Critiques littéraires Essais

Le beau sexe

Où en sont-elles ? Une esquisse de l'histoire des femmes d’Emmanuel Todd, Seuil, 2022, 377 p.

Où en sont-elles ? Une esquisse de l’histoire des femmes peut être considéré comme un « complément rééquilibré, voire féminisé » de l’ouvrage précédent d’Emmanuel Todd Où en sommes-nous ? Une esquisse de l’histoire humaine.

Historien et anthropologue, Todd constate une « critique de plus en plus pugnace de la domination patriarcale » et s’interroge sur les raisons de cette « montée soudaine d’une conception antagoniste du rapport entre hommes et femmes ». Afin de l’expliquer, il retrace l’évolution de la relation homme/femme en remontant à l’homo sapiens. Il mène également une étude empirique des points communs entre hommes et femmes ainsi que des différences qui continuent de les séparer.

Todd analyse les trois « vagues féministes ». La première fut celle de la citoyenneté et de la revendication du droit de vote. La deuxième fut celle de la sexualité : de la pilule contraceptive et de la légalisation de l’avortement. La troisième fut celle de l’identité ; d’un questionnement sur ce que sont les hommes et les femmes, sur leurs natures. « Biologiques ? Sociales ? Antagonistes ? Stables ? Négociables ? »

Ce voyage à travers le temps est aussi un voyage à travers l’espace. De fait, aucun continent n’échappe à cette étude qui s’attarde sur les peuples aux comportements spécifiques comme, par exemple, les Suédois, les Esquimaux et les Aborigènes. Homophobie, bisexualité féminine et masculine, mariage pour tous, phénomène transgenre… l’auteur n’évite pas les sujets sensibles, bien au contraire. En bon anthropologue, il ne néglige aucun aspect du sujet traité : géographique, éducatif, social, économique, professionnel, politique, idéologique, religieux, identitaire, psychologique.

Penchons-nous sur l’aspect religieux. Todd tord le cou à une idée reçue admise et transmise depuis des générations et qui n’en demeure pas moins sans fondement : celle de la misogynie du christianisme. Le rôle des femmes de l’aristocratie romaine, germanique et slave dans l’établissement du christianisme comme religion d’État est essentiel. Clotilde incitant son époux Clovis à se faire baptiser n’est qu’un exemple parmi bien d’autres.

« L’existence d’une violence masculine envers les femmes est vérifiable dans son atrocité aussi loin qu’on peut remonter dans le temps. » L’Église, avec ses valeurs de paix et de non-violence, son culte de la Vierge Marie et ses couvents a été, pendant tout le Moyen Âge un « pôle de résistance à la brutalité masculine ». À partir du XIe siècle, la sacralité du mariage, « en imposant les principes de consentement mutuel et d’indissolubilité, a offert aux femmes une protection métaphysique et administrative contre l’instabilité masculine, ainsi qu’un contrepoids à l’autorité parentale, dont un frein au mariage arrangé ». La femme pouvait donc, théoriquement, choisir librement son époux et ne pouvait plus être quittée. Les accouchements ont tué beaucoup plus de femmes dans l’histoire humaine que les guerres ou les accidents de la route n’ont tué d’hommes. Les grossesses impliquaient donc un risque de décès très élevé. Ce contexte ancien permet de comprendre « l’adhésion de bien des femmes au rejet chrétien de la sexualité. L’Église a mis la chasteté au-dessus du mariage et légitimé le refus de procréer par le choix du célibat ». Aujourd’hui encore, les enquêtes d’opinion révèlent une religiosité supérieure des femmes que les sociologues expliquent de diverses manières.

L’incapacité des hommes à porter un enfant fait de l’activité professionnelle la seule option possible pour eux. Si leurs buts existentiels n’ont pas changé, ceux des femmes, en revanche, ont beaucoup évolué. Todd explique la crispation et l’antagonisme croissant des rapports entre hommes et femmes d’une part, par le fait que « les options des femmes sont devenues plus nombreuses que celles des hommes et que leurs choix de vie sont devenus potentiellement plus anxiogènes », et, d’autre part, par le fait que « l’émancipation des femmes a pour l’essentiel déjà eu lieu, mais qu’elle n’a pas eu tous les effets positifs qu’on en attendait, certaines conséquences étant même regrettables ».

Ce remarquable ouvrage, contenant des cartes géographiques thématiques et des graphiques d’études comparatives pays par pays, sans pour autant s’adresser exclusivement à un public d’initiés, demeure quelque peu ardu.

Où en sont-elles ? Une esquisse de l'histoire des femmes d’Emmanuel Todd, Seuil, 2022, 377 p.Où en sont-elles ? Une esquisse de l’histoire des femmes peut être considéré comme un « complément rééquilibré, voire féminisé » de l’ouvrage précédent d’Emmanuel Todd Où en sommes-nous ? Une esquisse de l’histoire humaine.Historien et anthropologue, Todd constate...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut