C’est la première fois qu’une affaire liée à l’organisation de mercenaires russe Wagner est portée devant le Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Après les multiples plaintes infructueuses déposées devant le Comité d’enquête de la Fédération de Russie et un tribunal russe visant à faire la lumière sur le meurtre du Syrien Mohammad el-Ismaïl en 2017 par des membres présumés du groupe Wagner, trois organisations de défense des droits humains ont saisi hier la CEDH. Cette requête s’inscrit dans la continuité d’un combat judiciaire de plus d’un an – la première plainte a été déposée le 11 mars 2021, le jour du 10e anniversaire du soulèvement populaire syrien – mené en Russie par le frère de la victime, Abdallah el-Ismaïl, aux côtés de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), du Memorial Human Rights Center (HRC) et du Syrian Center for Media and Freedom of Expression (SCM). « Il y a de plus en plus d’organisations qui tentent de documenter les exactions imputées à Wagner et c’est souvent très difficile de le faire mais c’est une question fondamentale de savoir quel est le niveau de contrôle qu’exerce l’État russe sur ce groupe militaire privé de mercenaires », insiste Clémence Bectarte, avocate auprès de la FIDH.
En Russie, le combat judiciaire est toujours en suspens. Après que la plainte a été rejetée en appel par un tribunal russe début février, un pourvoi en cassation a été porté le 12 mars dernier. Le tribunal avait justifié sa décision par le fait que la mort de Mohammad el-Ismaïl n’avait pas été établie et la fiabilité des séquences vidéo présentées, non confirmée. « Malgré toutes nos tentatives, la justice russe a refusé d’ouvrir une enquête pour des motifs totalement fallacieux, dénonce Clémence Bectarte. C’était bien évidemment là la confirmation de ce que l’on craignait depuis le début : une absence totale de volonté de la part des autorités judiciaires russes d’ouvrir une enquête sur des exactions commises par des membres du groupe Wagner. » Si l’organisation ne dispose d’aucune information sur la date à laquelle la CEDH va communiquer la plainte à la Russie, ce qui marquera le début de la procédure judiciaire, le temps presse. Alors que Moscou a été exclu en mars dernier du Conseil de l’Europe en représailles à son invasion de l’Ukraine, « la CEDH n’aura plus, à partir de septembre prochain, compétence sur des affaires concernant l’État russe », précise l’avocate.
« Stanislas D. »
Tout a commencé avec la mise en ligne sur YouTube, le 30 juin 2017, d’une vidéo de deux minutes. La séquence macabre donne à voir plusieurs hommes russophones armés, masqués et vêtus d’uniformes militaires frapper à coups de masse, démembrer et décapiter un homme, tout en rigolant. Près de deux ans plus tard, le journal russe indépendant Novaya Gazeta publie une enquête basée sur deux nouvelles séquences vidéo obtenues, dans lesquelles on voit notamment les assaillants attacher le cadavre sans tête ni mains et lui mettre le feu. Le quotidien parvient à identifier, grâce à un logiciel de reconnaissance faciale, le seul tortionnaire dont le visage est découvert. L’homme, que Novaya Gazeta a identifié comme « Stanislas D. », est un mercenaire russe du groupe Wagner, qui aurait servi auparavant en tant que policier à Stavropol (sud de la Russie). Sa victime, Mohammad el-Ismaïl, un Syrien d’une trentaine d’années originaire de Deir ez-Zor (Est), a fui au Liban en 2011 avant de retourner dans son pays natal début 2017, après la mort de sa mère dans un bombardement russe sur le village de Khreta, situé dans le gouvernorat de Homs. Alors qu’il aurait été enrôlé de force à son retour au pays dans l’armée syrienne, il aurait tenté de déserter, avant d’être capturé. « La victime a été reconnue et identifiée par son frère. Ce dernier avait d’ailleurs proposé à la justice russe de livrer un témoignage détaillé pour expliquer ce qu’il savait du trajet qui avait permis à son frère de rejoindre la Syrie et livrer des éléments qui justifient pleinement l’ouverture d’une enquête », souligne Clémence Bectarte.
Alimenter la violence
Selon le SCM, Mohammad el-Ismaïl aurait été tué sur le champ pétrolifère d’al-Chaër, à l’est de Palmyre, où les mercenaires du groupe Wagner avaient combattu en 2017 l’État islamique. Un contrat dévoilé en décembre de la même année par Associated Press avait notamment révélé qu’un accord de partage des bénéfices du champ pétrolifère avait été conclu entre le régime syrien et les Russes, leur garantissant 25 % des profits. Si le Kremlin dément tout lien avec Wagner, qui n’a pas d’existence légale en Russie, de nombreuses enquêtes ont permis d’établir que l’oligarque russe Evgueni Prigojine jouait un rôle de premier plan au sein de la firme. Surnommé le « chef de Poutine », ce dernier est un proche du président russe, lié par de nombreux contrats avec le ministère russe de la Défense. Impliquée dans de nombreux massacres au cours des neuf dernières années, la dizaine de milliers de mercenaires qui composent le groupe a notamment été déployée en Syrie, dans le Donbass, en Libye ainsi que sur le continent africain, comme au Mali et en Centrafrique. Elle fait également l’objet de sanctions de la part de l’Union européenne, qui l’accuse d’avoir « recruté, formé et envoyé des agents militaires privés dans des zones de conflit du monde entier afin d’alimenter la violence ».
Si Abdallah el-Ismaïl et les trois organisations de défense des droits humains ont peu d’espoir que la plainte déposée auprès de la justice russe aboutisse, ils espèrent désormais que la CEDH rende justice à la victime.
« Lorsqu’on voit aujourd’hui le rétrécissement de l’espace en Russie, on comprend bien qu’il y a encore moins de possibilités depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine d’obtenir un quelconque acte qui irait dans le sens d’une justice indépendante dans ce pays, résume Clémence Bectarte. Mais il était important pour nous et pour Abdallah de franchir ces obstacles-là, et surtout de tenter de défier la volonté des autorités russes et d’ouvrir une enquête. »
Ankara « espère » le soutien de ses alliés à une offensive
Le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui menace de lancer une nouvelle offensive dans le nord de la Syrie, « a espéré » jeudi le soutien des alliés d’Ankara, au lendemain d’une mise en garde de Washington. « Nous allons assurément compléter les portions manquantes de notre zone de sécurité » le long de la frontière turque, dans le nord de la Syrie, a-t-il prévenu. « Nous espérons qu’aucun de nos vrais alliés ne s’opposera à nos légitimes inquiétudes », a ajouté le chef de l’État turc. Les États-Unis, par la voix de leur secrétaire d’État adjointe pour le Moyen-Orient, Barbara Leaf, ont réaffirmé mercredi leur « profonde inquiétude » face aux menaces du président turc contre les combattants kurdes en Syrie. M. Erdogan a menacé à plusieurs reprises depuis fin mai de mener une nouvelle opération militaire contre deux localités du nord de la Syrie, visant des combattants kurdes qu’il qualifie de « terroristes ». Parmi eux figurent les Unités de protection du peuple (YPG), qui furent soutenues par les États-Unis et la coalition internationale contre le groupe jihadiste État islamique (EI). Washington a multiplié les mises en garde contre une telle offensive qui risque à ses yeux de déstabiliser la région et mettre en péril la lutte antijihadiste. Le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui a déjà lancé trois offensives dans le nord de la Syrie depuis 2016, a annoncé fin mai qu’il n’attendrait pas la « permission » des États-Unis pour lancer une nouvelle opération.
commentaires (2)
Des vrais criminels tous. La Turquie est en faillite et Mr. Erdogan ne sait pas ou mettre ses mains les russes sont encore des barbares criminels ils ont oublié que nous sommes au vingt unièmes siècle et jaloux de la démocratie.
Eleni Caridopoulou
18 h 15, le 10 juin 2022