Rechercher
Rechercher

Politique - Frontière méridionale

Le Liban invite l'émissaire US à Beyrouth pour discuter du différend maritime avec Israël

Le point sur les enjeux, le contexte et les conséquences possibles après l'arrivée d'une plateforme gazière sur le champ Karish. 

Le Liban invite l'émissaire US à Beyrouth pour discuter du différend maritime avec Israël

Une embarcation militaire israélienne au large de Rosh Hanikra, située près de la frontière avec le Liban, le 6 juin 2022. Photo Jalaa MAREY / AFP

Le président libanais, Michel Aoun, a invité, en accord avec le Premier ministre sortant Nagib Mikati, l'émissaire américain, Amos Hochstein, à Beyrouth pour poursuivre les négociations sur la démarcation de sa frontière maritime avec Israël, dans un contexte de regain de tensions sur ce dossier.

Tous les regards sont en effet rivés vers le champ gazier de Karish en Méditerranée orientale, depuis l’arrivée ce week-end de l’unité flottante Energean Power de traitement et de stockage des hydrocarbures produits offshore (FPSO). Une unité tout droit venue de Singapour où elle a été spécialement construite pendant un an, pour l’exploitation des champs gaziers de Karish et de Tanin situés au large d’Israël. Pour un Liban englué dans ses divisions, qui maintient le flou, se contredit constamment sur ses revendications frontalières maritimes avec son voisin hébreu, et n’a pas réussi à officialiser ses ambitions maximalistes, la pilule est difficile à avaler. Car le pays du Cèdre est encore bien loin d’exploiter son gaz offshore, alors que l’État hébreu n’est plus qu’à quelques jours, quelques semaines au pire, d’extraire gaz et pétrole du champ de Karish. Pire encore, les tergiversations libanaises ont entraîné la suspension, il y a plusieurs mois, des négociations indirectes entre Beyrouth et Israël, menées dès 2020 sous la houlette des Nations unies et via une médiation américaine.

Dans un communiqué publié lundi après-midi, le bureau de presse de M. Mikati a indiqué que le Premier ministre sortant et le chef de l'Etat « ont discuté ce matin des mesures à prendre pour faire face aux tentatives israéliennes de provoquer des tensions au niveau de la frontière maritime méridionale ». « Le président et le Premier ministre se sont mis d'accord pour inviter l'émissaire américain Amos Hochstein à Beyrouth pour évoquer la poursuite des négociations pour la délimitation de la frontière maritime méridionale et achever cela le plus vite possible, afin d'éviter toute escalade qui dessert la stabilité dans la région », ajoute le communiqué de M. Mikati. Il indique enfin qu'il « a été décidé d'entreprendre une série de contacts diplomatiques avec de grandes puissances et les Nations unies afin d'expliquer la position du Liban et insister sur son attachement à ses droits et ses ressources maritimes (...) ». Il rappelle également que « les travaux d'exploration et de forage entrepris par Israël dans les zones contestées constituent un acte d'agression qui menace la paix et la sécurité internationales ».

Commentant ce dossier, le président du Parlement, Nabih Berry, allié chiite du Hezbollah, a estimé, dans des propos au quotidien al-Akhbar, que l'émissaire Hochstein « doit se rendre à Beyrouth et mettre un terme aux agissements d'Israël ». « Si Hochstein ne se montre pas coopératif ou n'obtient pas de résultats, le gouvernement libanais doit se réunir et décider à l'unanimité d'amender le décret 6433 et de l'envoyer à l'ONU ».

Lire aussi

Frontières maritimes : le Liban doit sortir au plus vite de sa position de faiblesse dans les négociations

Mais pour Israël, le champ gazier de Karish se trouve dans « la Zone économique exclusive (ZEE) reconnue par l'ONU », a indiqué lundi à l'AFP un haut responsable israélien sous couvert d'anonymat. « Les mensonges du Liban qui prétend soudainement qu'il s'agit d'une région contestée peuvent être réfutés (...) par la propre position du Liban dans le passé », a poursuivi le responsable, rappelant que Beyrouth avait reconnu cette région comme étant dans les eaux israéliennes.  La ministre israélienne de l'Énergie Karin Elharrar a, elle aussi, estimé que le récit libanais était « très loin de la réalité », selon des propos rapportés par l'agence Reuters. Interrogée sur la perspective d'une escalade, Mme Elharrar a déclaré : « Nous n'en sommes pas du tout là. Vraiment, le décalage (entre la rhétorique et la réalité) est tel que je ne crois pas qu'ils passeraient à l'action ». « Israël se prépare (et) je recommande que personne n'essaie de surprendre Israël », a-t-elle ajouté. Même son de cloche du côté  du ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, qui a affirmé que le différend maritime avec le Liban sera résolu via une médiation US.

Entamées sur base des revendications libanaises officielles enregistrées en 2011 auprès des Nations unies en référence au décret 6433/2011, portant sur une zone de 860 km2 délimitée par la ligne 23, les négociations sur la délimitation de la frontière maritime ont été interrompues quand la délégation libanaise de négociateurs, dirigée par le général Bassam Yassine, a annoncé sa volonté de réclamer un droit supplémentaire sur 1 430 km2 limités par la ligne 29. Laquelle ligne coupe en deux le champ de Karish. Une revendication qui, pour être officialisée, nécessitait l’amendement du décret 6433. Ce qui n’a jamais été fait par les autorités libanaises. En lieu et place, elles se sont contentées d'adresser une missive officielle à l’ONU rappelant que le champ gazier de Karish se trouve dans la zone contestée et que Beyrouth « tient au respect de ses droits sur ses ressources offshore ». « Le Liban demande au Conseil de sécurité de réclamer à Israël de ne pas forer dans les zones controversées, ce qui pourrait constituer une menace pour la sécurité des deux pays », ajoutait le message.

Les deux choix du Liban
Dimanche dans la journée, c’est à qui mieux mieux que Michel Aoun et Nagib Mikati se fendaient de déclarations. Selon un communiqué de Baabda, « les négociations sur la délimitation de la frontière maritime sont toujours en cours, et toute activité ou opération dans la zone contestée constitue une provocation et un acte hostile ». De son côté, le Premier ministre a accusé Israël de chercher à provoquer « une nouvelle crise » avec le Liban en « empiétant sur ses ressources offshore » et en cherchant à « imposer un fait accompli ». En cours de journée, le président Aoun a chargé le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, de lui donner des précisions sur l’emplacement de la plateforme.

« Actuellement, le chef de l’Etat a demandé au commandement de l’armée de s’assurer de l’emplacement exact de l’unité flottante Energean Power. Il se pourrait fort qu’elle ne se trouve pas dans la zone maritime disputée, ce qui changerait la donne », révèle à L’Orient-Le Jour une source informée proche de Baabda. « Et qui plus est, l’Etat israélien pourrait commencer par extraire son gaz d’un puits qui n’est pas situé dans la zone controversée, vu que Karish est constitué de plusieurs puits ». « L’important est qu’il n’y ait pas d’extraction dans la zone disputée », souligne encore la source.

Sauf que pour Charbel Skaff, universitaire et expert dans le dossier du gaz, le positionnement de l’unité d’extraction n’est pas la question. « Il est important de savoir que l’Energean Power est capable d’extraire des hydrocarbures à deux kilomètres de distance, affirme-t-il. La plateforme peut donc procéder à l’extraction de gaz dans la zone controversée, même si elle ne se trouve pas dans cette zone ». D’où la nécessité, estime-t-il, de sortir du flou officiel et d’officialiser la revendication maximaliste libanaise. « Le Liban est face à une alternative : soit il amende le décret 6433, soit il reconnaît que Karish n’est pas sur son territoire maritime », martèle-t-il.

Une porte-parole du ministère israélien de l'Energie a déclaré lundi à l'AFP que le forage était terminé depuis des mois et que « le flux de gaz en provenance de Karish devrait commencer en septembre. » Le navire qui est arrivé dimanche sera connecté à Karish via des gazoducs, a-t-elle précisé.

Pas question d’amender le décret 6433
Une chose est sûre aujourd’hui. Le chef de l’Etat qui détient le dossier des négociations n’a pas l’intention d’amender le décret 6433. Et le gouvernement démissionnaire ne devrait pas aller à l’encontre de la décision présidentielle. « La seule ligne enregistrée officiellement auprès de l’ONU est la ligne 23. Quant à la ligne 29, le Liban la considère comme une ligne de négociation », explique la source proche de la présidence. « Baabda se dit d’ailleurs prête à reprendre les négociations avec l’émissaire américain Amos Hochstein, après lui avoir signifié son refus de la ligne frontalière sinueuse qu’il avait proposée en février dernier », ajoute-t-elle. Cette ligne dont le point de départ se trouve au large de Naqoura accorde au Liban une importante partie du champ d’hydrocarbures de Cana et l’autre partie de ce même champ à Israël. Par contre elle accorde à Israël la totalité du champ de Karish, de même qu’une partie du bloc 8. « Le négociateur américain Amos Hochstein devrait arriver au Liban dans les deux prochaines semaines », assure dans ce cadre la source précitée.

Sauf que ce « refus » libanais semble n’avoir pas été enregistré par Washington. Il ne s’est pas non plus accompagné de la moindre contre-proposition. « Washington attend toujours la réponse libanaise à la proposition écrite présentée par Amos Hochstein », rappelait Abbas Ibrahim, directeur général de la Sûreté générale, dans l’édition de juin de la revue de la SG, à son retour d’un voyage officiel à Washington où il a évoqué, entre autres, le dossier de la frontière maritime. Et sur la position libanaise, le responsable explique que « le Liban considère, en principe, la ligne 29 comme une ligne de négociations », tant que la frontière maritime commune entre le Liban et Israël n’a pas été délimitée. « Tout ce qui se situe à l’intérieur de la ligne 29 est une zone contestée, précise Abbas Ibrahim. L’ennemi n’a donc pas le droit d’extraire du pétrole ni d’agir de quelque façon que ce soit au nord de cette limite. Au cas où il le fait, il serait en train de porter atteinte à la richesse libanaise en hydrocarbures, et par le fait même à la souveraineté et aux droits du Liban ».

Le Hezbollah monte au créneau
Le ton monte d’un cran aujourd’hui dans ce dossier hautement stratégique. Les 13 députés libanais issus des mouvements de la contestation élus le 15 mai, ont dans un communiqué commun lu lundi par le député Melhem Khalaf, défendu la ligne 29 et demandé à l'Etat libanais d'amender le décret 6433. Ils ont aussi appelé à un sit-in populaire à Naqoura, à la frontière avec Israël, samedi prochain.

Indubitablement, c’est le discours du Hezbollah qui interpelle aujourd’hui. Le secrétaire général adjoint du parti chiite, Naïm Kassem, a affirmé lundi que le parti chiite est prêt à passer à l'acte si l'État libanais dit qu'Israël viole sa frontière maritime.

Après avoir maintes fois déclaré sa volonté de se ranger derrière la position officielle, le Hezbollah accusait déjà dimanche Washington, par la voix du président du Conseil exécutif du parti, Hachem Safieddine, « d’empêcher Beyrouth d’extraire ses ressources offshore ». « Le Liban a la capacité d’extraire son gaz et son pétrole et de faire preuve d’indépendance face aux moyens de pressions que craignent certains », a-t-il dit dans ce cadre. Invitant l’Etat « à délimiter sa frontière maritime de manière officielle et claire, et à identifier la zone disputée », il a estimé que seule « cette décision permettra aux Libanais de faire respecter leurs droits maritimes, que les Etats-Unis le veuillent ou pas ». Il a enfin affirmé que « la résistance est l’option forte et efficace qui permet au Liban de protéger ses ressources ». Le député Mohammad Raad, à la tête du groupe parlementaire du Hezbollah, a, quant à lui, appelé les forces politiques à conclure un contrat de forage et d'exploitation d'hydrocarbures offshore avec une société qu'elles choisiraient, affirmant que le Hezbollah se chargerait de riposter à Israël le cas échéant.

Quant au Courant patriotique libre de Gebran Bassil, allié chrétien du Hezbollah, il a dénoncé « une surenchère » au sujet de la délimitation de la frontière maritime et rappelé « avoir mis en garde contre la dangerosité de la situation ». « L'Etat libanais doit refuser qu'Israël exploite le gaz de Karish avant que le Liban n'assure ses droits sur les blocs méridionaux (...) », a estimé le CPL.

L’escalade verbale est-elle annonciatrice d’une guerre du gaz en Méditerranée ? La question est sur toutes les lèvres, mais demeure sans réponse. « Nous sommes dans la zone orange. Mais la diplomatie se démène », commente une source proche du dossier. « Au cas où une guerre était déclenchée dans la région, elle ne partirait pas d’un souci de protection de la souveraineté libanaise, estime de son côté Charbel Skaff. Son point de départ serait plutôt les intérêts de l’Iran, mis à mal par le gel du dossier des nouveaux accords de Vienne sur le nucléaire iranien ».

Le président libanais, Michel Aoun, a invité, en accord avec le Premier ministre sortant Nagib Mikati, l'émissaire américain, Amos Hochstein, à Beyrouth pour poursuivre les négociations sur la démarcation de sa frontière maritime avec Israël, dans un contexte de regain de tensions sur ce dossier.Tous les regards sont en effet rivés vers le champ gazier de Karish en Méditerranée...

commentaires (2)

Ils ont beaucoup de temps à perdre au Liban et prennent les autres pour leurs obligés. Ils ont tout le temps pour finaliser l’accord et ont préféré jouer les zélés de l’attentisme en espérant pouvoir monnayer chacun de leur accord. Manque de peau les autres ont eu une meilleure idée plus rentable qui ne correspond pas à leurs attentes individuelles et personnelles alors ils appellent à la rescousse. Les américains vont prendre tout leur temps pour répondre à l’invitation, espérant être au pied du mur tous ces vendus et alliés et tirer le maximum de profits possibles pour leur donner une bonne leçon. Tout ça sera bien entendu aux dépens du pays et de son peuple. Ils jouent depuis le premier jour de l’usurpation du pouvoir avec nos nerfs , notre sort, notre existence et personne pour les arrêter.

Sissi zayyat

14 h 49, le 07 juin 2022

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Ils ont beaucoup de temps à perdre au Liban et prennent les autres pour leurs obligés. Ils ont tout le temps pour finaliser l’accord et ont préféré jouer les zélés de l’attentisme en espérant pouvoir monnayer chacun de leur accord. Manque de peau les autres ont eu une meilleure idée plus rentable qui ne correspond pas à leurs attentes individuelles et personnelles alors ils appellent à la rescousse. Les américains vont prendre tout leur temps pour répondre à l’invitation, espérant être au pied du mur tous ces vendus et alliés et tirer le maximum de profits possibles pour leur donner une bonne leçon. Tout ça sera bien entendu aux dépens du pays et de son peuple. Ils jouent depuis le premier jour de l’usurpation du pouvoir avec nos nerfs , notre sort, notre existence et personne pour les arrêter.

    Sissi zayyat

    14 h 49, le 07 juin 2022

  • Ils ne s'activent que sous pression.

    Esber

    17 h 34, le 06 juin 2022

Retour en haut