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Énard en Marais poitevin

Énard en Marais poitevin

© Marie-Lisa Noltenius

Le Banquet de la Confrérie des fossoyeurs de Mahtias Énard, Actes Sud, 2022, 432 p.

Mathias Énard et le Liban, c’est toute une histoire. À la publication en 2003 de son premier roman, La Perfection du tir, récit d’un tireur embusqué lors d’une guerre civile, on a pensé, bien que rien n’en soit dit, que c’était celle du Liban. Après Zone, en 2008, livre d’une seule phrase – à quelques à-côtés près – de 500 pages, récompensé par plusieurs prix, dont celui du Livre inter, on a retrouvé Mathias Énard en 2012 au Salon du livre francophone de Beyrouth. Il y a reçu le Choix Goncourt de l’Orient pour Rue des voleurs – voyage, ou plutôt errance d’un jeune Marocain au moment des Printemps arabes. Quant à Boussole, prix Goncourt 2015, il porte la trace de sa passion pour l’Orient et est dédié aux Syriens.

Avec Le Banquet annuel de la Confrérie des fossoyeurs, Mathias Énard revient en France, et non loin de sa ville natale de Niort (Deux-Sèvres). Il faudrait une page entière, au moins, pour rendre compte de ce livre-monde de 430 pages, situé pourtant sur un petit territoire, en lisière d’un lieu assez mystérieux, le Marais poitevin. Avant la lecture, une carte permettra au lecteur de se repérer. Ensuite il faut se mettre en plongée dans ce livre, et ne pas s’arrêter. Il est important de prêter attention à l’épigraphe de Thich Nath Hanh citant Bouddha et de s’en souvenir : « Dans nos existences antérieures nous avons tous été terre, pierre, rosée, vent, eau, feu, mousse, insecte, poisson, tortue, oiseau et mammifère. »

Tout commence un 11 décembre. David Mazon, un jeune anthropologue qui prépare sa thèse, s’installe à La Pierre Saint-Christophe pour être sur son terrain de recherches et décide de tenir un journal. Il comprend vite qu’il va devoir cohabiter avec certaines bêtes qui lui plaisent modérément, en particulier les vers rouges se promenant dans la salle de bains. Son adaptation au village est difficile. Il fait froid, il se sent seul, il s’ennuie de Lara, restée à Paris.

Autre signal auquel le lecteur doit prêter attention, le nom de Rabelais, qui apparaît dès la page 32. Dans son journal, David raconte ce qu’il fait, ses observations au café du village, ses rencontres. Le maire, puis Arnaud dit « Le Benêt », qui est hypermnésique, et, très important pour la suite, l’un des croque-morts. Mais aussi les femmes, en particulier Mathilde, qui lui a loué son logement un peu insalubre, et Lucie – surtout ne pas l’oublier cette Lucie.

On passe par « Chanson », un bref et délicieux intermède – il y en aura d’autres – avec Antoine et Rachel. Dans la suite, écrite à la troisième personne, où David Mazon n’est plus qu’un personnage parmi d’autres, notez bien ce qui est dit sur la mort du vieux prêtre. Et, enfin, il est question du Banquet de la Confrérie des fossoyeurs, qui a lieu au printemps : « On rigolerait un peu, on boirait sec et on mangerait dur, et il n’y aurait pas de cadavres pendant trois jours car personne ne meurt jamais au moment du Banquet de la Confrérie des fossoyeurs. » Après un deuxième intermède, vous ferez la connaissance de Jérémie Moreau, vous devrez faire une balade rapide dans les siècles passés et vous pourrez, croquis à l’appui, aiguiser votre sens des jeux de cartes avec Régis, Paco Patarin et Alain… Bonne chance.

Arrive alors le morceau de choix, le fameux Banquet, et là, c’est Rabelais réincarné. Vous vous y perdrez, sur presque 100 pages, mais c’est merveilleux, truculent, réjouissant. Un vrai remède à la mélancolie de l’époque. Les discours sont des morceaux de bravoure, notamment le « Discours de Bittebière introduisant l’écologie au fond du cercueil ». Et puis le « Trou du milieu & chanson à boire » est un régal. Mais ne vous attardez pas sur le menu si vous voulez éviter l’indigestion. Quant à la boisson on en a « vite perdu le compte » entre le chenin, le gamay, le chinon et les autres. Après le « Dernier rituel. Buvons heureux en attendant la mort » et un nouvel intermède, vous rencontrerez bien d’autres personnages, qu’on aurait tous envie de mieux connaître, dont Pélagie qui parle le patois du Poitou.

Avec le retour du journal de David Mazon, vous allez avoir de sacrées surprises. Peut-être parce que le Marais poitevin est vraiment une terre de mystère. On y vient à ses risques et périls…

Le Banquet de la Confrérie des fossoyeurs de Mahtias Énard, Actes Sud, 2022, 432 p.Mathias Énard et le Liban, c’est toute une histoire. À la publication en 2003 de son premier roman, La Perfection du tir, récit d’un tireur embusqué lors d’une guerre civile, on a pensé, bien que rien n’en soit dit, que c’était celle du Liban. Après Zone, en 2008, livre d’une seule phrase –...

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