De Charybde en Scylla. Passée pour la première fois de l’histoire du pays en dessous de la barre des 10 cents pour un dollar, la valeur des obligations en devise émises par l’État libanais, les eurobonds (LEBAN Eurobonds), est désormais inférieure à celle des obligations émises par le Venezuela (VENZ bonds), qui jusqu’à la semaine passée étaient les moins chères au monde, selon les chiffres relayés par la société EMFI (Emerging Finance). Selon les données relayées par EMFI que L’Orient-Le Jour a pu confirmer via d’autres sources, les eurobonds libanais à long terme s’échangeaient à 9,2 cents en début de semaine, alors que ceux du Venezuela valaient 9,5 cents.
« Le prix des titres libanais est à son niveau le plus bas, ces derniers sont les moins chers des dettes souveraines actuellement », souligne l’ancien ministre du Travail et spécialiste du marché des titres de dette, Camille Abousleiman, contacté par L’Orient-Le Jour. Le Liban et le Venezuela sont en défaut de paiement sur leurs obligations respectives et le Liban n’émet plus de nouveaux titres, les obligations d’État se négociant exclusivement sur le marché secondaire, donc uniquement entre détenteurs. Le Liban, qui traverse une grave crise économique, financière et désormais sociale, a fait défaut en mars 2020 sur sa dette, sans l’avoir restructurée depuis. Le Venezuela, dont le régime est ciblé par des sanctions américaines, a connu des défauts au moins depuis novembre 2017. Selon le directeur du département de recherche de Bank Audi, Marwan Barakat, la récente baisse des prix des eurobonds émis par le Liban en dessous de la barre des 10 cents est liée au fort degré d’incertitude qui règne concernant la capacité des autorités à mettre en place les mesures réclamées par le Fonds monétaire international (FMI) en amont d’un éventuel déblocage d’une assistance financière.
Manque de réformes
La première grande chute du cours des eurobonds libanais a eu lieu en février 2020, lorsque le gouvernement de Hassane Diab avait officiellement lancé deux appels à propositions, l’un visant à sélectionner un cabinet d’avocats international, qui sera Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP, et l’autre pour un cabinet de conseil financier international – Lazard. Durant cette journée, les cours des eurobonds ont chuté de 17 cents de dollar, faisant osciller les cours entre 55 et 57 cents de dollar, soit la pire performance du pays alors, qui n’avait jamais encore fait défaut sur sa dette. Mais cette annonce laissait penser que le cabinet envisageait cette option.
Deux semaines plus tard, le pays annonçait qu’il allait faire défaut. Un an après cette date, le prix de ces titres ne valait plus que 15 à 17 centimes de dollar, un niveau autour duquel ils ont gravité depuis. Au 13 mai dernier, soit deux jours avant les élections législatives, les cours étaient au plus haut depuis le début de l’année, entre 12 et 13 centimes. Ils n’ont pas arrêté de chuter depuis.
À noter néanmoins que les actions libanaises « ne sont pas très liquides », celles-ci ne pouvant donc pas trouver facilement un acheteur qui échangera ces titres de dette contre une monnaie sonnante et trébuchante. Sollicité par le Liban dans le sillage du défaut en 2020, le Fonds monétaire international a annoncé le 7 avril dernier qu’un accord préliminaire avait été trouvé pour permettre au Liban de décrocher 3 milliards de dollars sur 4 ans pour financer une sortie de crise. À condition cependant que les autorités du pays du Cèdre lancent une série de réformes – mise en place d’une stratégie de restructuration de la dette, audit des 14 plus grandes banques du pays, réforme du secret bancaire, finalisation de l’audit des comptes de la BDL, entre autres – en amont de la validation définitive du programme d’assistance par le Conseil d’administration du Fonds.
Or la majorité de ces chantiers ne semblent pas afficher de progrès significatifs, tandis que le Parlement a été renouvelé le 15 mai, que le gouvernement est désormais chargé des affaires courantes et que tout indique que la formation d’un nouvel exécutif de plein pouvoir pourrait être retardée par l’absence de majorité claire dans un Parlement fragmenté. « Il n’est pas étonnant que les prix des eurobonds libanais soient en baisse, compte tenu du manque de réformes et de mesures concrètes prises par les autorités », commente pour sa part le directeur du département de recherche de Byblos Bank, Nassib Ghobril. Il rappelle que le gouvernement de Nagib Mikati s’est adressé aux créanciers, en visioconférence, pour la première fois quelques jours seulement avant les élections et que le vice-Premier ministre Saadé Chami, à travers cette réunion virtuelle, a uniquement fait un point sur la situation sans communiquer de détails sur une éventuelle restructuration.
La dynamique du Venezuela est différente, enchaîne Marwan Barakat, qui souligne que le pays bénéficie du fait que les États-Unis ont récemment allégé leurs sanctions contre le régime de Nicolas Maduro, officiellement pour faciliter les discussions entre ce dernier et l’opposition dirigée par Juan Guaidó. Un changement de paradigme du côté de Washington qui a commencé à se manifester parallèlement au conflit russo-ukrainien, plusieurs observateurs indiquant que le but serait d’augmenter l’offre de pétrole sur le marché pour y faire baisser les cours, le baril ayant dépassé la barre des 100 dollars après le déclenchement du conflit en Ukraine. « Au niveau des chiffres, les titres du Venezuela sont passés de 5 cents pour un dollar à près de 10 cents entre février et aujourd’hui », souligne Marwan Barakat. Pour sa part, l’ancien ministre appelle à profiter des bas prix des eurobonds pour faire une « offre publique de rachat ». Selon lui, le prix d’émission de ces titres étant généralement de 100 %, l’État pourrait ainsi en racheter une partie à un prix de 12 %. En déboursant 2 milliards de dollars, le Liban pourrait racheter plus de 16 milliards de dollars de titres, permettant alors au pays ou à la banque centrale de retirer de la circulation la plupart des titres de dette détenus par les non-résidents. « Cette stratégie permettrait aussi d’améliorer la position du Liban lors des négociations avec les créanciers, vu qu’il faut qu’au moins 75 % des créanciers votent série par série (29 séries, NDLR) pour agréer une restructuration », explique-t-il.
Camille Abousleiman précise que « le prix de la dette augmentera certainement dès qu’un accord avec le FMI sera sur le point d’être conclu. Le meilleur moment pour racheter la dette, c’est quand les perspectives de l’émetteur sont négatives, ce qui est certainement le cas actuellement ». Le spécialiste de la dette ajoute également : « Je comprends que les devises sont rares et qu’elles doivent être utilisées judicieusement ou pas du tout mais le rachat des eurobonds constituerait une bien meilleure utilisation que le renflouement momentané et artificiel de la livre à des fins politiques. » Il fait ainsi référence aux 11,8 milliards de dollars de réserves dont la Banque du Liban, selon les chiffres fournis par le gouverneur Riad Salamé à la presse la semaine passée, une bonne partie ayant été utilisée d’une part pour financer les subventions sur les produits de première nécessité et une autre partie à travers la plateforme de change Sayrafa, à partir de laquelle la BDL injecte des devises.
Si l'état rachète ses dettes à 10-12% de leurs valeurs, qui subira la perte? Les détenteurs des EUROBONDS. C'est à dire les banques Libanaises dans leur majorité. C'est à dire l'argent de leurs déposants. C'est à dire nous. Alors? Bonne idée ou mauvaise idée?
17 h 56, le 08 juin 2022