À l’heure où le Liban sombre, où le monde perd sa boussole, où l’on voit les démocraties libérales et l’esprit d’ouverture perdre partout du terrain au profit des nationalismes autoritaires et des crispations identitaires, à l’heure où des millions de réfugiés errent de frontière en frontière, sans savoir où et comment vivre, avoir une double culture ou une double nationalité est un privilège, et ce privilège nous oblige. Cette ouverture sur le monde est d’autant plus précieuse, pour nous franco-libanais, qu’elle nous donne les moyens de faire entendre une culture, une langue, une mémoire à l’autre. Elle nous donne les moyens d’œuvrer pour l’apaisement, de combattre les malentendus, de contribuer à rapprocher des mondes si dangereusement tentés de se tourner le dos.
Ces ponts que nous sommes, ce sont précisément ceux que Marine Le Pen entend faire sauter. Elle ne s’était d’ailleurs pas privée de manifester en toutes lettres il y a quelques années son hostilité à la bi-nationalité. Sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres, sa stratégie de « dédiabolisation » l’a conduite à effectuer quelques rétropédalages, à tenter d’adoucir son image. C’est un leurre. Une fois déparé de son fard, le Rassemblement National s’inscrit dans la droite ligne du Front National de Jean-Marie Le Pen et de cette famille politique qui a tenté à plusieurs reprises d’assassiner physiquement le général de Gaulle et de liquider moralement cette « certaine idée de la France », résistante, humaniste et généreuse, qu’il portait et à laquelle les Libanais sont si attachés.
Marine Le Pen incarne le nationalisme ethnique, la négation du temps qui passe, la domination d’une couleur sur l’autre, le triomphe du fantasme sur le principe de réalité, de l’idéologie sur le pragmatisme. Elle appartient au clan des alliés de la dictature : Bolsonaro, Orban, Poutine, Assad et bien d’autres figures du « camp de la guerre ». La guerre, nous autres libanais, nous en connaissons la souffrance et le prix exorbitants. Il nous appartient aujourd’hui, quelle que soit la sympathie ou l’antipathie que nous inspirent Marine Le Pen ou Emmanuel Macron, de faire la part, au-delà de leurs personnes et des nôtres, de ce que représentent les choix qu’ils nous proposent. Le Pen veut oublier et nous faire oublier que nous respirons tous le même air, que le monde est une planète et que cette planète est menacée. Elle veut défaire l’Europe alors que l’Europe a plus de raison d’être que jamais. Isolée de ses alliés européens, la France de Marine Le Pen serait discréditée et marginalisée, ce qui ferait peser une menace sur la sécurité collective et renforcerait tous les régimes autoritaires.
Franco-Libanais, souhaite-t-on faire élire à la tête de la France la première présidente de la République ultranationaliste et d’extrême-droite de son Histoire ? Sur le plan social et politique, la remise en cause de la Constitution, de l’État de droit et de l’héritage des Lumières constituerait un signal d’alerte pour l’ensemble des démocraties. Nous libanais ne connaissons que trop bien les ravages de la xénophobie, de la lèpre identitariste, des discours de haine communautaire et leurs dérives contre les droits fondamentaux pour les plébisciter en France. Sur le plan économique, l’image de la France et les conditions de vie des Français seraient considérablement et durablement dégradées.
La France a été le moteur de la solidarité internationale envers la population libanaise. Les pressions sur la classe politique libanaise peuvent ne pas aboutir à un changement immédiat et palpable comme nous le souhaiterions, mais elles viennent rappeler avec force la nécessité de mettre en œuvre des réformes structurelles indispensables au relèvement du pays, la négociation avec le FMI, la restructuration des banques, le renforcement de l’armée libanaise... La France de Macron est l’une des seules puissances étrangères qui manifeste la volonté de pousser les différentes parties prenantes de notre pays à dialoguer pour contribuer à faire émerger un nouveau modèle à même d’éviter le naufrage. Le poids de la France au sein de l’Union européenne constitue un atout pour favoriser une réponse européenne et de long terme à la crise.
Que l’on soit reconnaissants, déçus ou frustrés par les initiatives menées par le Président Emmanuel Macron au Liban, nous pourrions en discuter si seulement Marine Le Pen partageait des propositions concrètes pour faire mieux. Or son absence de vision pour le Liban et ses propos anachroniques ne sont pas à la hauteur du péril que nous traversons actuellement.
Marine Le Pen ne doit pas être élue et remporter l’élection présidentielle de dimanche, pour la France, l’Europe, mais aussi le Liban, le Proche-Orient, et sans doute le reste du monde.
À la veille d’un scrutin inquiétant pour l’avenir, bénéficier d’une double culture ou d’une double nationalité c’est être conduit à réfléchir doublement. Voter Marine Le Pen c’est voter contre soi et contre l’autre. Ne pas voter revient presque au même. Voter Macron c’est garder la tête froide à l’approche d’un précipice, c’est faire en sorte que tous les chemins restent possibles.
Signataires:
Aline Asmar D’Amman, architecte
Akl Awit, journaliste
Karim Émile Bitar, directeur de l’Institut des sciences politiques de l’Université Saint Joseph
Rafic Boustani, démographe
Soha Bsat Boustani, consultante
Khaldoun el-Charif, politicien, chercheur et analyste politique
Henri Chaoul, fondateur, Levantine Partners
Ali Cheri, artiste
Youssef Courbage, démographe
Hind Darwish, éditrice
Anne-Marie Eddé, universitaire
Dominique Eddé, écrivaine
Maroun Eddé, président de Murex
Hala Fadel, gérante de fonds
Joumana Haddad, écrivaine
Joana Hadjithomas, artiste
Youssef Haidar, architecte
Dina Haidar, entrepreneur
Ali Hamade, journaliste, éditorialiste au quotidien An Nahar
Michel Helou, ancien directeur exécutif de L’Orient-Le Jour et candidat du Bloc National aux élections législatives à Baabda
Rose Issa, conservatrice
Khalil Joreige, artiste
Rabih Kayrouz, créateur en haute couture
Naila Kettane, galeriste
Père Gaby Khairallah, s.j., universitaire
Amal Makarem, écrivaine
Charif Majdalani, écrivain
Ziad Majed, politiste et professeur universitaire
Georgia Makhlouf, journaliste et écrivain
Alia Moubayed, économiste
Lamia Moubayed, spécialiste en gouvernance publique
Adel Nassar, avocat
Lina Peron, présidente de l’Ecole supérieure internationale de Paris
Jean Riachi, président de FFA Private Bank
Samia Saouma, galeriste
Reina Sarkis, psychanalyste
Nada Sehnaoui, artiste
Rasha Slim, romancière et éditrice
Joumana Timery, professeur et chercheuse
Hala Wardé, architecte
Hyam Yared, écrivaine.
Ces Libanais auraient mieux fait de s'abstenir .Nous ne supportons plus les envahisseurs qui veulent nous imposer leur fois et leurs coutumes . Les Libanais qui ont dû se battre pour ne pas disparaître devraient comprendre la souffrance des Français et leur volonté de faire revenir la République dans tous les lieux du Pays !!!
18 h 11, le 27 avril 2022