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Politique - Frontière maritime avec Israël

Devant Hochstein, le Liban officiel s’exprime enfin d’une seule voix

Aoun a transmis au médiateur américain une nouvelle proposition : élargir la ligne 23 pour inclure la totalité du champ de Cana.

Devant Hochstein, le Liban officiel s’exprime enfin d’une seule voix

L’émissaire américain Amos Hochstein et le président Michel Aoun discutant, en présence des délégations US et libanaise, de la délimitation de la frontière maritime entre le Liban et Israël, hier à Baabda. Photo Dalati et Nohra

C’est une visite mue par la volonté d’aboutir à une solution le plus rapidement possible et d’atténuer la tension provoquée par les récents développements survenus dans le dossier de la frontière maritime libano-israélienne. Sollicité par Beyrouth après l’arrivée au large d’Israël, il y a une dizaine de jours, d’une unité flottante d’exploitation gazière dans une zone qui pourrait être contestée par le Liban, le médiateur américain Amos Hochstein a répondu présent après avoir entretenu le suspense pendant quelques jours sur sa venue. Ce serait, d’après plusieurs observateurs, la dernière chance de pouvoir parvenir à un compromis pour débloquer le processus des négociations.

Les pourparlers entre le Liban et Israël avaient été entamés sur la base des revendications libanaises officielles enregistrées en 2011 auprès des Nations unies, en référence au décret 6433/2011 portant sur une zone de 860 km2 délimitée par ce qui a été appelé ligne 23. Ils avaient ensuite été interrompus en mai 2021 lorsque la délégation libanaise de négociateurs avait annoncé sa volonté de réclamer un droit supplémentaire sur 1 430 km2 limités par la ligne 29, qui coupe en deux le champ de Karish qui, selon l’État hébreu, se trouve dans sa zone économique exclusive reconnue par l’ONU. Mais pour être officialisée, cette revendication nécessitait l’amendement du décret 6433/2011, ce qui n’a jamais été fait par le Liban.

M. Hochstein a donc mené ses réunions pendant deux jours sur fond de tension suscitée par l’arrivée du navire israélien et les menaces militaires qui ont suivi du côté du Hezbollah puis de l’État hébreu. La crainte d’une escalade qui torpillerait tous les efforts était l’un des soucis exprimés par le médiateur US lors du dîner organisé lundi soir par le vice-président de la Chambre, Élias Bou Saab. Au cours de cette rencontre, M. Hochstein a fait part de sa disposition à aider à « juguler le conflit », selon les informations de notre chroniqueur politique Mounir Rabih. Son second objectif était d’obtenir une position unifiée auprès de la partie libanaise, susceptible de permettre l’accélération du processus, alors qu’Israël est sur le point d’entamer ses opérations de forage dans le champ de Karish. Aux yeux du médiateur US, le temps presse d’autant plus qu’Israël – aujourd’hui en pleines négociations avec l’Union européenne pour la vente de son gaz – œuvre pour extraire ce dossier des sables mouvants libanais. Amos Hochstein, un haut conseiller auprès du département d’État pour les questions de sécurité géopolitique des hydrocarbures et de la sécurité nationale américaine et chargé de plusieurs dossiers aux quatre coins du monde, s’impatientait lui aussi face aux tergiversations des autorités libanaises. « Amos Hochstein a d’autres chats à fouetter », résume un diplomate occidental.

À l’unisson

C’est finalement d’une même voix que se sont exprimés les trois pôles du pouvoir que le médiateur a rencontrés hier à tour de rôle. C’est le chef de l’État Michel Aoun qui a donné le ton dès le matin et soumis à son interlocuteur la proposition libanaise. Cette réponse, attendue depuis fin mars, a finalement été transmise verbalement par le président lors d’une réunion à laquelle ont pris part, côté libanais, le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, et le vice-président de la Chambre, Élias Bou Saab, tout comme le conseiller de M. Aoun Salim Jreissati.

L'édito de Issa GORAIEB

Malin et demi !

Selon des sources proches du dossier, le Liban a réclamé la totalité du champ de Cana, dont 80 % de la surface se trouve dans le bloc 9, soit au nord de la ligne 23, et 20 % au sud de cette ligne. La revendication libanaise a toutefois été formulée sur la base d’une ligne qui ferait un léger crochet au niveau de Cana de sorte à ce que l'ensemble de ce champ soit inclus dans la partie libanaise pour ensuite redevenir une ligne droite. À la lumière de la réponse israélienne sur cette proposition, le Liban serait ensuite disposé à négocier autour des autres points en suspens notamment. « Nous avons proposé d’élargir la surface maritime (appartenant au Liban) de 860 km2 à environ 1 200 km2 », en incluant le champ gazier de Cana, a précisé à l’AFP un responsable libanais informé des discussions. Selon lui, cette nouvelle proposition exclut le champ gazier de Karish. « Nous réclamons depuis le début le champ de Cana entier, cela veut dire que la ligne 23 devra être amendée », a-t-il poursuivi.

Dans un entretien à la chaîne de télévision al-Hurra, Amos Hochstein a salué l’unanimité dont ont fait preuve les officiels libanais en soumettant leur proposition, ainsi que les « efforts sérieux » entrepris en amont de sa visite, insistant sur l’importance de parvenir à un compromis. « Le Liban a présenté quelques idées qui constituent une base pour la poursuite et la progression des négociations », a-t-il affirmé. Il a indiqué avoir « compris des dirigeants libanais que la résolution du litige maritime constitue un pas essentiel pour régler la crise économique dans le pays ». « Je partagerai les idées avancées par le Liban avec Israël. Dès que j’aurai obtenu une réponse, je la transmettrai au gouvernement libanais », a précisé M. Hochstein.

Lors de leur entretien, M. Aoun a demandé au médiateur US d’exiger de la partie israélienne la suspension de toutes ses opérations dans le champ de Karish. Une requête à laquelle M. Hochstein a réagi en affirmant que le navire se trouvait en dehors de la zone présumée contestée. Il a également fait valoir que, d’après les informations obtenues auprès de l’État hébreu, ce dernier ne compte aucunement aller au-delà de cette limite. M. Aoun a affirmé à son interlocuteur que le Liban « tient à ses droits souverains sur ses eaux et ressources naturelles », selon le compte Twitter de la présidence. Il lui a donné une réponse « verbale » à sa proposition « déjà faite il y a plusieurs mois » concernant la délimitation de la frontière maritime, ainsi que la position officielle du Liban à ce sujet. La proposition d’Amos Hochstein consistait, rappelons-le, en une ligne frontalière sinueuse qui suive partiellement la ligne 23 et dévie à mi-chemin vers la ligne Hof pour accorder à Israël la totalité du champ Karish, de même qu’une partie du bloc 8. En revanche, elle crédite le Liban d’une importante partie du champ présumé d’hydrocarbures Cana, et n’en attribue qu’une petite partie à Israël.

L’accord-cadre de Berry

Après son entretien avec le chef de l’État, le diplomate américain a été reçu au Sérail par le Premier ministre sortant Nagib Mikati, pour une réunion à l’issue de laquelle il n’a pas fait de commentaire à la presse. M. Mikati lui a affirmé que « l’intérêt supérieur du Liban consiste à lancer les opérations de forage, sans qu’il ne se désiste de son droit à toutes ses ressources » en hydrocarbures.

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L’émissaire américain a également été reçu par le président du Parlement Nabih Berry à Aïn el-Tiné. « Ce qui se passe maintenant viole l’accord d’une part et prive le Liban de ses droits, alors qu’il permet à Israël l’extraction et la violation, ce qui menace la paix dans la région et exacerbe le caractère dangereux de la situation », a déploré M. Berry, lors de cette réunion avec le responsable américain. « L’accord-cadre demeure la base et le mécanisme le plus approprié au niveau des négociations indirectes, conformément aux textes qui y figurent et qui appellent à la poursuite des réunions en vue d’aboutir aux résultats désirés », a-t-il ajouté. M. Berry a également noté que « le Liban, qui tient à extraire ses richesses, tient en parallèle à préserver la stabilité ». Il a enfin indiqué que « ce dont le médiateur américain a été informé par le chef de l’État au sujet de la frontière maritime et des droits du Liban à exploiter ses richesses pétrolières est convenu par tous les Libanais ».

Peu avant d’arriver à Baabda, Amos Hochstein avait évoqué au ministère de la Défense à Yarzé le litige frontalier avec le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun. Dans l’après-midi, il s’est entretenu avec l’ambassadrice de France Anne Grillo, qui a rappelé à cette occasion, sur son compte Twitter, qu’« il est important pour l’avenir du Liban et la stabilité de la région que ce contentieux trouve une solution diplomatique, par la négociation. La France ne ménagera pas ses efforts en ce sens ».

La ligne 29 et les députés contestataires

La proposition libanaise ne serait donc pas aussi maximaliste que le souhaitent certains experts civils et militaires, qui réclament que la ligne 29 – plus au sud, qui accorde au Liban une zone supplémentaire de 1 430 km2 – soit prise en compte dans les négociations avec Israël. S’exprimant devant une délégation des députés du mouvement de contestation du 17 octobre, venus l’inciter à modifier le décret 6433 pour que la ligne 29 soit officiellement revendiquée par le Liban, Michel Aoun avait déclaré lundi que Beyrouth « tient à la reprise des négociations indirectes avec Israël qui se sont arrêtées lorsque l’ennemi a refusé de considérer la ligne 29 comme négociable ». Hier, des députés du mouvement de contestation se sont d’ailleurs entretenus avec le médiateur américain pour faire valoir leur point de vue.

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Alors qu’Amos Hochstein menait tous ces contacts hier à Beyrouth, le Premier ministre israélien Naftali Bennett n’a pas manqué de réagir. « Il est dommage que les dirigeants du Liban s’engagent dans des disputes intérieures et extérieures au lieu d’extraire du gaz dont pourraient bénéficier les citoyens », a-t-il lancé. « Je suggère au gouvernement libanais de saisir cette opportunité pour améliorer l’économie du pays et bâtir un meilleur avenir pour le peuple libanais », a-t-il ajouté.

Bou Habib : Aucun indicateur sérieux d’une guerre avec Israël

Le ministre sortant des Affaires étrangères Abdallah Bou Habib a affirmé hier qu’il n’y avait « aucun indicateur sérieux » portant sur l’éventualité d’une guerre avec Israël, malgré les menaces échangées ces derniers jours après l’arrivée d’une plateforme gazière au large d’Israël. Dans un entretien au quotidien an-Nahar, M. Bou Habib a tenu à rassurer les Libanais : « Il n’y a pas d’indicateur sérieux, ni du côté d’Israël ni du côté du Hezbollah, concernant une guerre, malgré les menaces entre les deux parties », a-t-il déclaré, soulignant que cette évaluation de la situation se base sur des « informations précises » obtenues des milieux concernés.

Le litige frontalier maritime entre les deux pays a été ravivé avec l’arrivée dimanche dernier d’une unité flottante d’exploitation gazière au large de l’État hébreu. C’est dans ce contexte que le Hezbollah et Israël avaient échangé de virulentes menaces ces derniers jours. Le parti pro-iranien s’était déclaré « prêt à passer à l’acte si l’État libanais confirmait une violation israélienne » au niveau du tracé de la frontière maritime. Il avait également assuré que la résistance pouvait « empêcher l’ennemi d’extraire le pétrole et le gaz du champ de Karish ». Tel-Aviv avait répliqué en menaçant de bombardements « massifs et dévastateurs si jamais une guerre éclatait » avec le Liban.

Par ailleurs, selon la presse israélienne, citée par l’agence libanaise al-Markaziya, Israël a déployé lundi un hélicoptère militaire au-dessus du champ de Karish, comme mesure défensive. Concernant le litige maritime, M. Bou Habib a exprimé son « optimisme », estimant qu’un accord devrait pouvoir être trouvé après une relance des pourparlers entre Beyrouth et Tel-Aviv. « Le Liban veut un tel accord, tout comme les États-Unis » qui parrainent les négociations, a-t-il ajouté, soulignant que des responsables américains et des Nations unies lui ont fait part de la volonté des Israéliens de parvenir à un compromis.

C’est une visite mue par la volonté d’aboutir à une solution le plus rapidement possible et d’atténuer la tension provoquée par les récents développements survenus dans le dossier de la frontière maritime libano-israélienne. Sollicité par Beyrouth après l’arrivée au large d’Israël, il y a une dizaine de jours, d’une unité flottante d’exploitation gazière dans une zone...

commentaires (5)

Entre-temps Israël se remplit de gaz pour vendre en Europe, n’oubliez pas que Hochstein a la double nationalité israélienne et américaine et je ne pense pas qu’il sera correcte..

Eleni Caridopoulou

18 h 01, le 15 juin 2022

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Commentaires (5)

  • Entre-temps Israël se remplit de gaz pour vendre en Europe, n’oubliez pas que Hochstein a la double nationalité israélienne et américaine et je ne pense pas qu’il sera correcte..

    Eleni Caridopoulou

    18 h 01, le 15 juin 2022

  • S,EXPRIME D,UNE SEULE VOIX AUX DIVERS DIAPASONS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 34, le 15 juin 2022

  • Allez discutez discutez alors que pendant ce temps Israël foré, extrait le gaz et le vend à l’Union Européenne pour remplacer le gaz russe sous embargo. Alors que chez nous un plein d’essence vaut désormais 4 smic

    Lecteur excédé par la censure

    11 h 08, le 15 juin 2022

  • Pour une fois une position pragmatique du pouvoir au Liban. Pas de surencheres inutiles. Et la position des deputés de la contestation poussant vers la 29 est un plus qui aide le pouvoir a demander ce qu'il a demandé.

    Tina Zaidan

    10 h 11, le 15 juin 2022

  • Tout cela est clair, mais d’abord, je salue l’éditorial de M. Goraieb, (texte d’un grand humanisme, je dois dire) : Malin et demi, et qu’il soit lu par le personnel politique qui ne se prive pas à aucune occasion de dire son mot sur tous les dossiers, dont celui du traçage des frontières maritimes. Que le duo chiite montre régulièrement au créneau pour assener remarques, plans, et menaces, ça aussi je comprends, hormis les remarques hors sujet pour ne pas dire langue de bois, puisque la région est sous le spectre politique chiite. Mais ce que je comprends moins, c’est le positionnement "maximaliste" des nouveaux venus en politique, les contestataires, je cite : "DELEGATION DES DEPUTES DU MOUVEMENT DE CONTESTATION DU 17 OCTOBRE, VENUS L’INCITER A MODIFIER LE DECRET 6433 POUR QUE LA LIGNE 29 SOIT OFFICIELLEMENT REVENDIQUEE PAR LE LIBAN". Et là, le couperet est tombé, on revient à la ligne 23 revendiquée par le Liban en 2011. Moi aussi, je me suis laissé aller à appuyer (en privé, bien entendu) les revendications sur la ligne 29, suivant l’adage, "Qui veut l’aigle vise le soleil", mais malheureusement, on revient à plus de modestie, à plus de réalisme, dès les premières rencontres avec Hochstein, qui n’est venu pour rien. Lamentable.

    Nabil

    01 h 26, le 15 juin 2022

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