Increvables, sans entretien, les pneus sans air pourraient bientôt équiper des utilitaires avant de révolutionner les voitures, selon les promesses des fabricants Goodyear, Michelin ou Bridgestone.
Sur le circuit d’essais de Goodyear, au Luxembourg, une Tesla chaussée de pneus sans air a été mise à l’épreuve mardi dernier par des journalistes spécialisés. Cette fine couche de gomme collée sur des rayons noirs devait réussir une prouesse physique : rouler pendant des milliers de kilomètres en répartissant les masses d’une voiture aussi efficacement que l’air comprimé. Le pari technique a été presque tenu : l’armature de gomme et de plastique ne s’effondre pas dans les courbes tendues du circuit de course, et la puissante voiture électrique roule sans à-coup. Mais elle glisse plus qu’avec des pneus classiques, et hurle bien plus en roulant.
Ces pneus ont été testés sur 120 000 kilomètres, jusqu’à 160 km/h, dans la chaleur comme dans la neige, sans dommages majeurs, assure près de la piste Michael Rachita, chef du projet des « pneus non pneumatiques » chez Goodyear. Une seconde génération, « plus légère, conçue pour offrir moins de résistance au roulement et moins de bruit », est en cours de conception. Le premier fabricant qui réinventera la roue pourrait frapper un grand coup : ces pneus affronteraient les routes les plus défoncées sans qu’on vérifie leur pression. On pourrait utiliser une seule structure sur la durée de vie d’une voiture, la recycler et économiser de la matière en « rechapant » une plus fine couche de gomme, comme on le fait déjà sur les poids lourds.
Michelin s’est posé en précurseur avec le « Tweel », un modèle sans air qui équipe des tondeuses industrielles et des engins utilisés sur des sites de démolition. Mais les exigences d’une voiture sur route (résistance à haute vitesse, longévité, confort, silence, coût) semblaient insurmontables. L’équipementier français a conçu un modèle avec le constructeur automobile américain General Motors, « l’Uptis », qu’il a testé à 200 km/h et étrenné sur des Salons automobiles. Le Bibendum promet « des annonces » dès la fin 2022 pour les flottes automobiles. Ses équipes travaillent notamment sur un cocktail de fibre de verre et de résine qui doivent coller la gomme à la structure alvéolée du nouveau pneu. « On va continuer pendant plusieurs décennies à avoir des pneumatiques qui enveloppent de l’air », a toutefois estimé le PDG de Michelin, Florent Menegaux.
Certains sont dubitatifs
Goodyear, qui avait déposé un premier brevet sur cette technologie en 1982, a depuis mis le pied sur l’accélérateur. Le fabricant de l’Ohio promet un pneu « complètement durable et sans maintenance » pour 2030, comptant notamment sur le développement des véhicules autonomes. Une version équipe déjà des navettes ainsi que des petits robots livreurs sur des campus universitaires. Bridgestone vise également une commercialisation « au cours des cinq à dix prochaines années », après des tests sur des flottes d’utilitaires. Selon le fabricant japonais, cette solution leur permettra « de minimiser les temps perdus » à cause « d’incidents liés aux pneus ».
D’autres fabricants restent dubitatifs. « Le pneu sans air pose des problèmes quant à la suspension, au bruit. Ce n’est pas une solution viable et je ne m’attends pas à ce que ça le devienne », avait lancé un responsable de Continental, Gerrit Bolz, lors d’une conférence sur les pneumatiques en 2017. « Tôt ou tard, les pneus sans air prendront le dessus », assure de son côté le chercheur Ulf Sandberg, de l’Institut suédois de recherche sur le transport, qui prépare son propre concept pour camions avec un financement européen. « Ils pourraient notamment améliorer la résistance au roulement et augmenter l’autonomie des véhicules électriques, qui est très précieuse pour les constructeurs », ajoute-t-il.
Si la course au « sans air » n’est pas effrénée, c’est aussi parce que la création de pneus increvables forcera les fabricants à métamorphoser leurs usines, tout comme leur modèle d’affaires, selon Ulf Sandberg. « Les pneus sans air font partie de notre réflexion sur notre business model et sur nos processus de fabrication », assure Xavier Fraipont, vice-président chez Goodyear pour le développement des produits pour l’Europe (EMEA). Tout comme Michelin, le fabricant réfléchit à des modèles d’abonnement aux pneus, facturés à la livraison ou au kilomètre.
Taimaz SZIRNIKS/AFP