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Culture - Exposition

Ces êtres en lambeaux, ce peuple de damnés que nous sommes devenus...

Si pour vous l’art est uniquement synonyme de douceur et de beauté, passez votre chemin. Si par contre vous y cherchez ce qui parle de votre humanité avec sincérité, vous trouverez dans le nouveau travail de Joseph Harb, présenté par la galerie Janine Rubeiz, matière à réflexion. Au double sens du terme.

Ces êtres en lambeaux, ce peuple de damnés que nous sommes devenus...

Variations sur le thème du taureau cher à Joseph Harb (2021, acrylique sur toile, 30 x 30 cm chacune). Photo DR

L’art comme expression brute de notre douloureuse réalité de Libanais. Voilà le propos de l’exposition réunissant à la galerie Janine Rubeiz, sous l’intitulé « Here and Now » (« Ici et maintenant »), les œuvres récentes de Joseph Harb. Un ensemble de sculptures et peintures d’une angoissante mais criante vérité.

À commencer par ce sein déchiqueté, ce bout de pied ou encore ces faces tordues et grimaçantes : reproductions en argile, plâtre ou encore latex de fragments humains placées dans des bocaux de cuisine sur de hauts présentoirs, et qui accueillent, de manière glaçante, les visiteurs. Un peu plus loin, une jambe coupée mais ayant gardé sa chaussette, une tête coupée, une main aux doigts écrasés ainsi que des silhouettes de personnages décharnés, courbés ou encore totalement affalés complètent l’ambiance effroyable de cette exposition digne d’un Hannibal Lecter… Ces pièces, qui vont parfois au-delà du soutenable dans leur cruel réalisme, émanent de l’expérience traumatique du 4 août 2020. Et de ses répercussions sur les vies des rescapés, dont celle de l’artiste.

Vous l’aurez compris, tout dans cette exposition renvoie, comme un miroir sans complaisance, à cette impitoyable évidence : nous Libanais sommes devenus des êtres en lambeaux, harassés, rompus, déchiquetés par un pouvoir anthropophage et sadique qui, après nous avoir trucidés, conserve nos restes dans des bocaux. Comme pour nous faire mariner un peu plus avant de nous dévorer tout crus.

« Heaven’s Door », une œuvre en argile, plâtre et résine de Joseph Harb (50 x 33 x 23 cm). Photo DR

La douleur du survivant

C’est cette abjecte cruauté dans laquelle nous baignons depuis plus de deux ans que nous jette au visage Joseph Harb à travers ce nouveau corpus d’œuvres né de sa douleur de survivant au carnage.

« Depuis l’explosion au port, je vis constamment dans l’appréhension, l’affliction et l’accablement. Avec l’impression d’être coincé dans un “ici et maintenant” brutal et menaçant. Ces sentiments qui m’habitent, je les discerne aussi dans les yeux et les attitudes de mes compatriotes », confie ce fin observateur de ses semblables, qui a souvent privilégié dans son art une certaine figuration psychologique du corps. Cette fois, en s’inspirant largement des fragments humains retrouvés dans les décombres de l’explosion, c’est à une représentation directe et brutale qu’il s’est livré. Comme à une catharsis. « J’étais aux abords du Forum de Beyrouth quand le cataclysme a eu lieu. J’ai eu la chance d’en sortir indemne. Mais ces fractions de corps que j’ai vues éparpillées partout sur ma route me hantent depuis. Je ne pouvais pas ne pas les inscrire dans mon travail comme le témoignage de ce moment, de cet “ici et maintenant” au cours duquel les portes de l’enfer se sont ouvertes devant nous », précise cet artiste qui, sous son patronyme guerrier (Harb signifie « guerre » en arabe), révèle une extrême sensibilité.

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Des pièces façonnées dans l’argile, le plâtre, la résine ou encore le latex, qui dégagent une impression d’inachevé, délibérément voulue par leur auteur comme l’expression de cet instant figé dans le temps et les mémoires. Des œuvres qui font référence aussi bien au corps individuel que collectif. Celui d’un peuple de damnés promenant leurs silhouettes hagardes dans ce qui reste d’une ville explosée. Ou encore celui d’une population éreintée que l’artiste évoque également dans des peintures où les chairs nues et glabres des individus représentés dans leur intimité se font l’écho de leurs âmes écorchées.

Seul contrepoint dans cette représentation dramatique de notre douloureuse et angoissante réalité, une série de variations picturales autour de la figure du taureau, thème cher à Joseph Harb, qui diffusent une note de force et de vitalité que l’on espère un jour retrouver…Certes, cette exposition est dérangeante. Elle peut « susciter de l’angoisse, ranimer des souvenirs stressants, induire de la douleur » (dixit Hannibal Srouji qui en a signé le texte d’introduction). Elle était néanmoins nécessaire. Pour cette totale sincérité avec laquelle elle aborde notre terrible vécu collectif, qui lui donne véritablement valeur de témoignage.

« Here and Now » de Joseph Harb à la galerie Janine Rubeiz, jusqu’au 6 mai.

L’art comme expression brute de notre douloureuse réalité de Libanais. Voilà le propos de l’exposition réunissant à la galerie Janine Rubeiz, sous l’intitulé « Here and Now » (« Ici et maintenant »), les œuvres récentes de Joseph Harb. Un ensemble de sculptures et peintures d’une angoissante mais criante vérité. À commencer par ce sein déchiqueté, ce...

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