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Nos Lecteurs ont la Parole

Double stratégie diabolique au Liban et régionale

Le Liban et des sociétés arabes qui ont géré le pluralisme durant des siècles et durant toute la période ottomane, gestion compatible avec nombre de processus de modernisation, sont aujourd’hui agressés par une double stratégie diabolique qui vise à instaurer une hégémonie sectaire et régionale et saper l’identité du Liban et de l’arabité.

1. « Vetocratie » : sous couverture de consensus, participation, coexistence… dans un régime parlementaire pluraliste comme celui du Liban, on propage la « vetocratie » et des slogans de « taille » (hajm), de « droits de chrétiens », d’« alliance des minorités »…, en application de la théorie de l’auteur israélien Sammy Smooha pour la gestion du pluralisme, celle de « minority control » ou « dominant majority ».

Une telle perspective hégémonique est appliquée en Israël à l’égard de la composante arabe et dans des pays arabes et africains, à la différence d’autres régimes démocratiques pluralistes (Suisse, Belgique, îles Fidji, île Maurice, Inde, Irlande du Nord, Afrique du Sud…). Cette idéologie de mobilisation est complètement en violation de l’article 65 de la Constitution libanaise. Cet article constitue un chef-d’œuvre de l’imagination constitutionnelle en perspective comparative et internationale, du fait qu’il évite à la fois l’abus de majorité et l’abus de minorité par l’exigence d’une majorité qualifiée pour 14 affaires spécifiquement déterminées.

L’article 65 de la Constitution libanaise est pleinement en conformité avec l’essence du droit, du fait que le blocage (taatîl) n’existe dans aucun édifice juridique dans le monde, car la fonction du droit est d’être exécutoire. Même dans tout le droit des affaires, des dispositions sont prévues pour garantir la continuité d’une société par actions sans abus d’une partie des actionnaires.

On propage une idéologie de mobilisation en Irak et dans d’autres sociétés arabes qui se proposent de récupérer leur cohésion après des périodes d’occupation et d’ingérences extérieures. Le leader d’une coalition irakienne, Nouri Maliki, déclare son attachement à ce qu’il appelle, influencé par le contexte morbide libanais, al-thulth al-dâmin (minorité de garantie). Par contre le leader du courant el-Sadr, Moqtada el-Sadr, s’y oppose fermement : « La formation d’un cabinet majoritaire constitue une expérience inévitable en vue du renouveau, sans gouvernements de coalition adoptés précédemment. Il s’agit de sortir de l’étau de la compromission en faveur de la majorité et de l’étau du “sectaurianisme” à celui de l’identité nationale. »

En outre, le membre du Parlement irakien, Adnan el-Jabiri, propose « la formation d’un cabinet national majoritaire sous condition de participation à la désignation du chef du gouvernement » (an-Nahar, 23/3/2022).

Des dérapages dans des régimes parlementaires pluralistes découlent de la mauvaise foi ou de l’ignorance des modes de « gouvernabilité » de sociétés pluralistes. Une stratégie diabolique de pollution de nobles notions démocratiques contribue à saper la démocratie. Toute démocratie est par essence délibérative, mais non hors la loi !

Les normes de séparation des pouvoirs, de processus décisionnel, de contrôle parlementaire, de solidarité ministérielle, d’efficience de l’État… sont universels. Des notions en langue arabe se transforment en slogans par des intellectuels sans expérience. Le fruit amer de l’imposture est le clientélisme institutionnalisé puisque plus rien ne peut être résolu que par un partage de bénéfices avec des accords interélites et non pour le bien commun. Dans les premiers écrits d’Arend Lijphart en 1977, l’auteur souligne : « Le problème de la large coalition a été exprimé en termes généraux sans précision sur la forme institutionnelle adéquate » (Democracy in plural societies, 1984, ch. 2).

Nombre de travaux ont été publiés depuis les années 1970 à propos de la formation des cabinets ministériels dans des régimes parlementaires pluralistes, travaux que des académiques n’ont pas suivis, notamment une étude d’Arend Lijphart : « Patterns of cabinet formation in twenty democracies » (Governement and opposition, vol. 16, no 4, autumn 1981, 394-413).

Les pères fondateurs de l’édifice constitutionnel libanais depuis 1926, dont Michel Chiha, et dans les amendements de 1990, ont clairement pressenti que le Parlement libanais est le lieu permanent du dialogue, alors que l’exécutif dans le chapitre IV de la Constitution est qualifié, non pas de pouvoir exécutif, mais plutôt sulta ijrâ’iyya (pouvoir exécutoire), donc à la manière des services exécutoires au ministère de la Justice. En effet, ijrâ’iyya, d’après Lisân al-Arab, signifie « qui fait que les choses marchent » (yaj’aluha tajrî).

2. Armée parallèle à l’État central en vue d’une hégémonie régionale : c’est l’État qui détient le monopole de la force organisée et des rapports diplomatiques. Pour couvrir l’occupation directe ou par procuration, on forme une armée parallèle liée par son armement et son financement à un pôle régional. Un parti politique au Liban, plus soucieux d’équilibrisme que de souveraineté, affirme dans un prétendu programme que l’armement d’un parti au Liban relève de « l’administration par l’armée nationale » ! Que signifie administration ? L’armée est-elle nationale ou sous l’ordre d’une force parallèle ? Des experts militaires, dont le général Khalil Hélou, citent les cas de la garde militaire en Iran, les tentatives de formation de forces armées parallèles en Irak, au Yémen et ailleurs, en vue d’une hégémonie régionale sur toutes les décisions de sécurité.

Toute organisation humaine comporte ses pathologies, tout comme le corps humain où il y a les pathologies de l’œil, de l’estomac, du cœur… Considérer qu’une autre organisation est exemple de pathologie est idéologique. La démocratie n’est pas une organisation prête à consommer, mais un ensemble de procédures pour garantir en permanence le contrôle, la régulation et l’ajustement.

Antoine MESSARRA

Ancien membre du Conseil

constitutionnel, 2009-2019

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Le Liban et des sociétés arabes qui ont géré le pluralisme durant des siècles et durant toute la période ottomane, gestion compatible avec nombre de processus de modernisation, sont aujourd’hui agressés par une double stratégie diabolique qui vise à instaurer une hégémonie sectaire et régionale et saper l’identité du Liban et de l’arabité. 1. « Vetocratie » :...

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