car elle traque en virtuose les zones sombres et les eaux troubles. Afin que surgissent les traces de lumière. Et de vérité !

Aussi tranchante et douloureuse que peut être cette quête, l’auteure d’Éclats de sel, femme qui a la foi, n’exclut ni l’espérance ni la consolation, ni la force invisible d’une certaine réparation.

Un livre intense et habilement mené dont on gardera jalousement le mot de la fin. Pour le grand plaisir de le terminer jusqu’au bout, malgré sa trame complexe et quelque peu compliquée. On ne lâche jamais à mi-chemin un texte aussi prenant, au vocabulaire jamais pédant mais éminemment riche ainsi qu’une langue française aussi bien tournée que savoureuse.


La Puissance des ombres de Sylvie Germain, Albin Michel, 2022, 220 p.Nul ne peut oublier le premier roman Le Livre des nuits de Sylvie Germain paru en 1985. Il a traversé le firmament de lettres avec l’éclat d’une étoile scintillante. Couvert de prix et acclamé par la critique, l’ouvrage a frappé les lecteurs par la force de son imaginaire ainsi que par la beauté hors pair de son...

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