Nagib Mikati se veut optimiste : « Nous serons capables de former, si Dieu le veut, un gouvernement qui assumera ses responsabilités et poursuivra l’action de l’équipe sortante (…) » Si le Premier ministre désigné a tenté à travers ces propos de distiller un climat positif quant à la possibilité de former rapidement son quatrième gouvernement, rien ne prête à croire que cette espérance se traduira en actes. Et pour cause : certains protagonistes se sont montrés attachés à leurs conditions préalables à même de noyer un Liban en plein effondrement dans un bazar politique inopportun.Pour la seconde journée des consultations parlementaires non contraignantes, le chef du gouvernement s’est entretenu hier place de l’Étoile avec plusieurs groupes parlementaires, mais aussi avec des députés indépendants, en vue de la mise en place d’une nouvelle équipe ministérielle.
Mais tous les regards étaient braqués sur le groupe aouniste parrainé par le Courant patriotique libre. D’autant que le parti orange a privé le Premier ministre désigné de son appui lors des consultations parlementaires contraignantes tenues jeudi dernier à Baabda. En effet, les relations entre le milliardaire tripolitain et le CPL ont viré au bras de fer depuis quelques semaines déjà avec, en toile de fond, le dossier de l’électricité, cher au camp aouniste. Hier, Gebran Bassil a réitéré son cahier des charges pour accorder son soutien à Nagib Mikati. Selon le député de Batroun, le Premier ministre devrait s’engager à limoger le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, à relancer l’enquête sur le drame du 4 août 2020 au port de Beyrouth et à faire adopter le budget 2022. Des points sur lesquels le Premier ministre désigné ne s’est pas encore clairement prononcé.
Le chef du CPL a dans le même temps veillé à se positionner parmi ceux qui veulent faciliter la tâche à Nagib Mikati. « Nous n’avons demandé aucun portefeuille et n’avons proposé aucun nom », a-t-il affirmé, dans une réponse aux accusations lancées contre lui et selon lesquelles il convoiterait l’Énergie et les Affaires étrangères au sein de la future équipe. Il a par ailleurs souligné que son parti passera outre le fait que la nomination du Premier ministre désigné « contrevenait au pacte national », M. Mikati ayant été privé de l’appui des deux principales formations chrétiennes, le CPL et les Forces libanaises. « Une telle polémique est inopportune à l’heure actuelle », a estimé M. Bassil. Le député de Batroun a ajouté que le gouvernement « doit vite être formé car le temps presse ». Et le gendre du chef de l’État, dont le mandat expire fin octobre, de lancer : « Ceux qui misent sur la courte durée de vie de ce cabinet (jusqu’à l’élection présidentielle) sont dans l’erreur. Et ceux qui misent sur une vacance au niveau de la magistrature suprême sont dans l’erreur aussi. »
La querelle autour des Finances
Pour ce qui est de la participation du CPL à la future équipe, M. Bassil a soufflé le chaud et le froid. « Nous n’avons aucune envie de participer au cabinet, mais nous n’avons pas encore tranché cette question en tant que groupe parlementaire », a-t-il dit. Comprendre : le bazar politique bat son plein. « Nous n’avons pas de demandes, mais espérons qu’il y aura une rotation des portefeuilles et qu’aucun bord politique n’accapare tel ou tel ministère », a ainsi ajouté le chef du CPL, dans une pique évidente en direction du mouvement Amal qui détient le ministère régalien des Finances.
À l’issue de sa réunion avec M. Mikati, le parti du président de la Chambre (aux rapports tendus avec le CPL) a implicitement exprimé, par la bouche de Ali Hassan Khalil, bras droit du chef du législatif, son attachement à ce portefeuille. « Nagib Mikati connaît les équilibres », a lancé M. Khalil dans ce qui sonne comme une mise en garde. Le tandem chiite Amal-Hezbollah mène depuis plusieurs années une bataille acharnée pour obtenir les Finances, en vue d’assurer le contreseing chiite des décrets aux côtés du président de la République maronite et du Premier ministre sunnite. « L’heure de l’abandon des Finances n’a pas encore sonné », lâche un proche de Aïn el-Tiné, critiquant le CPL « qui monopolise le ministère de l’Énergie depuis 15 ans ».
Contrairement au courant aouniste, les Forces libanaises ont déjà tranché : elles ne seront pas représentées au sein de l’équipe ministérielle à laquelle elles n’accorderont pas la confiance, confirme à L’Orient-Le Jour Ghayath Yazbeck, député FL de Batroun. Un choix qui n’a pas l’effet d’une surprise, mais qui n’est pas sans affaiblir davantage un Nagib Mikati désigné avec une majorité étriquée et boudé par des opposants, dont les Kataëb, la contestation et plusieurs figures indépendantes hostiles au Hezbollah et ses alliés, grands contributeurs à la reconduction du chef du gouvernement sortant. C’est d’ailleurs sur ce même appui que M. Mikati pourra compter pour accomplir sa tâche dans les plus brefs délais. « Nous faciliterons la formation du gouvernement, tout comme nous avons assuré la nomination de Nagib Mikati », dit un proche du mouvement Amal. Le Hezbollah est même allé jusqu’à se montrer favorable à un remaniement ministériel, évoqué depuis plusieurs jours dans les médias locaux, afin d’accélérer le processus. « La Constitution ne prévoit pas le remaniement. Elle évoque uniquement la formation d’une équipe en bonne et due forme », rappelle un proche de Nagib Mikati, excluant le fait de voir des modifications apportées à l’équipe sortante. Pour le moment, le Premier ministre désigné est conscient de sa position de force, puisqu’il détient à la fois la carte de la formation de la future équipe et celle de l’expédition des affaires courantes. Ali Darwiche, ancien député proche du chef du gouvernement, a prédit dans ce contexte la possible naissance d’une première formule gouvernementale d’ici à la fin de la semaine.
Pressions françaises ?
Sur le plan international, la France entendrait augmenter la pression sur les protagonistes locaux en vue d’une mise sur pied rapide du cabinet. Selon une source diplomatique libanaise basée à Paris, ce qui importe le plus à l’Élysée, c’est que la future équipe voie le jour dans les plus brefs délais. « Mais les Français sont conscients que cela pourrait être difficile. Il faut donc que le gouvernement d’expédition des affaires courantes puisse œuvrer pour faire adopter les réformes », croit savoir la même source. C’est dans ce cadre que s’inscrirait l’éventuelle prochaine visite à Beyrouth de Pierre Duquesne, diplomate chargé de la coordination du soutien international au Liban, croit savoir un proche de M. Mikati.
« Si ce déplacement se confirmait, il viserait à suivre la question du fonds commun franco-saoudien (décidé lors du sommet Macron-MBS en décembre 2021), mais aussi et surtout à exhorter les autorités libanaises à enclencher le processus de réformes », estime-t-il. La France aurait-elle donc œuvré à la reconduction de Nagib Mikati ? Non, s’accordent à répondre plusieurs personnalités politiques et diplomatiques libanaises, qui affirment que la France ne mène une bataille à la place de personne. Elle veut voir le processus de réformes mis sur les rails et les échéances constitutionnelles respectées, dans une claire allusion à la présidentielle. « Des mesures plus sévères pourraient être envisagées en cas de retard sur le plan gouvernemental », confie une source proche des cercles français, laissant entendre que des personnalités libanaises pourraient être soumises à des sanctions.
commentaires (10)
AKHDAR woul YEBESS comme dirait ma grand mère même sur les ruines certains verront de l'OR ....
Derwiche Ghaleb
16 h 42, le 29 juin 2022