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Idées - Guerre en Ukraine

Le jeu arabe dans l’affrontement russo-américain

Le jeu arabe dans l’affrontement russo-américain

Poto d'illustration : Le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane rencontrant le président russe Vladimir Poutine, à Riyad, en octobre 2019. Archives AFP

Depuis le déclenchement de l’offensive russe en Ukraine, le président américain Joe Biden a écarté à plusieurs reprises l’éventualité d’une intervention armée, expliquant que cela mènerait nécessairement à la « troisième guerre mondiale ». Il s’agit donc pour les États-Unis de poursuivre les orientations déjà prises : tenter de faire céder Moscou en renforçant « l'unité avec (leurs) alliés » et en intensifiant les sanctions économiques. Outre l’assèchement des échanges commerciaux avec la Russie, Washington et ses alliés ont exclu de nombreuses banques russes du système de transactions Swift, traqué les biens des oligarques liés à Poutine, tandis que les géants du numérique américain ont limité l'influence de médias proches du Kremlin sur leurs plateformes. Il s’agit en quelque sorte d’une nouvelle forme de politique de perturbation avec laquelle le monde n'est pas encore familier.

De son côté, Poutine continue de se battre avec les outils du siècle dernier, c'est-à-dire à mener une guerre conventionnelle, sans possibilité de contrôle direct sur le secteur financier et bancaire mondial, ni sur le monde de l'intelligence artificielle, ni même sur les grandes plateformes de réseaux sociaux, qui sont devenues des armes très puissantes. Pour autant, face à cette offensive d’un autre type, la Russie dispose néanmoins d’atouts majeurs, puisqu'elle assure plus de 40 % des besoins en gaz de l'Europe et environ un quart de ses besoins en pétrole brut. C’est aussi un acteur de premier plan dans la production de matières premières telles que le nickel, le blé ou le sucre. Les États-Unis n’ont donc pas la capacité de détruire totalement l’économie russe, mais ils conservent néanmoins celle de continuer à l’étrangler.

L'édito de Issa GORAIEB

Le glaive et le hachoir

Dans ce conflit d’un nouveau genre, la position des pays arabes et du Golfe est particulièrement scrutée : vont-ils finir par se rallier au front diplomatique contre Moscou ou voient-ils là l’occasion de saisir une opportunité ? Pour répondre à cette question, il faut revenir sur l’évolution de leurs relations avec les États-Unis et leurs intérêts actuels.

Relation dégradée

Depuis le pacte du Quincy entre le roi Ibn Saoud et le président Franklin Roosevelt en 1945, l'ensemble du Golfe est entré dans le cadre de sécurité stratégique assurant la protection de ces pays contre la préservation de l’approvisionnement énergétique américain. Le rôle pivot du royaume dans la stratégie régionale américaine n’a ensuite cessé de se renforcer durant la deuxième moitié du XXe siècle, avant de décliner à partir de la présidence de Barack Obama – une tendance qui s’est en partie poursuivie sous l'ère de son successeur, Donald Trump.

Si les attentats du 11 septembre 2001 – avec la présence de nombreux ressortissants saoudiens parmi les auteurs – ont pu affecter les relations et la confiance entre les deux pays, leur dégradation a véritablement atteint son pic avec la signature de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien en 2015. Percevant Téhéran comme la menace la plus importante pesant sur l'ensemble du Golfe, Riyad et Abou Dhabi ont été d’autant plus irrités par le rôle joué par leurs alliés américains et britanniques dans cette affaire qu’ils ont aussi à gérer l’énorme fardeau qu’est devenue leur intervention au Yémen. Certes, sur le plan personnel, les relations du prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane avec la Maison Blanche se sont améliorées avec l’arrivée de Trump, mais ce dernier a surtout traité l'Arabie saoudite et le Golfe dans son ensemble en tant qu'homme d'affaires plutôt qu’en chef d’État, ce qui a entretenu le déclin de l'influence régionale et internationale du royaume.

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C’est dans cette évolution qu’il faut lire et interpréter un certain nombre de faits récents. A commencer par la déclaration de la Ligue des États arabes qui ne prend pas partie entre les belligérants et appelle à la paix et à la négociation tandis que les Émirats arabes unis se sont, de manière flagrante et inhabituelle, abstenus de condamner la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU.

D’abord, les Arabes se souviennent que les pays occidentaux n'ont rien fait lorsque Poutine a ravagé la Tchétchénie, Alep et d'autres provinces syriennes , ce qui pourrait les pousser à se désintéresser d’un conflit occidental sur un territoire européen. Surtout, lorsque les installations pétrolières de Saudi Aramco ont été attaquées en septembre 2019, les États-Unis n'ont pas assuré leur protection, le président Trump menaçant même l’année suivante de retirer son soutien militaire si Riyad n’augmentait pas sa production de brut.

La question des droits de l’homme est également devenue un enjeu avec l’arrivée de Biden à la Maison Blanche : ce dernier a décrit l'Arabie saoudite comme un État paria à la suite de l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi ; s'est abstenu de rencontrer le prince héritier émirati, Mohammad ben Zayed ; et ses relations avec le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi ne sont pas au beau fixe.

Position de négociation

Entre-temps, les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite ont conclu un accord en 2016 avec la Russie sur le resserrement de la production mondiale de pétrole, donnant naissance à ce que l’on appelle l’Opep+. Or malgré les demandes récentes des États-Unis, de la Grande-Bretagne et d’autres pays, Riyad et Abou Dhabi refusent de sortir du cadre de l’accord et d'augmenter la production. Le message est clair : pas question de céder sans véritable contrepartie. Les États-Unis ont d’ailleurs pris la mesure de cette intransigeance en se rapprochant d’autres pays producteurs qui leurs sont pourtant hostiles. C’est dans ce contexte que s’inscrit la volonté inédite de rétablir leurs relations avec le Venezuela, la reprise des négociations pour la signature d'un nouvel accord nucléaire avec l'Iran et les « échanges de prisonniers » récents avec ce dernier.

Pour autant, il ne fait aucun doute que les monarchies du Golfe, tout comme l'Égypte, ne veulent pas contrarier les États-Unis, d'autant que la plupart de leurs investissements s'y trouvent et que les bases américaines sont réparties sur leurs sols. Ainsi, les efforts des États du Golfe peuvent aujourd'hui s'inscrire dans le cadre de leur tentative d'améliorer au maximum leurs conditions, pour négocier leur position, et ils en sont capables s'ils sont coordonnés collectivement. A fortiori après que Joe Biden ait désigné le Qatar comme son allié majeur en dehors de l’OTAN : Doha se trouve ainsi en position d'agir en faveur des intérêts arabes, en coordination avec ses voisins, pour garantir ce qu'il considère être un minimum, ou du moins des intérêts non négociables.

Par Khaldoun EL-CHARIF

Essayiste et analyste politique. Ancien conseiller des Premiers ministres Omar Karamé et Nagib Mikati.

Depuis le déclenchement de l’offensive russe en Ukraine, le président américain Joe Biden a écarté à plusieurs reprises l’éventualité d’une intervention armée, expliquant que cela mènerait nécessairement à la « troisième guerre mondiale ». Il s’agit donc pour les États-Unis de poursuivre les orientations déjà prises : tenter de faire céder Moscou en renforçant «...

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