Rechercher
Rechercher

Monde - ÉCLAIRAGE

Pourquoi la Chine place ses pions en Afghanistan

Faute d’être une puissance diplomatique entre l’Ukraine et la Russie, Pékin préfère jouer le rôle de médiateur avec les nouvelles autorités de Kaboul en accueillant le troisième sommet ministériel entre ses voisins.

Pourquoi la Chine place ses pions en Afghanistan

Le ministre taliban des Affaires étrangères, Amir Khan Muttaqi (à gauche), aux côtés de son homologue chinois, Wang Yi, le 24 mars 2022, à Kaboul. Ministère taliban des Affaires étrangères/AFP

Le Qatar n’est plus le médiateur incontournable pour les affaires afghanes. Traditionnellement indispensable dans les discussions entre les autorités talibanes au pouvoir à Kaboul et les grandes puissances, Doha se voit concurrencé par la Chine, hôte d’un troisième sommet ministériel des voisins de l’Afghanistan ayant eu lieu mercredi et jeudi. La liste des invités était longue : Pakistan, Iran, Tadjikistan, Turkménistan et Ouzbékistan, ainsi que le chef de la diplomatie des talibans, Amir Khan Muttaqi, et le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, en visite dans le pays. Parallèlement, la Chine a tenu jeudi une réunion du « mécanisme de consultation » sur l’Afghanistan regroupant des diplomates chinois, russes, pakistanais et même américains, a déclaré Pékin. Si la Chine s’adonne à jouer ce rôle de plateforme de dialogue, ce qu’elle préfère normalement laisser à d’autres, c’est bien que ses intérêts en Afghanistan sont primordiaux et directs. Cette troisième réunion dans la région de l’Anhui à Tunxi n’est pas anodine et intervient une semaine après la visite du chef de la diplomatie chinoise, Wang Yi, à Kaboul. Une visite surprise hautement symbolique. Pour la première fois, un représentant d’une grande puissance se rendait à Kaboul depuis la prise du pouvoir des talibans en août 2021. Car pour Pékin, ses intérêts en Afghanistan sont avant tout sécuritaires. « La plus grande crainte de la Chine, c’est que l’Afghanistan redevienne une plateforme refuge pour les mouvements islamistes et djihadistes du monde entier », explique Marc Julienne, chercheur et responsable des activités de la Chine à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Plus particulièrement, Pékin redoute que l’Afghanistan se transforme en une base de repli pour les séparatistes islamistes au sein de la communauté ouïgoure de la région du Xinjiang, vaste province autonome située dans le Nord-Ouest chinois.

Sur le plan national, ces craintes se justifient par le fait que les deux pays partagent une courte frontière de 76 kilomètres à très haute altitude, impliquant directement la sécurité du territoire chinois, particulièrement de sa province mitoyenne du Xinjiang à velléité indépendantiste dont la minorité musulmane ouïgoure est victime de violentes persécutions. Historiquement, Pékin est très inquiet du possible développement des groupes islamistes antichinois en Afghanistan. À la fin des années 90, le mouvement islamique du Turkestan oriental (MITO), groupe islamo-nationaliste ouïgour, s’était établi en Afghanistan avec pour objectif de libérer le Turkestan oriental (Xinjiang) en perpétrant de violents attentats sur son sol. « Il est donc impératif pour Pékin de s’assurer d’un fort contrôle politique en Afghanistan, note Marc Julienne. De façon plus générale, la stabilité du pays est déterminante pour la sécurité de la région. » En dialoguant avec le gouvernement taliban, la Chine cherche à sécuriser l’Asie centrale, qui n’est pas à l’abri de potentiels débordements de réseaux jihadistes, et à respecter ses engagements de coopération sécuritaire notamment avec le Tadjikistan et l’Ouzbékistan.

Un win-win

Pour les talibans, l’appui chinois est vital. Encore aujourd’hui, aucune grande puissance ne reconnaît leur gouvernement. Ce manque de légitimité pèse lourdement sur les nouvelles autorités de Kaboul et asphyxie le pays sur les plans diplomatique et économique. Malgré le plus grand appel de fonds jamais lancé pour un seul pays et pour « mettre fin à la spirale de la mort », les Nations unies ont mobilisé jeudi, lors d’une conférence de donateurs pour l’Afghanistan, seulement 2,44 milliards de dollars des 4,4 milliards espérés, rapporte l’AFP. Le pays est donc face à une crise humanitaire sans précédent que les sanctions économiques de la part des Occidentaux ne facilitent pas. Dès l’été dernier, Washington avait amorcé un gel des avoirs de la banque centrale afghane, entraînant un déficit de trésorerie et privant l’économie de liquidités. Si le gouvernement taliban a suscité l’indignation internationale, notamment suite à la décision des dirigeants islamistes d’interdire aux filles afghanes d’être scolarisées dans le secondaire, le principe de non-ingérence de Pékin dans les affaires intérieures d’autres pays offre à Kaboul une porte de sortie. « La Chine a toujours tenté d’avoir, ces dix, quinze dernières années, un rôle de dialogue sur le théâtre afghan, notamment en organisant des discussions entre l’ex-gouvernement afghan et les talibans. Plusieurs dialogues relativement secrets se sont tenus en Chine et le contact a toujours été maintenu après leur chute à Kaboul en 2001 », commente Marc Julienne. Le retrait des troupes américaines en août dernier vient aussi jouer en faveur de Pékin, puisqu’il lui permet de renforcer son discours anti-américain. Une voie royale pour la Chine qui joue sur le manque de fiabilité et la volatilité des engagements de Washington auprès de ses alliés.

Lire aussi

Comment la Chine tisse sa toile au Moyen-Orient

Les priorités de Kaboul sont claires : un besoin impératif de financements pour se développer et augmenter son commerce, et une reconnaissance internationale par un pays pouvant servir d’interface de dialogue avec les grandes puissances. Deux éléments que Pékin serait en mesure de lui offrir. « La Chine peut devenir un allié économique très important pour Kaboul en échange d’une complète coopération et garantie de l’Afghanistan sur le plan sécuritaire », analyse Marc Julienne.

Se pose néanmoins une double question. Kaboul est-il en mesure de répondre aux exigences de Pékin ? Et en a-t-il la volonté ? « Si le gouvernement taliban a toujours apporté des garanties verbales aux chinois, on peut s’interroger sur les capacités de Kaboul à maîtriser ses frontières, et plus globalement l’ensemble du territoire, contre l’implantation de groupes jihadistes et séparatistes, étant donné que l’État islamique est toujours présent sur son territoire », observe Marc Julienne. D’autre part, la question de la volonté de Kaboul repose sur la profonde opposition idéologique entre les deux pays. D’un côté, les talibans, groupe religieux fondamentaliste composé d’un agglomérat de factions plus ou moins idéologiques. De l’autre, un gouvernement communiste chinois athée, réprimant les musulmans sur son territoire. « Il n’y aura évidemment pas d’alignement idéologique entre Kaboul et Pékin », estime le chercheur. Mais les partenariats stratégiques de la Chine sont rarement fondés sur un partage de convictions. « La Chine respecte toujours la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Afghanistan et s’est engagée à soutenir sa poursuite de la paix, de la stabilité et du développement », avait tenu à rassurer le président chinois, Xi Jinping, à la suite du sommet.

« Un pont pour la connectivité régionale »

Si les enjeux de cette relation pour Pékin sont avant tout sécuritaires, promouvoir les relations bilatérales avec les talibans a aussi une dimension économique. Un des objectifs majeurs de la Chine est de désenclaver son territoire en intégrant à son marché intérieur ses provinces de l’Ouest (Xinjiang, Tibet, Yunnan). C’est dans cette optique que Pékin a lancé en 2013, à l’Université Nazarbaïev d’Astana, l’Initiative de la ceinture et de la route (« Yidai, Yilu » en chinois), un projet pharaonique d’investissements et d’infrastructures englobant plus de soixante pays pour revitaliser les anciennes routes de la soie. « La Chine (…) s’efforcera d’étendre le corridor économique Chine-Pakistan à l’Afghanistan, (…) pour faire de l’Afghanistan, qui se situe au “cœur de l’Asie”, un pont pour la connectivité régionale », a déclaré en ce sens le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Wang Wenbin, lors d’une conférence de presse la semaine dernière.

Lire aussi

Le jeu arabe dans l’affrontement russo-américain

Alors que la question des investissements est aujourd’hui sur la table des négociations entre Pékin et Kaboul, « le fait même que l’Afghanistan ne fasse pas partie de cette initiative qui a été lancée il y a presque dix ans montre bien que le pays n’était pas en mesure d’accueillir de tels projets de développement en raison de son instabilité », remarque Marc Julienne. Selon lui, tout investissement important et de long terme dans de grosses infrastructures semble largement prématuré. « Si l’intérêt économique est mis en valeur par beaucoup d’observateurs, il s’agit de rester prudent sur cette dimension tant que le pays ne sera pas sécurisé et stable. » Mais l’enjeu d’une coopération pour Pékin est aussi porté sur l’obtention de droits d’exploitation du secteur minier de son voisin, naturellement riche en cuivre et lithium, ressources essentielles à la transition énergétique.

Le Qatar n’est plus le médiateur incontournable pour les affaires afghanes. Traditionnellement indispensable dans les discussions entre les autorités talibanes au pouvoir à Kaboul et les grandes puissances, Doha se voit concurrencé par la Chine, hôte d’un troisième sommet ministériel des voisins de l’Afghanistan ayant eu lieu mercredi et jeudi. La liste des invités était...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut