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Agenda - Hommage

La richesse de Pierre Daccache

Pierre Daccache vient de nous quitter, auréolé d’une honorable ligne de conduite, son véritable trésor.

À l’heure où le Liban, rongé par lui-même, va à la dérive, l’ancien député de la circonscription de Baabda est parti les mains « propres », avec le qualificatif rare d’homme honnête – édamé – qui, plus que jamais, en politique surtout, vaut son pesant d’or.

Il aura résisté à toutes les tentations d’un système confessionnel qui n’en finit pas de saboter les institutions démocratiques. Face à ce dysfonctionnement sapant les garde-fous étatiques, il a fait de sa droiture une stratégie. Son parcours et son mode de vie attestent de sa résistance, tout particulièrement, à l’appât du lucre. Cette pléonexie généralisée qui a alimenté au fil des années l’effondrement de notre pays.

Médecin et plus d’une fois député, le Dr Daccache abordait dans un même esprit de responsabilité ces deux fonctions qu’il exerçait conformément à un sens aigu de l’éthique, du devoir et de la gratuité. Il les concevait toutes deux comme des missions intimement liées. L’une dans le souci d’apaiser les maux du corps humain, l’autre ceux du corps social.

Pour l’une et pour l’autre, il s’est donné sans contrepartie, ni discrimination aucune, ce qui lui a valu, en tant que médecin-chirurgien, le surnom d’abbé Pierre. Mieux, de hajj Pierre.

Ce don de soi, il l’a mis aussi au service de la politique, exercée conformément à un socle de principes.

En tant que député, il aura été un défenseur farouche de la souveraineté nationale, tout comme de la solidarité entre les Libanais. Il n’a jamais perdu de vue que pour l’une comme pour l’autre, l’ennemi est d’abord le confessionnalisme, ce poison qui entrave l’entente nationale.

À ce propos, il a un jour, dans un de ses discours au Parlement, apostrophé son président pour lui demander : « Que devient Taëf ? Qu’avez-vous fait de cet accord, fondé sur l’entente nationale ? Où va t-on sans les réformes nécessaires à cette entente qui est la finalité de cet accord ? » C’était vers le milieu des années 1990. Déjà le dévoiement de la feuille de route de l’accord de Taëf (30 septembre 1989) conclu pour mettre fin à la guerre civile et permettre la reconstruction de l’État, et de la cohésion libanaise, était flagrant. Déjà on déchiquetait ce document tout en sachant que contrevenir à l’un de ses articles, c’est le mettre tout entier en péril. Avec les moyens que lui conférait la politique, il s’était opposé à ces dérives diligentées par un réseau dolosif de complicités qui a tissé le désastre que nous vivons aujourd’hui.

D’où sa solitude politique. Seul, ou presque, contre les bouteurs électoraux, il a quand même remporté les législatives de 1972 (avec un record de 26081 voix). Ceci, avant de s’imposer, en 2009, comme un trait d’union, aussi bien entre les déchirures de sa propre communauté maronite, qu’entre celle-ci et les autres communautés.

Cette posture, amarrée au fil ténu et malmené de l’intérêt national, aura été son moteur en politique.

C’est probablement ce qui explique le paradoxe de sa position à l’égard de Taëf. Cet accord qu’il s’était abstenu de signer par principe, il a eu, par la suite, l’honnêteté de le défendre par pragmatisme. Principe en vertu de la souveraineté ;

pragmatisme au service de l’entente nationale. Dans les deux cas, l’accord avait besoin d’un renfort de voix comme la sienne.

Quoi qu’il en soit, il a fait partie des rares députés qui soient sortis des réunions à Taëf en ayant empoché non pas des dollars, mais un capital inestimable : sa conscience tranquille.

Il n’y avait pas de compromission dans la modération de Pierre Daccache, mais du bon sens. Ce docteur en médecine et en sociologie, diplômé aussi en philosophie, maniant parfaitement la langue arabe tout en étant polyglotte, était un homme réaliste qui ne perdait jamais de vue que la pluralité est la loi de la terre, que son respect est une de nos missions humaines. Mission dans laquelle il investissait une telle énergie qu’il lui arrivait de s’étonner que l’on puisse « vivre en dormant ».

Grâce à ce profil, il a été, en 1995, à deux doigts d’être désigné président de la République, c’est à dire d’incarner le rôle suprême d’arbitre, si nécessaire à un pays verticalement, horizontalement et diamétralement divisé. Il aurait alors probablement réalisé son rêve d’un pacte social entre l’État et les Libanais qui procurerait à tous l’accès à l’école, à l’hôpital et aux droits permettant de vivre dans la dignité.

Voilà, à grands traits, ce qu’il faut d’abord saluer en Pierre Daccache. Tel était le substrat de son élégante personnalité. Le secret de sa popularité. C’est avec cette richesse-là qu’il a quitté le monde. Paix à son âme.

Pierre Daccache vient de nous quitter, auréolé d’une honorable ligne de conduite, son véritable trésor.À l’heure où le Liban, rongé par lui-même, va à la dérive, l’ancien député de la circonscription de Baabda est parti les mains « propres », avec le qualificatif rare d’homme honnête – édamé – qui, plus que jamais, en politique surtout, vaut son...