Six corps, dont celui d'une fillette, ont été repêchés au large de Tripoli entre samedi soir et dimanche, après le naufrage d'un bateau de migrants clandestins transportant une soixantaine de personnes, libanaises et syriennes, dans ce qui est désormais appelé "les traversées de la mort", alors que de nombreux individus tentent de quitter illégalement le Liban en crise à travers la mer. Au moins 45 personnes ont en outre été secourues, selon un bilan fourni dimanche par l'armée libanaise. Ce drame a provoqué une vive colère et des tensions dans les rues de Tripoli et ses environs, dimanche.
Selon l'Agence nationale d'information (Ani, officielle), des navires de l'armée ont repêché dimanche cinq corps sans vie au large de la "Capitale du Nord", ville la plus pauvre du pays, au niveau des îlots de Fanar-Ramtein, après que le corps d'une fillette a été récupéré samedi. Un précédent bilan faisait toutefois état de neuf morts au total.
A l'entrée d'une morgue à Tripoli, des proches pleuraient les victimes dans une atmosphère tendue, selon un correspondant de l'AFP. Dans la foulée, des hommes ont fait irruption dans la morgue et ont sorti de force un des cadavres pour l'enterrer, toujours selon le correspondant de l'AFP. Dans un autre quartier de la ville, des jeunes hommes ont lancé des pierres contre deux chars de l'armée. Ils étaient rassemblés pour exprimer leur colère face au drame, alors que certains ont accusé la marine libanaise d'avoir provoqué le naufrage du navire de migrants. Des coups de feu d'origine inconnue ont également été entendus, avant que des renforts de l'armée ne soient envoyés dans la ville pour rétablir le calme.
Embarcation pourchassée par l'armée ?
Dans un communiqué, l'armée a indiqué que le bateau avait coulé juste après son départ de Qalamoun (au sud de Tripoli), en raison du trop grand nombre de personnes à bord. Mais l'un des survivants a affirmé que l'embarcation avait coulé après avoir été prise en chasse par l'armée."La bateau de patrouille a percuté à deux reprises notre embarcation (...)", a-t-il dit à l'AFP au port, avant que des familles de survivants ne lui disent de se taire et l'emmènent plus loin.
Lors d'une conférence de presse tenue dimanche à 13h à la base navale de l'armée à Beyrouth, le commandant de la marine militaire, le général Haytham Dennaoui, a expliqué que le navire qui a fait naufrage a été construit en 1974 et mesurait 10 mètres sur une largeur de trois. "Cette embarcation pouvait accueillir un maximum de 10 personnes, pas plus, et n'était pas équipée du matériel de sauvetage", a-t-il précisé. "Nous avons tenté d'arrêter le bateau et de convaincre le capitaine que l'embarcation posait un danger, sachant qu'elle transportait 15 fois le poids maximal qu'elle pouvait supporter", a souligné le général Dennaoui. "Il n'y avait ni gilets ni bouées de sauvetage. Nous avons tenté d'empêcher le bateau de prendre le large, mais il était plus rapide que nous", a-t-il affirmé. "Le bateau a alors tenté des manoeuvres pour échapper à notre marine, avant de percuter l'un de nos navires. Nos militaires n'ont pas utilisé d'armes. En moins de cinq secondes, le bateau était sous l'eau", a-t-il souligné. "Au total, il y a six victimes, notamment la fillette repêchée samedi. Quarante-cinq personnes ont été secourues, mais il se peut qu'il y ait des personnes encore portées disparues", a conclu le général Dennaoui. Dans un communiqué publié dans la nuit de samedi à dimanche, l'armée explique qu'un suspect, R. M. A., a été arrêté. Les recherches pour retrouver des survivants se poursuivaient dimanche.
Selon notre correspondant au Liban-nord, Michel Hallak, l'épaisse couche de poussière qui recouvre le Liban depuis samedi compliquait la tâche des secours dimanche, en raison d'une faible visibilité. La Croix-Rouge libanaise a déclaré samedi soir avoir envoyé 10 ambulances à Tripoli. Un correspondant de l'AFP a constaté que l'armée avait fermé le port, ne laissant entrer que les ambulances qui faisaient des allers-retours. Les familles de certains passagers se sont rassemblées pour prendre des nouvelles, mais l'accès leur a été refusé. "C'est arrivé à cause des politiciens qui ont forcé les Libanais sans emploi à quitter le pays", a déclaré un homme qui attendait des nouvelles d'un proche à l'extérieur du port, selon l'AFP.
Le ministre des Transports, Ali Hamiyé, s'est rendu au port après l'accident et a déploré une "grande catastrophe". Par ailleurs, des appels ont circulé sur les réseaux sociaux pour manifester dimanche à Tripoli devant le domicile du Premier ministre, Najib Mikati. Un sit-in a également eu lieu devant le domicile du ministre de l'Intérieur, Bassam Maoulaoui, selon notre correspondant Michel Hallak. "Nous voulons une enquête transparente. Je suivrai l'investigation jusqu'à ce que les circonstances du drame soient dévoilées", a promis M. Maoulaoui, dans un tweet.
En outre, des proches de victimes présents dans le port ont chahuté et insulté le ministre des Affaires sociales, Hector Hajjar, qui a été envoyé dimanche après-midi sur les lieux par le chef du gouvernement, rapporte notre correspondant Souhayb Jawhar. D'autres routes de Tripoli ont été bloquées à l'aide de pneus brûlés, par des manifestants en colère, selon notre correspondant Michel Hallak.
Enquête
Réagissant à l'annonce de ce drame, le président de la République a indiqué dimanche matin suivre l'affaire et avoir réclamé l'ouverture d'une enquête sur les faits. Avant lui, le Premier ministre est entré en contact avec le commandement de l'armée afin de s'enquérir des circonstances du naufrage. Le chef du gouvernement a ensuite annoncé dimanche que lundi sera décrété journée de deuil officiel en mémoire des victimes.
La plupart des personnes essayant de quitter de façon clandestine le Liban par la mer sont des réfugiés syriens, mais le nombre de Libanais tentant aussi de partir est en hausse, alors que le pays est plongé dans une grave crise économique et politique. En deux ans, le pouvoir d'achat des Libanais s'est effondré et la monnaie nationale a perdu plus de 95% de sa valeur sur le marché libre.
Entre janvier et novembre 2021, au moins 1.570 personnes dont 186 Libanais ont pris la mer clandestinement ou tenté de la prendre à partir du Liban, selon l'agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) dans ce pays. Principale destination : Chypre, membre de l'Union européenne, à quelque 160 km de là.
commentaires (16)
On dirait les clandestins qui viennent d’Afrique en Lybie pour l’Europe… quelle honte ….
Eleni Caridopoulou
18 h 22, le 25 avril 2022