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Économie - Monnaie

Une association imprime des « lollars » pour mieux les dénoncer

Les taux d’escompte sur les chèques bancaires continuent de fluctuer, le dollar s’échange à près de 27 000 livres sur le marché.

Une association imprime des « lollars » pour mieux les dénoncer

La LTA a émis six billets factices d’une valeur de 1, 5, 10, 20, 50 et 100 lollars. Photos P.H.B.

Voilà plus de deux ans que les Libanais vivent dans un pays en crise, jonglant entre les « dollars bancaires », ou « lollars », qui peuvent être retirés uniquement en livres libanaises à un taux fixé par la Banque du Liban (BDL), et les « dollars frais », expression qui désigne avec un certain cynisme les « vrais » dollars échangeables au taux du marché. Tacitement validée par les autorités, cette distinction arbitraire a notamment avalisé une ponction (haircut) indirecte sur les comptes des déposants, dans un système où le taux de dollarisation a toujours été élevé.

Dénoncée par des organisations tentant de défendre les droits des déposants, la pérennisation du « lollar » dans le paysage monétaire libanais est très critiquée par Lebanese Transparency Association (LTA). À l’approche des élections législatives du 15 mai, le chapitre libanais de Transparency International (TI), une ONG qui se consacre à la lutte contre la corruption, a lancé une campagne de sensibilisation, pour dénoncer ce qu’elle qualifie « d’escroquerie », en imprimant des « lollars » factices créés à partir d’illustration réalisées par l’artiste britannique Tom Young.

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Dévoilés à l’occasion d’un événement organisé dans l’espace d’exposition D Beirut dans la zone industrielle de Bourj Hammoud, ces billets seront diffusés le 13 mai via des distributeurs automatiques de billets (DAB, ATM) déployés pour l’occasion dans plusieurs quartiers animés de la capitale.

Les six facettes de la corruption
Lors d’une brève conférence de presse sur place, le président de la LTA Misbah Majzoub a présenté les six billets émis pour des valeurs de 1, 5, 10, 20, 50 et 100 lollars. Chacun d’entre eux représente « une des facettes de la corruption au Liban », à savoir, dans l’ordre : la destruction des transports publics, la domination des cartels du carburant, la crise des déchets, la faiblesse des services de sécurité ou de défense civile (pompiers, secouristes, etc.), le secteur de l’électricité et la gestion de la zone portuaire de la capitale, illustrée par une peinture représentant la double explosion du 4 août 2020. La LTA a également programmé plusieurs interventions sur les réseaux sociaux et les médias d’ici au 13 mai, élevé au rang de « Journée nationale du lollar » (Pay With Lollar Day) dans le cadre de cette campagne baptisée « Lollar – Currency of Corruption ». Avec un score de 24 sur 100 en 2021, le Liban occupe la 154e place sur 180 pays du monde au classement de l’indice de perception de la corruption de TI.

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Tom Young, qui vit depuis près de 15 ans au Liban, a réalisé les 7 toiles qui ont été incrustées sur les différents billets (une pour chacun des thèmes présentés plus haut, plus une représentation détournée de la Banque du Liban présente sur le verso de chaque billet). « La LTA m’a confié ce projet cette année. J’ai été séduit par leur idée consistant à créer une série de billets de banque pour matérialiser les lollars – qui n’ont pas d’existence physique – et, par là même, donner corps à leur critique contre le système à l’origine de la crise », a-t-il expliqué.

« Comme beaucoup de Libanais, j’ai été pénalisé par les restrictions bancaires, et mon logement, situé en périphérie de la zone portuaire, a été soufflé par l’explosion du 4 août 2020 », souligne-t-il pour expliquer son intérêt personnel pour l’initiative de la LTA.

Venu assister au lancement de la campagne au nom de l’association Cri des déposants, Richard Pharaon déplore de son côté le fait que l’utilisation du « lollar » se soit banalisée avec le temps. « Le problème, c’est que tout le monde s’y est habitué, d’où l’importance de ce type d’initiative pour rappeler que ce qui s’est passé avec les dépôts n’est pas acceptable », insiste-t-il.

le président de la LTA Misbah Majzoub présentant les grandes lignes de la campagne de sensibilisation. Photo P.H.B.

Le taux lira/bira
Le système économique et financier libanais montrait des signes d’essoufflement depuis des années, mais c’est à partir d’août 2019 que les événements se sont accélérés. Faisant face à un déficit de sa balance des paiements devenant de plus en plus incontrôlable et finançant un État dépensier et corrompu, la banque centrale a progressivement arrêté de soutenir la parité officielle entre la livre libanaise et le dollar.

La monnaie nationale a alors décroché sur le marché des changes, tandis que les banques ont unilatéralement commencé dès l’automne 2019 à réduire les plafonds de retrait des comptes en devises faute de liquidités. Si la parité officielle de 1 507,5 livres pour un dollar a été artificiellement maintenue pour certaines opérations, la BDL a publié une série de textes consacrant la distinction entre les dollars frais (circulaire n° 150) et les lollars (n° 151) à partir d’avril 2020, entérinant ainsi un régime de taux de change multiples.

Bilan des courses : le taux dollar/livre sur le marché s’est effondré en plus de deux ans de crise et flotte depuis quelques jours autour de 27 000 livres pour un dollar. Les dollars frais doivent être déposés sur des comptes spéciaux et peuvent être convertis à ce taux dans les bureaux de change, mais les lollars figurant sur des comptes « normaux » peuvent être retirés au taux de 8 000 livres pour un dollar. Un autre texte lancé en décembre dernier (circulaire n° 148) donne la possibilité de retirer des dollars depuis des comptes bancaires en livres, au taux de la plateforme Sayrafa mise en place par la BDL, à 22 500 livres, selon la dernière mise à jour.

L’intensification des restrictions bancaires sur les différentes opérations bancaires a également favorisé la création d’un marché informel du chèque bancaire. Concrètement, le destinataire d’un chèque peut l’échanger sur ce marché contre un montant en espèces dans la monnaie correspondante en concédant un escompte sur sa valeur nominale.

Mis à jour de manière régulière dans les milieux initiés, ces taux d’escompte ne cessent de se dégrader. Pour obtenir l’équivalent en espèces d’un chèque bancaire en livres (désigné sous le surnom de bira), son bénéficiaire doit ainsi concéder à perdre 36 % de sa valeur nominale, selon nos informations, un niveau inférieur à celui de 25 % atteint à la mi-mars (on parle de taux lira/bira). Le bénéficiaire d’un chèque en dollars bancaires ne peut, lui, prétendre qu’à environ 14 % de la valeur nominale inscrite, soit un taux d’escompte de 86 %.

Voilà plus de deux ans que les Libanais vivent dans un pays en crise, jonglant entre les « dollars bancaires », ou « lollars », qui peuvent être retirés uniquement en livres libanaises à un taux fixé par la Banque du Liban (BDL), et les « dollars frais », expression qui désigne avec un certain cynisme les « vrais » dollars échangeables au...

commentaires (4)

Comment peux t on s en procurer?

Zampano

08 h 39, le 08 mai 2022

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Commentaires (4)

  • Comment peux t on s en procurer?

    Zampano

    08 h 39, le 08 mai 2022

  • La LTA pourrait faire un beau coup en envoyant au FMI, aux nations unis, a certaines organisations internationales et a des tribunaux des lots de billets. Cela marquerait les esprits.

    LAMARCK

    22 h 12, le 06 mai 2022

  • Alors l'OlJ ? Vous aussi vous aimez les banquiers ? Comme "Ici Beyrouth" ? Presse libre ? Mon oeuil ....

    Michel Trad

    21 h 05, le 06 mai 2022

  • Ça serait bien de les imprimer sur des rouleaux de papier absorbant pour mettre dans les toilettes…

    Gros Gnon

    12 h 28, le 06 mai 2022

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