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Moyen-Orient - Sahara occidental

Les enjeux derrière le rapprochement entre Madrid et Rabat

Le front Polisario, mouvement indépendantiste revendiquant le Sahara occidental et soutenu par Alger, a annoncé dimanche soir la rupture de ses relations avec l’Espagne, après les déclarations de cette dernière en faveur du plan d’autonomie marocain sur ce dossier hautement sensible.

Les enjeux derrière le rapprochement entre Madrid et Rabat

Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez à une réunion avec le roi Mohammad VI du Maroc au palais royal de Rabat le 7 avril 2022. Photo d’archives AFP

La scène aurait été impensable il y a tout juste un an. Jeudi dernier, autour d’une table remplie de plats traditionnels pour l’iftar, le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez dînait aux côtés du roi du Maroc Mohammad VI, au palais royal de Rabat. La visite est hautement symbolique. Il s’agissait alors de sceller la nouvelle amitié entre leurs deux pays, après l’annonce le 18 mars dernier par Madrid de son soutien au plan d’autonomie pour le Sahara occidental proposé par le Maroc. Une rencontre perçue comme un affront supplémentaire par les indépendantistes sahraouis du front Polisario, soutenus par Alger. Dimanche dernier, soit trois jours après cette visite, ces derniers ont dénoncé « l’instrumentalisation » de la question sahraouie et annoncé la rupture complète de leurs relations avec l’Espagne.Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental – vaste zone désertique bordée par le Maroc au Nord et l’Algérie au Nord-Est – est aujourd’hui contrôlé à près de 80 % par Rabat, tandis que le Polisario contrôle les 20 % restants. Alors que le royaume chérifien propose un plan d’autonomie sous sa souveraineté (prévoyant la création d’un gouvernement et d’un Parlement sahraouis pendant que le Maroc conserverait les compétences en matière d’affaires étrangères, de défense, de monnaie et de gendarmerie), le Polisario réclame, de son côté, un référendum d’autodétermination prévu par l’ONU lors de la signature en 1991 d’un cessez-le-feu, mais constamment reporté en raison du manque de consensus entre les parties.

L’Espagne, qui maintenait jusqu’à présent – du moins officiellement – une position de neutralité entre Rabat et les indépendantistes sahraouis, a effectué le mois dernier un revirement historique en affirmant que le plan d’autonomie marocain présenté en 2007 était « la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution de ce différend », selon Pedro Sánchez. Cette déclaration avait alors mis fin à une crise diplomatique majeure entre les deux pays, déclenchée en avril 2021 après que Madrid a accueilli le leader du front Polisario Brahim Ghali, pour être soigné du Covid-19.

Levier migratoire

La décision de l’Espagne est un nouveau coup dur pour le Polisario, déjà fragilisé « par la perte d’influence de l’Algérie, qui se retrouve plus ou moins marginalisée sur le plan diplomatique et qui perd du terrain dans ses relations internationales », souligne Kader Abderrahim, directeur de recherches à l’Institut de prospective et de sécurité en Europe (IPSE) et auteur de l’ouvrage Géopolitique de l’Algérie, paru en 2020. Elle s’inscrit dans le sillage de la reconnaissance par Washington de la souveraineté du royaume sur le Sahara occidental sous l’administration de Donald Trump en décembre 2020. Une avancée notable pour le Maroc, obtenue en échange de la normalisation de ses relations avec Israël. Cherchant à contrer son rival sur la scène diplomatique, l’Algérie a récemment cherché à consolider ses relations bilatérales avec la Tunisie, alors que les deux pays ont annoncé en mars dernier étendre leur coopération dans les domaines de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Enjeu majeur de la rivalité entre Rabat et Alger, qui ont rompu leurs relations l’été dernier, la question du Sahara occidental continue de hanter les rapports entre les deux pays. Du côté de Madrid, le récent soutien apporté au Maroc poursuit des intérêts d’ordres stratégique et économique, alors que l’Espagne est le premier partenaire commercial du royaume chérifien. Mais l’élément déclencheur semble être venu de la carte migratoire agitée par Rabat. Un levier efficace pour le royaume chérifien, qui lutte traditionnellement aux côtés de l’Espagne contre l’immigration clandestine à destination de ce pays.

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« Madrid ne s’est pas remis de la crise migratoire d’avril 2021 déclenchée par Rabat en rétorsion de l’hospitalisation du chef du Polisario », relève Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève. Au plus fort de cette crise, plus de 8 000 immigrés irréguliers avaient déferlé les 17 et 18 mai 2021, par la plage ou par la mer, sur l’enclave espagnole de Ceuta – parmi lesquels deux d’entre eux avaient péri noyés –, alors que les autorités marocaines avaient relâché les contrôles frontaliers. « Un autre élément a pesé dans la balance : Rabat s’engage à mettre une sourdine à ses revendications sur les deux enclaves espagnoles situées au nord du Maroc », poursuit Hasni Abidi. Soumises à l’administration espagnole dans les territoires du Maroc, les deux enclaves de Ceuta et de Melilla n’ont jamais cessé d’être revendiquées par Rabat, qui dénonce une présence coloniale.

Négociations onusiennes au point mort

Depuis l’annonce de leur réconciliation, les mesures se sont d’ailleurs enchaînées à la vitesse grand V. Lundi dernier, le ministre marocain des Transports a notamment annoncé la reprise des liaisons maritimes, après un an d’arrêt. « Les compagnies maritimes vont reprendre progressivement leurs services passagers entre les ports marocains de Tanger Med et de Tanger Ville, et les ports espagnols d’Algesiras et de Tarifa », a souligné le ministère dans un communiqué. Un accord qui vient renforcer économiquement Madrid et Rabat, tandis que le port de Tanger, situé sur le détroit de Gibraltar à seulement 14 kilomètres des côtes espagnoles, est numéro un du trafic conteneurisé en Méditerranée. Sur le plan symbolique et toujours dans une logique de consolidation des relations bilatérales, une carte du Maroc incluant le Sahara occidental a été publiée la semaine dernière sur le site internet du ministère espagnol des Affaires étrangères. De nouvelles étapes majeures dans ce partenariat – à en croire la déclaration conjointe, une feuille de route en seize points adoptée à la suite de la visite de Pedro Sanchez à Rabat au début du mois – qui ne fait que débuter.

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Alors que Madrid va désormais un peu plus loin que la France et l’Allemagne sur la question, plusieurs observateurs suggèrent que ces derniers pays pourraient lui emboîter le pas en affirmant plus fermement leur soutien à l’initiative d’autonomie marocaine. Et insuffler un nouvel élan dans les négociations onusiennes sous l’égide de la mission Minurso, au point mort depuis plus de 45 ans.

« La médiation onusienne traverse une période difficile rendue compliquée par la crise ouverte entre l’Algérie, d’un coté, le Maroc et l’Espagne, de l’autre. Faute d’une avancée notable, le statu quo reste l’approche privilégiée par les Nations unies », observe Hasni Abidi. « Mais la décision de l’Espagne pourra peut-être ramener la question oubliée du Sahara occidental au centre des préoccupations de l’ONU », suggère de son côté Kader Abderrahim.

La scène aurait été impensable il y a tout juste un an. Jeudi dernier, autour d’une table remplie de plats traditionnels pour l’iftar, le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez dînait aux côtés du roi du Maroc Mohammad VI, au palais royal de Rabat. La visite est hautement symbolique. Il s’agissait alors de sceller la nouvelle amitié entre leurs deux pays, après l’annonce le 18...

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