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Nos Lecteurs ont la Parole

« Mais vous les avez élus »


Je me réveille dans Beyrouth assoupie et je feuillette mon journal papier en buvant mon café. Ces derniers temps je commence et quelques fois finis par la page « Loisirs » : résoudre des grilles est d’avantage à ma portée que de réfléchir à l’impasse collective au fond de laquelle nous sommes coincés. Aujourd’hui, dans la page « Courrier » je lis Gérard Bejjani en même temps que j’écoute l’enregistrement de son séminaire « Dire je et assumer » que j’ai raté hier soir. Par quoi commence le séminaire de Gérard Bejjani ? Par la parole d’œdipe roi, narrée par Sophocle : « Je fais horreur aux dieux désormais » !

œdipe est roi. Il a un jour sauvé Thèbes. Tous les politiciens de notre crasse politique se targuent d’avoir un jour sauvé le Liban. Chaque communauté libanaise a « offert des martyrs » à la cause. Mais tous les politiciens ont capitalisé sur ces « sacrifices » pour s’installer ad vitam et se rembourser au centuple. Aujourd’hui ils sont tous coresponsables de la peste qui s’est abattue sur le pays, de la souillure. Font-ils « horreur aux dieux désormais » ?

Tant que ma révolte était dirigée contre les dirigeants des partis confessionnels, je parvenais à gérer ma rage. Or, depuis quelques mois, j’entends une autre voix, autrement plus inquiétante, me susurrer subrepticement à l’oreille : qu’en est-il de leurs supporters ? Pourquoi, comment des gens dépouillés de tout et de leur dignité peuvent-ils encore suivre, applaudir, promouvoir ou défendre les instruments de leur perdition. Peut-on imaginer les Thébains acclamant œdipe convaincu lui-même de sa culpabilité ? Peut-on décoder cette incongruité par la question freudienne de « l’idéal du moi » : Chacun de nous a en lui une image idéale de lui-même. Il arrive un moment où le « je » se dissout dans du « nous » et cette image idéale se projette sur le chef, du « nous », du groupe, de la communauté… Si le chef est attaqué, c’est la communauté qui l’est et chaque individu de la communauté. Alors : défendre le chef, c’est se défendre soi-même. Mais peut-on, doit-on défendre un chef qui fait « horreur aux dieux désormais » sans risquer de se faire horreur à soi-même ?

Dimanche prochain, c’est de cela qu’il s’agira. Les élections sont le moment du « je », le moment où on doit repasser du « nous » au « je » et exprimer sa volonté intrinsèque et même si elle est en contradiction avec celle de sa famille, de son entourage, de sa communauté et de ceux qui veulent soi-disant défendre les droits de la communauté mais qui ont bafoué et continueront de bafouer nos droits au pain, à l’éducation, à la santé, à la sérénité, aux loisirs et à la dignité. Comment une personne saine d’esprit pourra-t-elle mettre dans l’urne un bulletin qui remettrait en selle un de ceux qui ont déjà dirigé le pays et mené à sa perte ? Yellé bi jarrib mjarrab bi koune 3aqlo mkharrab*, dit le dicton populaire. Je m’inquiète du pourcentage des « yellé » qui vont voter pour les mêmes « mjarrab » … de ceux qui n’ont pas pris la mesure des conséquences de leurs actes.

Quand Macron est venu nous témoigner de la solidarité de la France au lendemain de l’explosion du 4 août, nous lui avons reproché d’avoir pris langue avec les chefs des partis confessionnels. Il nous avait répondu : « mais vous les avez élus ! » S’il vous plaît, faisons en sorte que lors de sa prochaine visite, Macron ne puisse pas nous dire : « mais vous les avez réélus » !

*traduction approximative : celui qui essaie le déjà essayé prouve que son esprit est dérangé

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Je me réveille dans Beyrouth assoupie et je feuillette mon journal papier en buvant mon café. Ces derniers temps je commence et quelques fois finis par la page « Loisirs » : résoudre des grilles est d’avantage à ma portée que de réfléchir à l’impasse collective au fond de laquelle nous sommes coincés. Aujourd’hui, dans la page « Courrier » je lis...

commentaires (1)

Il a raison Macron et on dit aussi nous avons le gouvernement que nous méritons

Eleni Caridopoulou

16 h 55, le 14 mai 2022

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Commentaires (1)

  • Il a raison Macron et on dit aussi nous avons le gouvernement que nous méritons

    Eleni Caridopoulou

    16 h 55, le 14 mai 2022

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