
Un bureau de vote à Beyrouth lors des législatives de 2018. Ibrahim Chalhou/Photo d’archives AFP
Quatre mois après le décret émis le 30 novembre par le ministre de l’Intérieur, Bassam Maoulaoui, par lequel il avait désigné 219 magistrats titulaires et 36 suppléants pour siéger dans des commissions chargées de vérifier le bon déroulement du scrutin législatif prévu le 15 mai, quarante-deux d’entre eux (36 juges judiciaires et 6 du Conseil d’État) ont choisi de se récuser. Le ministre de la Justice, Henri Khoury, a indiqué à L’Orient-Le Jour avoir reçu les demandes de récusation il y a quelques semaines et les avoir transférées à M. Maoulaoui. Depuis que l’article 40 de la loi électorale a été amendé en novembre, la nomination de magistrats aux postes de chefs et membres des commissions est en effet du seul ressort du ministre de l’Intérieur, alors que ce dernier partageait auparavant cette prérogative avec le ministre de la Justice. Certains milieux se sont inquiétés d’un torpillage de l’opération électorale en cas d’absence des magistrats au sein des commissions électorales, alors que leur présence est obligatoire. D’autant que d’autres demandes de récusation pourraient suivre, et que les retraits déjà opérés ont eu lieu en masse, contrairement à ceux, plutôt épars, observés lors des scrutins législatifs précédents. Une source proche du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), organe à qui revient la charge de présenter au ministre de l’Intérieur une liste de magistrats en vue de leur désignation, écarte toutefois l’éventualité que ces retraits sapent l’échéance électorale, affirmant à L’OLJ que le CSM œuvre à remplacer rapidement ceux qui se sont désistés. Accusé par certains médias d’avoir pris position contre la participation des magistrats aux commissions pour empêcher la tenue des élections, le Club des juges a publié samedi un démenti. « Nous sommes attachés au droit sacré du citoyen de voter lors de l’échéance électorale fixée », indique le communiqué. « Les magistrats qui ont décidé de ne pas remplir la mission qui leur a été confiée ont agi à titre individuel. Il ne s’agit pas d’une décision collective », précise à L’Orient-Le Jour Paula Haykal, présidente de l’association. Elle ajoute toutefois que « le choix de ceux qui se sont abstenus est légitime, cette mission étant un travail supplémentaire, et non intrinsèque de la fonction de juge ».
Jusqu’à l’aube...
Les motifs des récusations sont variés. Pour certains, les centres de vote auxquels ils ont été affectés se situent très loin de leur lieu de résidence : une magistrate affirme à L’OLJ qu’elle n’a pas la possibilité de laisser ses enfants en bas âge pour aller « à l’autre bout du pays », sans toutefois préciser la région où elle devait se rendre. Son collègue évoque le prix exorbitant de l’essence pour un trajet vers « une circonscription lointaine », où il a été désigné pour remplir sa tâche. D’autres estiment que les rétributions sont insuffisantes. « Nous sommes très faiblement payés en contrepartie du travail qu’il nous est demandé de fournir jusqu’à l’aube », indique un juge. Les membres des commissions amorcent en effet leur travail en soirée, après la fermeture des urnes. Les bureaux de vote font ainsi parvenir les enveloppes contenant les bulletins de vote aux commissions primaires, composées chacune d’un magistrat qui la préside, et de deux membres (un président de municipalité et un fonctionnaire de statut personnel). Ces commissions font les vérifications nécessaires, et envoient leurs procès-verbaux aux commissions supérieures, formées exclusivement de magistrats. Si à ce second stade, des délégués de candidats font opposition sur des points du décompte, les juges entament de nouvelles opérations de lecture et de pointage (bulletins blancs, bulletins nuls…), avant de statuer sur les falsifications et autres infractions invoquées. C’est alors que les résultats sont proclamés, ceux-là même que le ministre de l’Intérieur aura à annoncer.
« À qui laisser le travail ? »
Outre l’éloignement des bureaux de vote, le prix du carburant, les rémunérations insuffisantes, certains magistrats ne sont même pas convaincus de la mission qui leur est attribuée, doutant qu’elle leur permette de repérer les violations commises. « Les bureaux de vote sont confiés à des fonctionnaires, souvent recrutés grâce à leurs relations clientélistes avec des hommes politiques », note l’un d’eux, indiquant que « les résultats peuvent être aisément falsifiés lors du dépouillement des voix ». « Les bulletins sont certes imprimés, mais leur contenu est ensuite transposé manuellement par les chefs des bureaux, qui peuvent par exemple attribuer des voix prioritaires à d’autres candidats que ceux choisis par les électeurs », explique-t-il. « Les candidats de la classe au pouvoir sont à l’heure actuelle si embarrassés qu’ils vont inciter leurs sbires à la tricherie bien plus que par le passé », suppute-t-il. « Je ne veux pas être un faux témoin », résume dans ce cadre un autre magistrat, craignant « des coupures de courant au cours desquels des fraudes seraient trafiquées ».
Si un autre magistrat interrogé a également « beaucoup de réserves sur l’opération électorale », il estime cependant que « le dépouillement des voix peut être contrôlé au niveau des bureaux de vote, parce qu’il se fait en présence de délégués de candidats adverses ». Il compte en tout état de cause se présenter à son poste le jour du scrutin, considérant qu’il s’agit de faire son « devoir ». Même décision pour un autre juge, qui exprime son opposition radicale à la loi électorale, parce que selon lui, « elle va ramener les mêmes figures au Parlement ». « Je conteste la loi en tant que citoyen, mais en ma qualité de magistrat, j’ai l’obligation de l’appliquer », s’explique-t-il. « Chacun doit remplir son rôle selon ses compétences légales », insiste-t-il, avant de s’interroger : « À défaut, à qui laisserait-on le travail ? »
Il s'agit tout de même d'une opération importante, le ministre de la justice devrait pouvoir obtenir le service de ces juges par voie de réquisition en dépit du fait que ces élections seront .... manipulées dans certains bureaux de vote.
13 h 46, le 12 avril 2022